Tout le monde en Bretagne, provenant des milieux économiques, culturels, politiques, est d’accord pour dire : il faut autre chose car nous allons droit dans le mur ou nous sommes dans le mur. Nous n’arrivons plus à donner du travail aux nouvelles générations. La Bretagne devient de plus en plus une région de villégiature pour retraités aisés en quête de tranquillité. Vrai ou faux, impression ou réalité, peu importe car face au pessimisme ambiant, il faut apporter des solutions, de l’espoir. Plusieurs ouvrages ont fait l’état des lieux. Voyons si l’histoire ne peut pas nous aider.
La Bretagne était riche, et l’a toujours été, bien sûr avec des hauts et des bas. Mais force est de constater qu’elle disposait des atouts nécessaires pour en faire une des régions les plus prospères de l’Occident chrétien, atouts qu’elle conserve aujourd’hui. C’est clair que la Bretagne, territoire de 32 000 km² - et oui elle est plus grande que la Belgique - est superbement bien placée. Elle est à l’entrée du canal naturel qui a toujours été le plus fréquenté du monde : la Manche. Elle constitue donc une des portes de l’Europe, région la plus riche du monde. Elle possède aussi l’entrée d’un grand fleuve, la Loire. La mer l’entoure de trois côtés et les côtes sont truffées de petits ports. Comment imaginer que le petit port léonard d’Argenton a été l’un des plus importants d’Europe au Moyen Age. Et les Bretons ont su en profiter, et cela très bien. Ils ont été de tous temps les rouliers, les transporteurs, de l’Europe, les maîtres du cabotage. Au Moyen Age et bien avant aussi, lorsque les navires voulaient passer du Nord au Sud de l’Europe, ou inversement, comme on avait peur d’aller au large, on se devait de solliciter l’aide des marins bretons au Conquet, port donc très riche. On pense même que Christophe Colomb s’est servi des cartes élaborées au Conquet. Il y avait une autre solution pour ces navires : débarquer les marchandises et prendre les bateaux qui suivaient les cours des nombreuses rivières qui drainent la Bretagne. C’est pour cela que la région de Carhaix –lieu de rupture de charge – était très peuplée. Et elle n’est pas la seule. De marins, les Bretons sont devenus des navigateurs et ont traversé parmi les premiers les océans avec ces nouveaux bateaux qu’étaient les caravelles. Et ce mouvement ne s’est jamais arrêté. Le goût de l’aventure, de la nouveauté est resté bien ancré chez les Bretons qui se comptent par centaines de milliers hors de Bretagne, qui se comptent par dizaines de milliers parmi les entrepreneurs.
Les Bretons ont de la chance. La nature a été généreuse. Dans le Léon, on trouve les terres parmi les plus riches d’Europe. Au Moyen Age et bien encore après, la Bretagne vendait ses céréales, son sel si abondant à Guérande, ses vins (du pays nantais et de la vallée de la Rance). Les forêts, très importantes – car la noblesse et les ducs y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux- ont servi à la construction des nefs durant la guerre de Cent ans et surtout pendant l’âge d’or du commerce triangulaire au XVIIIe siècle. On peut aussi compter sur les pierres bretonnes, tel le granit – dont la variété et la beauté sont exposées maintenant à la Vallée des Saints-.
Surtout la Bretagne a pu compter sur sa population industrieuse et abondante. Aujourd’hui, les habitants de la Bretagne sont près de 5 millions. Au XVe siècle, ils étaient plus d’un million – en Angleterre, vers 5 millions. Les villes y étaient et y sont encore très nombreuses. Les foires se comptaient par milliers à la fin du XIXe siècle et étaient très anciennes, remontant au Moyen Age et au-delà. Et beaucoup subsistent encore. On y vendait bovins, porcs et chevaux – car les Bretons étaient, comme aujourd’hui, de très grands éleveurs – la fortune de la famille des Rohan reposait sur l’élevage des chevaux - . Les Bretons étaient les maîtres du textile. Comment imaginer aujourd’hui que le Léon était aux XVIIe et XVIIIe siècles une des plus grandes régions industrielles d’Europe, spécialisée dans le textile. Et elle n’était pas la seule région bretonne.
Et les Bretons ont su investir dans le beau, dans l’Art. On a construit cathédrales, églises, chapelles, ossuaires, croix par milliers. Les châteaux se comptent par centaines. Celui de Fougères est le plus grand château fort d’Europe. Les très nombreux soldats bretons enrichis par la guerre de Cent ans ont construit plus de 10 000 manoirs. Les Bretons des siècles passés nous ont laissé un patrimoine matériel et immatériel immense. Ce n’est pas pour rien que les festoù-noz ont été déclarés récemment Patrimoine mondial par l’UNESCO.
Les Bretons ont su s’adapter aux transformations économiques. Ils ont participé à la Révolution du commerce qui a commencé à partir du XVe siècle. On dit qu’ils étaient plus marins que marchands. Mais j’ai des gros doutes sur ce point. Je dirais qu’ils étaient les deux en fait. Bien sûr, la Révolution et l’Empire, qui ont fermé les ports bretons, les ont ruinés. Bien sûr dès la Restauration, à partir de 1815, conduits par leurs noblesses, ils se sont tournés vers l’Agriculture. Et ceux qui ne pouvaient en vivre se sont exilés par centaines de milliers. Bien sûr, le CELIB, après la Seconde guerre mondiale, face à la nécessité de reconstruire les ports détruits, de donner du travail aux gens et donc de meilleures conditions de vie, d’alimentation, a modernisé la Bretagne, son agriculture devenue avec son agro-alimentaire une des premières d’Europe.
Et oui, la Bretagne a besoin d’un nouveau CELIB, d’un nouveau groupe de gens volontaires, de Bretagne et ailleurs, politiques, industriels, entrepreneurs, intellectuels influents, prêts à retrousser leurs manches pour que la Bretagne investisse – comme elle aime le faire – cette nouvelle révolution économique en marche partout dans le monde, alliant modernité et tradition, cultures et innovations permanentes. Les Bretons sont là, prêts avec leur niveau de formation – le niveau scolaire de la Bretagne demeure le premier de France-, avec leur culture, avec toujours leur volonté farouche de réussir.