ABP a rencontré les moines de l'Église celtique apostolique à Saint-Dolay dans le Morbihan. L'évêque Marc a accepté de répondre aux questions d'ABP sur les origines et les traditions de cette Église.
On désigne par l'expression « chrétientés celtiques » la forme particulière de christianisme qui s'est développée dans les pays celtiques pendant tout le haut Moyen Âge – laquelle commence en Irlande avec Saint Patrick en 432 et se termine officiellement en Bretagne par la destruction de Landévennec en 818 et en Irlande par la conquête anglo-normande. L'Église celtique se distinguait de l'Église romaine par son appui sur le monachisme. Il n'y avait pas d'évêques, les abbés étaient les véritables leaders de cette église. Le nom de ces chefs religieux est resté dans la mémoire collective et la toponymie bretonnes après sanctification populaire et intégration dans le légendaire. Cette différence organisationnelle, si caractéristique de l'esprit d'indépendance des Celtes était bien sûr plus importante que les signes extérieurs comme la tonsure et la date de la fête de Pâques. Les différences furent prétextes à des conflits, voire à des guerres.
En 1155, la Bulle papale Laudabiliter du pape (d'origine anglaise) Adrien accorde la suzeraineté sur l'Irlande au roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt. C'est l'approbation du pape pour l'invasion de l'Irlande, qui devient la Seigneurie d'Irlande. Les raisons du pape : l'Église celtique irlandaise est trop indépendante et refuse de participer aux croisades. On connaît aussi l'acharnement de la papauté à vouloir rattacher les évêchés bretons à Tours.
L'Église orthodoxe celtique, dite aussi Église celtique apostolique, est une Église orthodoxe non canonique qui se revendique l'héritière des anciennes chrétientés celtiques. Le chef de l'Église porte le titre de Métropolite de Dol et Évêque titulaire d'Iona, avec résidence au monastère de la Sainte-Présence à Saint-Dolay dans le Morbihan. Le titulaire actuel est Sa Béatitude Maël depuis 1995.
Exploitant un corpus littéraire considérable, grâce au concours de théologiens et d'historiens, elle a pu restaurer les formes liturgiques originelles du rite occidental ancien (gallican, mozarabe, milanais et celtique), qu'elle utilise aujourd'hui pour ses célébrations. À l'heure actuelle, elle dispose de la liturgie eucharistique (anaphore celtique) et de l'office des heures. Elle est en train de compléter les anaphores, le pontifical (baptême, ordinations, funérailles) ainsi que le calendrier des lectures. Elle a adopté le calendrier grégorien, pour les fêtes fixes et la Pâque.
L'Église Orthodoxe Celtique accepte seulement les sept premiers conciles, mais, par sa filiation apostolique reçue de l'Église Orthodoxe Syrienne, elle considère que seuls les trois premiers sont réellement œcuméniques, c'est-à-dire Nicée, Constantinople et Éphèse, puisque reçus par toutes les Églises.
[ABP] Votre Église se nomme « Église celtique apostolique ». Par Église on comprend une communauté de fidèles, par celtique on comprend que vous reprenez les traditions de l'ancienne Église celtique. Que voulez-vous dire par apostolique et pourquoi le terme apostolique a-t-il remplacé le terme « orthodoxe » que vous semblez avoir utilisé au début ?
R/ Le terme apostolique veut dire qu'une Église a été fondée par un apôtre ou un disciple direct du Christ. Notre Église est apostolique parce qu'elle fut fondée par Saint Joseph d'Arimathie en l'an 37. Selon la tradition, il s'établit dans les Îles Britanniques, sur un lieu situé dans l'actuelle ville de Glastonbury (Somerset).
Le terme Orthodoxe est toujours utilisé pour notre Église. Il signifie que nous partageons la même foi que les des Églises Orthodoxes, bien que nous ayons une organisation, une discipline et des coutumes différentes. Les termes apostolique et orthodoxe sont en fait similaires, car la foi orthodoxe suppose qu'elle soit transmise par une lignée d'évêques qui remonte jusqu'à un apôtre du Christ.
[ABP] On assiste aussi à la résurgence de l 'Église celtique dans les pays anglo-saxons. Les lieux sacrés comme Iona et Lindisfarne semblent habités de nouveau par des communautés se réclamant de cette Église. Avez-vous une affiliation ou des relations avec ces communautés... ou vos affiliations sont-elles uniquement avec les textes et les rites qui ont existé autrefois dans ces communautés avant leur disparition ?
R/ Nous avons de bonnes relations avec ces communautés, mais elles sont surtout protestantes. Nous sommes la seule Église orthodoxe se réclamant héritière de la tradition chrétienne celtique. Cela implique de retrouver le Rite (liturgie eucharistique, offices monastiques, l'ensemble des rites sacramentaux que l'on appelle l'Euchologe) pratiqués par les pères celtiques en les actualisant et les adaptant pour notre temps. La spiritualité et l'esprit de l'Église celtique sont également très importants. Nous travaillons avec les meilleurs spécialistes en la matière. À notre connaissance, aucune autre Église n'a fait le même travail de recherche.
[ABP] La disparition de l'Église celtique au Moyen Âge précède-t-elle la disparition des royaumes celtiques ? Quand Convoion vient fonder l'abbaye de Saint Sauveur à Redon, ne choisit-il pas la règle bénédictine, donc l'obédience à Rome ? Que s'est-il passé en Bretagne ? La destruction de Landevennec par les Normands marque-t-elle la fin de l'Église celtique en Bretagne comme l'affirme le professeur Christian J. Guyonvarc'h ?
R/ L'Église Celtique était constituée surtout de monastères dirigés par un père spirituel, souvent un noble d'un clan. Il est vrai qu'il y avait une étroite relation entre le clan et le ou les monastères. Cependant, les missionnaires si nombreux qui ont rechristianisé l'Europe du VIe au VIIe siècle, montrent que l'Église celtique n'était pas l'Église uniquement des Celtes. Le message du Christ et son œuvre rédemptrice sont universels. L'idée d'une Église liée à un système politique était étrangère aux Celtes. Il est normal qu'une Église locale s'actualise dans la culture d'un lieu, mais les Celtes avaient une vision absolue de la foi, de Dieu, qui ne pouvait pas se limiter à conception politique quelle qu'elle soit.
La Bretagne a tenté de conserver une autonomie religieuse par rapport à l'Église franque. Lors de son indépendance politique au IXe siècle, elle crée la métropole de Dol pour ne pas être sous l'autorité de la métropole de Tours, mais cela signifie qu'elle se situe déjà dans le cadre de l'Église romaine. Elle était constituée en diocèses et une métropole, comme toutes les Églises à l'intérieur de l'empire gréco-latin. On comprend mieux le choix de Convoion. Les règles celtiques sont partout remplacées par une règle mitigée ou celle de Saint Benoît. La destruction de l'abbaye de Landevennec par les Normands en 913, est une date symbole car il s'agissait d'une fondation importante, mais comme je l'ai dit plus haut, le christianisme celtique breton s'était aligné sur bien des points sur le christianisme romain.
[ABP] Vous vous dites non canoniques, cela veut-il dire que vous ne reconnaissez pas l'autorité de Rome ?
R/ Non-canonique est un terme emprunté à certaines Églises historiques. Cela signifie qui n'est pas conforme aux règles établies. Mais, en fait, cette définition est plus complexe. Dans le passé, chaque Église affirmait détenir la Vérité et les autres étaient hérétiques et par conséquent non-canoniques. Aujourd'hui, cela veut dire qu'une Église comme la nôtre, dont la vocation est de restaurer l'héritage spirituel de l'Église Celtique, de se réapproprier une mémoire, une tradition, un esprit, est considérée par d'autres Église comme non-canonique, autrement dit : non reconnue. L'Église Orthodoxe Celtique reconnaît toutes les autres Églises et nous travaillons pour l'unité de l'Église.
[ABP] Dans votre calendrier, on voit de nombreux saints bretons que l'on pourrait classer comme des saints de l'ancienne église celtique. On trouve Saint Guénolé, Saint Pol Aurelien, Saint Paterne, Saint Mériadec et d'autres. On trouve aussi Saint Brenn, Saint Brendan, Saint Yves, des saints catholiques canonisés et officialisés comme d'ailleurs Sainte Anne. On trouve aussi d'autres noms comme Gobain, Prospère, Lucien, Théophile... Comment est établie cette liste ? Sur quelle base? Qui décide ?
R/ Les saints sont universels. Les saints anciens ont été canonisés par la vox populi. La sainteté est la même quels que soient l'Église et les cultures. L'Église est une et indivisible. Chaque Église est porteuse d'une diversité qui ne s'oppose pas à l'unité. La sainteté est d'ailleurs le miroir de cette unité dans la diversité. Dans un calendrier, il y a des saints directement issus de sa propre Église, des Pères de l'Église, des apôtres ou disciples qui sont universels, de la tradition occidentale par exemple, puis d'autres qui se sont révélés au cours de l'histoire. Il n'y a pas de cloisons dans la sainteté. Elle transcende les limites géographiques et les institutions. Notre calendrier a été fixé par le saint Synode de notre Église qui est l'assemblée des évêques et présidée par un primat.
[ABP] Vous vous réclamez de Saint Tugdual, un ermite moderne des années soixante que vous avez canonisé et qui est le fondateur de l'ermitage de Saint Dolay. Qui était Tugdual et quel fut son œuvre ?
R/ Tugdual, dont le nom civil était Jean-Pierre Danyel, fut converti au Christ durant sa longue captivité en Prusse orientale lors de la dernière guerre mondiale. Il vint s'installer dans le bocage breton, au lieu-dit le Bois-Juhel en Saint-Dolay en janvier 1955, pour y prier et consacrer sa vie à la contemplation. Les premiers temps, il vécut très pauvrement dans une hutte de branchages. Les habitants alentour lui apportaient de quoi se nourrir. Puis il bâtit une petite chapelle en bois. Il dédia son ermitage à la Sainte Présence. Avec le temps, un ermitage en dur vit le jour, mais il ne put jamais achever la petite chapelle y attenant et dont on peut voir encore le clocheton et la croix celtique qui le domine.
Moine et prêtre dans l'Église Orthodoxe Celtique, il restaura la spiritualité et la tradition du monachisme celtique. Il fut consacré évêque sous le nom de Tugdual, l'un des Sept Saints Protecteurs de Bretagne. Il était poète, prédicateur de talent, connaissait la théologie des trois grandes confessions chrétiennes. On lui attribuait également un charisme de thaumaturge. On venait parfois de loin, dans l'espoir d'obtenir une guérison. Sa santé était fragile et il savait que sa vie serait brève. Il n'en mena pas moins une vie ascétique dans la pauvreté, le jeûne et la prière, malgré l'humidité récurrente du lieu. Il récitait chaque jour le Psautier dans son intégralité.
Son œuvre connut de grandes adversités. Il mourut le 11 août 1968, à l'âge de 51 ans, miné par la maladie. L'ermitage resta abandonné et un épais roncier l'envahit. Dix ans après, des moines relevaient l'ermitage pour y fonder un monastère et continuer la mission. Sa spiritualité, son esprit sont développés dans vingt-cinq cahiers où il consigna ses méditations. Ils sont en cours d'édition. En 1996, l'Église Orthodoxe Celtique procéda à sa canonisation.
[ABP] N'avez-vous pas peur vous aussi d’être finalement récupérés par l’église romaine comme le fut de force ou de gré l’église celtique du haut moyen age ?
R/ Le vrai danger ne vient jamais pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. L’Église celtique aurait dû survivre à l’hégémonie romaine, mais il a connu son heure de décadence. Relisons le De exidio de saint Gildas le sage à propos des tribus bretonnes fuyant l’envahisseur anglo-saxon. Les Celtes n’ont jamais pu être un peuple unifié devant leurs ennemis et ce même individualisme, qui est une tare récurrente chez les Celtes, fut probablement une des causes de la décadence spirituelle des grands centres monastiques. Les destructions par les envahisseurs sont des conséquences, pas des causes. L’Église Celtique reste pourtant porteuse d’une force spirituelle dont la clarté ne cessera de grandir dans les temps à venir. Il ne s’agit de l’Église Celtique en tant que structure, mais de sa spiritualité et de son esprit, car ils incarnent l’Église indivise.
Le danger d’être récupéré vient de la richesse. Richesse en biens matériels, la perte d’un esprit de simplicité et de pauvreté, l’orgueil d’avoir pignon sur rue et de d’être politiquement et religieusement corrects. Il ne s’agit pas d’être marginal, mais simplement d’être fidèle, sincère et persévérant dans cet idéal et cet art de vivre en Christ comme nos pères l’ont si magnifiquement témoignés.
[ABP] Au XV siècle, un ermite, François d’Assise (dont la mère était française et peut-être bretonne), a fondé la communauté des franciscains. À bien des égards, sa vie est comparable à nos saints ermites bretons qui eux aussi étaient très près de la nature, à la limite même du chamanisme puisque eux aussi parlaient aux oiseaux, aux loups mêmes et pouvaient communiquer avec les forces de la nature. On sait aujourd’hui que toute sa vie François d’Assise a ignoré Rome. Il ne se réclamait pas de cette église. Sur ces derniers jours, il a succombé à la pression de Rome devant les menaces de bûchers. Les franciscains ont donc été récupérés. incorporés dans l’Église catholique, ils l’ont peut-être même sauvée d’un effondrement total. Finalement, ils ont participé a la colonisation de l'Amérique hispanique et a des choses qui étaient certainement contraires aux principes mêmes établis par saint François, leur père spirituel.
R/ Dame Pica, la mère de saint François était probablement provençale, bien que certains aient pensé qu’elle soit picarde. Bretonne, je ne crois pas, mais qu’elle importance car le monde celte ne se limite pas à la Bretagne.
Oui, la spiritualité de saint François était tout à fait celtique. Plusieurs auteurs ont souligné l’incroyable ressemblance de son esprit avec les saints celtes. Il est fréquent et commun dans la tradition chrétienne que les animaux vivent paisiblement au contact des saints, mais il est vrai que dans l’Église celtique, les témoignages de la cohabitation harmonieuse des saints et des animaux sauvages sont fréquemment rapportés. Saint François partage avec les saints celtes le même esprit et la même spiritualité comme nous l’avons dit. Parmi les principales caractéristiques, il y a la pérégrination, la pauvreté, l’amour de la création et de tous les hommes et surtout, le désir de ne pas constituer un ordre monastique comme les ordres religieux de son époque. Le choix de la vie monastique est une réponse absolue à l’Amour absolu de Dieu pour l’homme. Pas de couvent, pas d’institution, pas de biens à défendre, pas de papauté ou d’Église à glorifier. Saint François est la clef pour comprendre l’Église celtique aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous l’avons choisi comme saint protecteur de notre monastère. Cependant, saint François ne fut pas contre Rome. Il ne fut contre personne, car pour lui « l’Amour est tout qui est Dieu même ». Il ne fut pas contre Rome, mais il lutta juqu’au bout pour préserver son œuvre. Il n’y parvint pas. A sa mort, ses premiers compagnons résistèrent en vain et il est vrai que les missions franciscaines du nouveau monde n’ont pas grand chose à voir avec leur père spirituel, même si de grandes figures franciscaines force l’admiration.
Nous croyons que l’esprit de saint François, universellement aimé dans toutes les religions, sera l’esprit qui réalisera l’unité des Églises. Il ne fut pas le seul, mais il est sûrement celui qui incarne le mieux un christianisme dépouillé, humble et pauvre ou l’amour sera son principe vital.
[ABP] L’Église celtique en Bretagne a combien de fidèles, de religieux ? il y a-t-il d’autres centre que Saint-Dolay ? comment voyez vous l'avenir
R/ Mgr Mael, notre actuel primat a fait beaucoup pour réformer et restaurer l’Église dans sa grande tradition. C’est un travail long et obscure, mais nous en voyons actuellement les fruits. Nous sommes peu nombreux, mais en constante croissance. Il y a 11 moines et 3 moniales et des paroisses dispersées en Bretagne, en France, en Suisse, dans les Îles Britanniques, aux USA et une paroisse en Australie. Depuis peu, trois Églises orthodoxes de tradition occidentale, dont la nôtre ont décidé de s’unir, afin de réaliser une communion dans l’esprit de nos pères celtes.
Philippe Argouarch