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Une rue de l'hyper-centre de Vannes...
Une rue de l'hyper-centre de Vannes...
- Chronique -
Nos villes et villages entre la vie et la mort
Scaër, Bannalec, Rosporden, Rostrenen… autant d’agglomérations jadis vivantes qui laissent la sensation de villes fantômes à certaines heures : maisons à vendre, boutiques vides, quartiers à l’abandon… Rendez-vous dans d’anciennes
Par Bertrand Deleon pour Gwened / Vannes 2014 le 9/03/16 0:09

Scaër, Bannalec, Rosporden, Rostrenen… autant d’agglomérations jadis vivantes qui laissent la sensation de villes fantômes à certaines heures : maisons à vendre, boutiques vides, quartiers à l’abandon… Rendez-vous dans d’anciennes petites villes, selon la notion bretonne du terme : Le Huelgoat, Questembert… jadis des petits centres florissants, où l’activité était dense dans les rues et dans la périphérie rurale. Puis, circulez sur la côte, ses cités dortoirs, parfois des quartiers entiers aux volets fermés, enchâssant l’ancien bourg, des villes aux rues devenues impersonnelles, tristes, et des périphéries commerciales à perte de vue sans plus d’âme.

En regardant les photos en noir et blanc de nos villes et villages, l’activité humaine n’échappera à personne. Si une photo peut être trompeuse, jeunes et moins jeunes pourront fouiller dans leurs souvenirs pour témoigner du même constat : la gaieté, le bouillonnement de nos espaces publics s’amenuisent. Nos aînés corroborent l’affirmation qu’il y avait de la vie partout, dans les centres aussi bien que dans les champs. Plus récemment, les quadragénaires se souviendront des années 80, les rues animées, les entreprises à taille humaine qui apportaient une activité économique permanente, les animations et concerts dans les bars, loin de la culture choisie et policée des salles de spectacles périurbaines ou des éphémères festivals…

Une traversée du Pays Basque - Euskal Herria, nom donné au territoire historique des Basques s’étendant de part et d’autre de la frontière officielle des Etats français et espagnol – est riche en enseignements, par comparaison, sur l’ampleur des dégâts sur le territoire de l’Etat français. Le Pays Basque nord, que certains appelleront « français » , tranche par sa différence d’activité quant au sud, notamment l’intensité de la partie autonome. Au nord, lorsque les centres-villes se vident des consommateurs estivaux, que les retraités rentrent chez eux, et en-dehors des grands festivals, le passage d’un groupe de jeunes peut sporadiquement sortir les rues de leur torpeur. C’est exactement le même état des lieux que nous dressons en Bretagne. Dans le même temps, un peuple de même culture animera les rues, les boutiques jusqu’à des heures tardives de la nuit au sud de « la frontière » . En journée, la variété des secteurs économiques et commerciaux des municipalités du Gipuzcoa, l’une des régions du tiers autonome basque, rappellerait l’animation et la richesse humaine des temps anciens sur les territoires de l’hexagone. La culture est aussi forte, la langue n’est pas minoritaire sur son territoire, et la délinquance moindre. On s’y sent bien ! Or, le cliché du tempérament méridional qui tendrait à expliquer cette vivacité ne peut entrer en ligne de compte concernant ce peuple non latin et même non indo-européen. On en voudrait pour preuve le dynamisme similaire préservé au nord de l’Europe.

Le constat est sévère pour nos villes et villages : on assiste à la perte de caractère, l’inertie mais aussi parfois le « dynamisme passif » et très relatif d’une économie touristique. Qu’a donc précisément tué nos villes ?

- La spéculation immobilière : l’identité structurelle des territoires littoraux a été brisée. Le littoral étant convoité, les résidences secondaires se sont multipliées, les activités économiques maritimes, portuaires ont cédé à la pression immobilière et au tourisme. Les actifs, les familles par conséquent, sont poussés à l’extérieur des territoires d’emploi au profit de retraités venus d’ailleurs, notamment d’Ile-de-France dont le PIB par habitant est presque deux fois supérieur à la moyenne bretonne. Les atouts économiques liés au secteur primaire sont en berne, les terres agricoles reculent, les professionnels de la mer doivent composer avec la manne touristique désormais prioritaire, le bâtiment et les services à la personne se développent au profit des grandes sociétés commerciales qui contrôlent le marché.

- Le clientélisme dans les administrations et entreprises : de nombreux cadres sont parachutés en Bretagne. Cette installation, parfois en cooptage du fait de sièges sociaux hors de la Bretagne, se fait au détriment de l’équilibre socioculturel. Ceci est d’autant plus néfaste que la Bretagne et ses habitants sont confrontés à un chômage aggravé par le centralisme français et la situation de périphérie européenne dans lequel l’Etat nous place, à défaut d’un pouvoir breton et l’incapacité politique conséquente à affronter l’économie de marché.

- La rurbanisation désordonnée : les périphéries des villes littorales se voient contraintes d’accueillir hâtivement les actifs chassés des agglomérations littorales. Se créent alors des cités dortoirs étendues entre les centres, les hameaux et les écarts, cassant les liens et la stabilité sociale des territoires. La mobilité des populations est croissante et permanente, laissant peu la place à un ancrage durable et convivial.

- A contrario du point précédent, des quartiers ghettos émergent ou se renforcent. Au profit des plus aisés, on assiste à la privatisation de lotissements, voire de péninsules entières sur le littoral. L’accès s’y fait par barrières automatiques, sous l’œil de vigiles ou la surveillance de caméras ; avec le regard bienveillant des préfets, plus préoccupés en ce domaine à faire démolir des bâtisses patrimoniales sous la coupe de la loi « littoral » . Pour les moins aisés, des enclaves se forment, constituées d’appartements et pavillons à loyer modéré, mêlant des populations de catégories socioprofessionnelles de plus en plus diverses.

- L’éloignement du lieu de travail, conséquence de la spéculation immobilière, rend obligatoire l’utilisation du véhicule. Ce qui fait considérablement obstacle aux circuits locaux et, une nouvelle fois, à l’ancrage humain. Paradoxalement, la conception « très villégiature » partagée par les retraités franciliens favorise la transformation des voies de communication en rues étroites où la vitesse de circulation devient très limitée, en dépit de la nécessité croissante de déplacements par véhicules individuels. Les transports en commun ne répondent pas non plus aux besoins, n’étant pas adaptés à cette évolution démographique. Deux sociétés s’affrontent ou, tout au moins, ne se comprennent pas.

- La désertification rurale : dans les terres, les agglomérations tels les chefs-lieux de canton, jouant à l’origine le rôle de centres urbains administratifs et commerciaux, subissent le contrecoup du désastre économique dans les campagnes, autrement dit la faillite agricole et la fermeture par l’Etat des derniers services publics, ne laissant ainsi aucun espoir pour inverser cet état de fait. Les bassins d’emploi et les zones résidentielles se vident de leur substance, l’agglomération la plus proche n’est souvent que la première étape vers un exode plus lointain. Le maillage du territoire propre à la Bretagne est en péril.

- Les zones commerciales et la grande distribution : la saturation de Vannes Ouest ou la périphérie d’une petite citée comme Questembert en sont les illustrations les plus probantes. Le centre-ville est dévasté, à Questembert, ou connaît un turn-over des commerces franchisés, à Vannes. Les rues sont de plus en plus impersonnelles et la vie s’y arrête en fin d’après-midi. Sur le littoral, ce constat est inversé en période estivale où l’activité est regroupée autour d’un centre artificiel, éphémère.

- La mondialisation des entreprises : les derniers commerces, les dernières entreprises, les hôtels… deviennent les chaînons de grands groupes commerciaux, dont les recettes sont investies en grande partie ailleurs. L’âme de la réalité locale s’y trouve totalement perturbée, puis anéantie.

- Le centralisme français : l’Etat cherche à faire des économies pour favoriser des intérêts centralistes. Pour financer le « grand Paris » et ne pas laisser les territoires décider de leurs orientations économiques, la France ponctionne le contribuable à outrance, alourdit les charges des entrepreneurs jusqu’à l’étouffement, ferme les services publics, baisse les dotations aux collectivités (le maigre retour des impôts payés par les contribuables, épargnés par et pour Paris), pratique un chantage à la fusion des communes, pousse les territoires à dépendre de Paris ou les livrent aux fluctuations d’une économie de marché des plus destructrices pour les secteurs d’emploi. En outre, l’absence de politique agricole défensive auprès de l’Europe, et l’ignorance de la façade maritime atlantique par une polarisation aveugle de l’Etat vers l’Est européen, ne donnent aucune chance à nos territoires de sortir la tête de l’eau.

- La réquisition des budgets : point lié au précédent. Tout axe de communication essentiel est réalisé sur plusieurs décennies en Bretagne, la richesse étant réquisitionnée pour les réseaux routiers et ferroviaires franciliens. Lorsque la réalisation de ces voies avance, elle est tournée vers Paris, au profit de Paris (ligne LGV). Ainsi, l’axe routier Vannes – Saint-Brieuc (la ville au centre fantôme) subit toujours d’infinis bricolages, plus coûteux et plus dévastateurs de l’environnement au bout du compte. De même, le serpent de mer, l’axe Triskell, qui doit un jour traverser le centre Bretagne semble un rêve inatteignable. Les flux internes sont considérablement ralentis et les entreprises ne peuvent s’installer de manière pérenne.

- La partition de la Bretagne, héritage de l’Occupation nazie, empêche la Bretagne d’intégrer dans ses ambitions l’ensemble géographique naturel péninsulaire, historique, humain, culturel et économique qu’elle constitue. Là aussi, en matière de transports, ce découpage arbitraire validé par les partis actuellement au pouvoir est handicapant : prenons l’exemple du transport et du fret ferroviaires cassés au niveau de Redon alors même que l’Etat qui a imposé ce découpage se refuse d’apporter sa participation à la création d’un « hub » .

- Le génocide culturel : le postulat français d’un Etat un et indivisible, comportant un sacro-centre, un gouvernement qui ne déconcentre que son pouvoir de contrôle, une seule langue, une école et des médias subventionnés unificateurs, continuent de briser les repères identitaires humains. La société n’a de choix que de s’exprimer par un modèle officiel ou résister par une culture parallèle, non officielle. La mutation culturelle bretonne du XXème siècle a été la plus grande responsable des dépressions, addictions et suicides selon l’ensemble des spécialistes des questions sociétales.

- Le manque d’ambition des élus : l’allégeance à leur parti respectif et à l’Etat central est manifeste. Cette soumission, apparemment rassurante pour l’électorat en carence d’indices, nous pousse au fond de l’impasse. Le manque d’anticipation des mutations, qu’elles soient démographiques, économiques ou socioculturelles, est navrante pour tout individu un tant soit peu sensibilisé aux évolutions sociales. Au sein même des communes, des élus préfèrent abandonner leur municipalité, ses services, au profit d’une fusion avec la ou les communes voisines. Le tout contre des promesses de l’Etat à court terme. Dans un tel contexte, l’idée d’un établissement public foncier digne de ce nom reste une initiative timide. Alors si des élus s’en excusent presque, soulever la question de la mise en place d’un statut de résident permanent devient presque une impolitesse. Enfin, la timidité des prétentions pour sa ville, surtout sur le littoral qui reflète un dynamisme en trompe-l’œil est criant. A titre d’exemple, nous rappellerons le sort du quartier de la gare de Vannes pour lequel la municipalité avait la possibilité de prolonger le quartier administratif et d’affaires proche de l’hyper-centre, grâce à une friche à bâtir intégrant la possibilité d’aménager une sortie directe de la voie express, laissant même la place à la création d’importantes aires de stationnement, une gare multimodale et le désenclavement urgent de l’hôpital. La mairie a préféré entamer le transfert des administrations dans les zones commerciales déjà saturées, ce qui est totalement absurde et aura de lourdes conséquences sur l’avenir de Vannes, et faire plaisir aux promoteurs immobiliers en garnissant le précieux espace du quartier de la gare en espaces résidentiels difficilement abordables pour les locaux.

Il faut se rendre à l’évidence. Tout ceci n’est que l’essence même de la France, un Etat qui ne sera pas réformable. La France, sa conception recroquevillée et ethnocide, aux relents parfois post-colonialistes fait bon ménage avec la mondialisation : disparition des différences par uniformisation culturelle, voire un nivellement par le bas, l’appauvrissement de l’Homme, par étouffement de la diversité professionnelle, artisanale, économique et créatrice. L’Europe souvent montrée du doigt comme responsable de la perte des identités territoriales, d’une mondialisation américaine, n’est en fait qu’à l’image des Etats qui y siègent. Et dans cet ensemble, la machine France et son allégeance au système de globalisation n’est pas innocente. A nous de changer l’Europe, d’y apporter notre voix, à nous d’organiser notre territoire, de changer nos circuits économiques en interne, de décider de nos exportations, de développer nos infrastructures, nos ports, nos voies de communications. Pour tous les secteurs économiques, du monde de la terre et de la mer, de notre réseau de PMI, de nos artisans et de nos entrepreneurs, de nos salariés du privé, de nos fonctionnaires, au nom de la défense des valeurs sociales, des repères culturels essentiels à l’être humain, une seule voie est envisageable : l’indépendance de la Bretagne. Rejoignons ainsi les autres peuples sur la même voie en Europe occidentale pour peser ensemble. A ce seul prix, nous retrouverons dynamisme et joie de vivre dans nos villes, villages et foyers.

Bertrand Deléon

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