La question est d'actualité après les élections en Ecosse et en Catalogne. Certains parlent d'indépendance pour d'autres régions européennes, et bien sûr de la Corse et de la Bretagne. Mais les contextes historiques sont-ils similaires ? La Corse a été annexée purement et simplement à la France en 1768 (au fait le premier gouverneur de Corse était breton). La Bretagne a été unie en 1532 à la France après la mort de Claude de France, dernière duchesse de Bretagne, épouse du roi François Ier. L'Ecosse a été unie à l'Angleterre lorsque le roi d'Ecosse, Jacques VI, a hérité de sa cousine, Elisabeth Ier d'Angleterre (morte en 1603). Charles Quint (1500-1558) a hérité des royaumes de ses grands-parents, Ferdinand d'Aragon (qui avait la Catalogne ou comté de Barcelone) et Isabelle de Castille. Si l'Ecosse a été intégrée contrainte et forcée en 1707 dans le Royaume-Uni, le comté de Barcelone, comme le royaume d'Aragon, jusqu'au XIXe siècle et même après, restèrent des Etats à part entière. Le roi Alphonse XIII (roi jusqu'en 1931) signait toujours El rey, le roi, jamais le roi d'Espagne. Il le faisait ainsi car sinon il aurait eu à citer tous ses royaumes, Castille, Aragon, Navarre, Murcie, Galice, Valence, Grenade, etc...
Si les rois d'Aragon qui étaient aussi comtes de Barcelone n'ont jamais prêté hommage à leurs homologues et cousins les rois de Castille, les rois d'Ecosse l'ont fait aux rois d'Angleterre (à partir d'Henri II Plantagenêt, mort en 1189) tout comme les rois puis ducs de Bretagne l'ont fait aux rois de Francie occidentale puis de France, du IXe siècle jusqu'au XVe siècle. Que signifie prêter hommage ? Pour le cas de la Bretagne, à la mort du roi de France, le duc de Bretagne devait se rendre auprès du nouveau souverain pour mettre un genou à terre et ainsi se soumettre. En contrepartie, le roi lui donnait l'investiture de son duché. C'était le principal acte vassalique, pivot de la féodalité. Et puis le duc rentrait chez lui et y faisait ce qu'il voulait ou presque, surtout qu'il était étroitement apparenté au roi de France (la situation était similaire pour l'Ecosse). Par exemple, Anne de Bretagne (morte en 1514) a épousé un cousin un peu éloigné, Charles VIII, puis le cousin germain de son père, Louis XII. Il y avait bien sûr quelques agents royaux qui venaient en Bretagne, mais s'ils dépassaient les bornes, le duc venait voir son parent et on discutait en famille et souvent l'agent avait par la suite quelques soucis. Oh bien sûr, il y eut Louis XI et sa fille Anne de Beaujeu qui ont un peu abusé de leur autorité royale, mais ils ont eu fort à faire car le duc François II (mort en 1488) pour contrer Louis XI a appuyé Charles de Berry, frère et longtemps héritier de Louis XI, et pour s'opposer à Anne il a soutenu Louis d'Orléans, rival d'Anne et héritier du trône. Si l'on regarde bien la guerre dite d'indépendance de la Bretagne (1487-1491), en fait, on a l'impression d'une grande affaire de famille, un peu sanglante. Les liens vassaliques renforcés par des liens familiaux permettaient au roi de France de croire en la loyauté du duc de Bretagne et de son côté le duc avait presque l'assurance d'être libre chez lui. Et puis c'était aussi pour le roi une manière de gouverner à moindre coût. Il n'avait pas à payer une armée d'agents et surtout il ne pouvait être partout. Nous sommes au Moyen Age et les réalités ne sont plus les mêmes qu'aujourd'hui, surtout géographiques. Aujourd'hui, en avion, il faut une heure entre Paris et Brest, alors que jusqu'à la fin du XIXe siècle on mettait des jours entiers voire plus d'une semaine et encore en allant vite pour faire le même trajet.
On me parlera bien sûr des rois de Bretagne du IXe siècle, Nominoë, Salomon, Erispoë. Bien sûr qu'ils ont gagné des batailles contre les souverains carolingiens, faisant des conquêtes. Etaient-ils indépendants ? Bien sûr, mais comme d'autres à un moment ou à un autre, ils ont prêté hommage aux Carolingiens qui ne demandaient, comme les rois de France plus tard, que ce signe de loyauté pour avoir un peu confiance et voir ailleurs.
On me parlera aussi, j'en suis certain, de l'après 1532. Bien sûr que François Ier de France en a profité pour placer dans l'administration bretonne les agents de sa Couronne. Mais lui comme ses successeurs ont fait attention, très attention, à ne pas gêner la haute noblesse bretonne qui tenait les Etats de Bretagne et donc les finances, la justice et l'armée de la Bretagne, haute noblesse qui leur était étroitement apparentée (François Ier a eu une grand-mère bretonne). Les gouverneurs de Bretagne nommés par les rois étaient au sommet de cette haute noblesse. Et ils n'étaient pas sans pouvoir. Il y a bien eu l'épisode de Louis XIV (surtout à la fin de son règne), mais Louis XV et Louis XVI se sont reposés sur leurs cousins, les ducs de Penthièvre, qui possédaient la moitié de la Bretagne et dominaient l'amirauté de Bretagne, et donc tout le trafic maritime. Bref, les rois de France ne faisaient pas ce qu'ils voulaient en Bretagne très loin de là.
Tout le système politique était ainsi et cela a duré fort longtemps, jusqu'à la Révolution pour la France, et pour l'Europe jusqu'à Napoléon qui a tout bousculé. Les familles royales, au Congrès de Vienne en 1815, ont profité de la disparition de l'empereur pour réorganiser l'Europe et unifier leurs territoires. Ras-le-bol de l'émiettement de leurs possessions. Les temps n'étaient plus au nomadisme princier, à changer tout le temps de château. Les souverains ont décidé de vivre dans leurs palais dans leur capitale. Et ainsi ils favorisèrent l'idée d'Etat-nation, comme dans l'empire de toutes les Russies (où devaient dominer les Russes), au Royaume-Uni (où devaient dominer les Anglais), dans l'empire d'Autriche (qui devait être dominé par les Allemands), en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Belgique, en Roumanie, etc. Et en France ? L'idée d'Etat-nation, dominée par un peuple parlant la même langue, a été parfaitement intégrée par les dirigeants de la très jeune République française (née il faut le rappeler entre 1871 et 1875). Comme elle ne pouvait se reposer sur une famille royale qu'elle avait exilée, elle s'est appuyée sur des lois, lois qui ont du mal aujourd'hui à être comprises, lois qui sont dominées maintenant par d'autres lois, celles-ci européennes, élaborées par une Europe encore très influencée par le système monarchique du XIXe siècle, mais qui semble de plus en plus regarder vers le système des monarchies médiévales.