Logo ABP
ABP e brezhoneg | ABP in English |
-
- Présentation de livre -
Histoire de France, le point de vue breton
Les Français, est-ce un peuple ou (seulement) une population ? Pour quiconque se penche aujourd’hui sur l’histoire de France, cette question préalable se pose.
Par Jean-Pierre Le Mat pour ABP le 2/01/25 20:53

Les Français, est-ce un peuple ou (seulement) une population ?

Pour quiconque se penche aujourd’hui sur l’histoire de France, cette question préalable se pose. Elle s’était posée avec la loi Lamine-Gueye du 7 mai 1946, qui tendait à reconnaître comme citoyen français de plein droit tous les ressortissants des colonies et territoires d’Outre-mer. La décolonisation a permis de faire en sorte que la culture et la législation françaises s’inscrivent dans une continuité ouest-européenne. Les philosophes des Lumières et les théoriciens de la démocratie moderne ont passé leur vie a démontré que « l’esprit des lois » doit s’adapter à chaque peuple, à sa culture, à son climat, à son histoire, même si des valeurs morales abstraites ne sont pas inutiles.

Aujourd’hui, la question de l’existence d’un peuple français historique, doté d’une personnalité et d’une culture propres, se pose à nouveau. Les causes en sont diverses. Je pourrais évoquer la mondialisation, la construction européenne, l’immigration étrangère, le libéralisme sans frontière, le nomadisme des riches, les mutations professionnelles des classes moyennes…

Histoire de la France, le point de vue breton

Alors, histoire de France, histoire de quoi ? D’un peuple ? D’un territoire (lequel, d’ailleurs ?…) ? d’un État ? d’une nation ? Histoire de France, histoire de quoi ?

Pour mon « histoire de France, le point de vue breton » , j’ai choisi, dans le sillage de Hannah Arendt, de considérer la France comme un « espace public » . Résumons en quelques lignes une histoire de près de deux millénaires.

Cet espace public apparaît dans l’histoire européenne avec les Francs. C’est un ensemble hétéroclite de tribus germaniques, qui s’individualise dans le cadre de l’empire romain, puis de la chrétienté occidentale. L’aristocratie militaire franque se taille un royaume en Gaule, et se constitue ainsi un espace public spécifique, avec une organisation de type militaire. La Loi Salique, violente et machiste, en est l’illustration. Ce corpus législatif des Francs Saliens sera revendiqué en France au Moyen-Âge comme une référence politique.

L’espace public franc devient confus lors de la création de l’empire de Charlemagne. Les fiefs seigneuriaux et les territoires communautaires non contrôlés par les Francs créent leurs propres espaces publics, malgré les revendications impériales puis royales. La plupart des « Histoires de France » officielles ne doutent pas un instant de la véracité et de la neutralité des chroniqueurs francs qui relayent ces revendications. Aujourd’hui, les historiens en doutent.

À partir du XIe siècle, la notion de « bien public » apparaît. Le royaume devient une affaire publique et n’est plus la propriété privée d’une famille régnante. Sous Phillipe Auguste (1180-1223), le « roi des Francs » devient « roi de France » . L’espace public français prend une dimension territoriale et non plus seulement communautaire.

Lors de la Guerre de Cent Ans (1328-1453), un sentiment national français se forge sur le rejet des Anglais, considérés comme des étrangers.

Progressivement, le pouvoir royal s’assure d’un monopole administratif. La fin du XVIe siècle, après les guerres de religion, le pouvoir politique devient la référence principale, au détriment de la religion.

L’espace public français se veut homogène. Cette volonté d’homogénéité culmine lors de la révolution de 1789 avec l’invention du « citoyen » , « cet homme abstrait, né orphelin, resté célibataire et mort sans enfants » (comme le disait Ernest Renan). La puissance française devient à la fois un idéal d’État et la justification d’une mission planétaire. Cette mission planétaire passe par les guerres napoléoniennes et par la colonisation.

Sous la Troisième République, l’espace public français connaît son apogée. Mais tout s’effondre en 1940, d’une manière tellement abrupte qu’elle semble inexplicable. C’est « l’étrange défaite » . Après la guerre 39-45, l’espace public français se rétablit sur le mythe de la Résistance. Il oublie (un peu) son arrogance et tend à s’intégrer dans un espace public plus large, européen et mondial. Il y perd de son évidence collective et de sa référence identitaire. 

Au XXIe siècle, au sein des univers refoulés dans la sphère privée, se développent des communautés qui, comme les Francs d’autrefois, structurent de nouveaux espaces publics. La France devient un archipel d’intérêts et de cultures. La dislocation de l’espace public français n’est pas, à proprement parler, une tragédie. Elle est le signe d’une évolution à la fois sociale, technologique et politique. Elle marque aussi la fin d’une période historique, celle de la Modernité, comme la Renaissance avait marqué la fin du Moyen-Âge.

Je laisse Hannah Arendt mettre la dernière touche à mon tableau de l’Histoire de France : « Depuis le déclin de leur domaine public autrefois glorieux, les Français sont passés maîtres dans l’art d’être heureux au milieu des ‘petites choses’ (…). [En France], le domaine public s'est presque entièrement résorbé et la grandeur a presque partout fait place au charme » . Pour la France, un cycle historique est sans doute en train de se terminer par cette « résorption du domaine public » .

Une nouvelle ère s’ouvre pour les nations autochtones. Ne pas se vouloir français, OK… Mais que veut dire aujourd’hui « être français » ? Il est important pour nous de le savoir, afin d’établir avec les tenants de la France, non pas un rapport de forces tapageur, mais un rapport de culture, un rapport d’intelligence et de sensibilité. Réfléchissons sur le long terme. Nous sommes peut-être dans la même situation que les Francs au sein de l’empire romain finissant, puis de la Chrétienté européenne…

« Histoire le France, le point de vue breton » est en vente dans toutes les bonnes librairies et sur le site de l’éditeur, .

Jean Pierre Le Mat

Voir aussi sur le même sujet : Histoire, France
8  1  
Jean-Pierre Le Mat est chef d'entreprise (en retraite) et auteur. Il a en particulier réédité et complété l'Histoire de Bretagne de Henri Poisson; Patrick Pearse et l'insurrection irlandaise de 1916; les cent vies de l'hermine; Histoire de Bretagne, le point de vue breton; Enquêtes sur les prophéties de Merlin ; Carnet d'un Bonnet rouge ; Ils ont fait la France. Il anime le site contreculture.org.
[ Voir tous les articles de de Jean-Pierre Le Mat]
Vos 3 commentaires
Yannig Coraud Le Vendredi 3 janvier 2025 10:03
Bloavezh Mat d’an Holl
Une fois de plus Jean Pierre Le Mat nous fait fonctionner nos neurones après une période où comme le dit un ami on était “flytoxés” particulièrement dans notre Pays La Bretagne. J’habite dans le Pays Nantais à Sainte Reine de Bretagne où comme son nom l’indique on ne serait pas en Bretagne d’après certains français de l’Ouest!
Une profonde évolution socio-économique modifie nos comportements
Les Empires que certains croyaient immortels se délitent mais font encore du mal la france n’y échappe pas.
Mais l’Espoir est au bout du chemin J’ose y croire Spi ‘meus!
Le Peuple Breton vit encore aujourd’hui sous la dépendance de la France de Vichy .Certains y croient encore d’autres souhaitent tourner la page. N’importe comment on entre dans une Nouvelle Ère Isn’t
(1)  Envoyer un mail à Yannig Coraud
Naon-e-dad Le Vendredi 3 janvier 2025 12:06
Enfin un point de vue original. Très intéressant coup de projecteur sur l’Histoire de France.
.
Il faudrait cependant attirer l’attention sur l’intérêt que l’Eglise de Rome avait à faire basculer les turbulents Francs de son côté, et pourquoi elle a œuvré en ce sens. Une affaire de théologie (voir les différents points de vue et hérésies liées à la Trinité, en Christianisme des premiers siècles, et les conséquences géo-politiques de ces affrontements dans les débris de l’Empire romain finissant) : pas certain que Clovis, en choisissant le baptême romain plutôt qu’un autre, et entrainant quelques 300 guerriers à sa suite, ait immédiatement tout compris - sa femme Clothilde a eu un rôle influent dans sa décision, dit-on -, mais l’évêque Rémy (de Reims) visait, sans aucun doute, la stabilité civilisationnelle sur le long terme... Des historiens spécialisés (par exemple Michel Rouche) ont développé une réflexion sur cet aspect estimé très important pour les siècles qui ont suivi...
.
L’arrivée des Bretons en Armorique du IV au VI° siècle, déjà christianisés de longue date, mais non Romains d’un point de vue social ou organisationnels, ne pouvait que se heurter à une société aux racines franques (indépendamment d’autres aspects anthropologiques, ethniques, linguistiques, etc...).
.
Aujourd’hui, certains milieux se sentent très à l’aise, du point de vue de la filiation culturelle avec Clovis. Et une certaine idée historique de la France, comme si cette perception devait s’imposer à tous. Quand vous leur faites aimablement remarquer que leur point de vue, mono-centré, n’est autre que celui de l’Histoire vue par les vainqueurs (militairement parlant), ils s’en étonnent et ne comprennent pas l’objection...ou le décalage culturel.
.
C’est ici que le livre de Jean-Pierre Le Mat, si l’on suit le déroulé exprimé dans l’article, vient à point. Outre le fait qu’il réfère à Hannah Arendt, il mérite, me semble-t-il, une attention toute particulière.
.
Cinq cents ans après son annexion frelatée, la Bretagne, qui ne renonce pas à survivre, reste très certainement une pièce maitresse, pour mieux comprendre l’Histoire hexagonale (l’espace public envisagé par l’auteur), cette grande broyeuse, et plus généralement l’Histoire occidentalo-européenne...Réfléchir sur cette histoire (Clovis ou pas-Clovis), avec ses multiples versants, francien et autres (dont l’armoricain), est plus que jamais indispensable au moment d’imaginer un avenir aux contours flous... et de s’y projeter. Réfléchir pour infléchir.
.
N’en deus ket lâret Breizh he ger ziwezhat, kredapl bras. Kenderc’hel a ra an istor, c’hoazh hag hep fin.. E beg douar-bras Europa, e-tal d’ar mor-bras, gant ma vo eus Breizh, e chomo hag e zigoro un dazont...
(1) 
De Anne Merrien à Naon-e-dadLe Vendredi 3 janvier 2025 18:53
Les Bretons insulaires étaient d'anciens citoyens romains. Et ce pendant trois siècles, d'où l'abondance de mots latins en breton ou en gallois. La Bretagne armoricaine fut même un des rares endroits de l'Empire romain d'occident ayant échappé aux invasions germaniques.
(1)
Commenter :
Votre email est optionnel et restera confidentiel. Il ne sera utilisé que si vous voulez une réponse d'un lecteur via email. Par exemple si vous cherchez un co-voiturage pour cet évènement ou autre chose.
ANTI-SPAM : Combien font ( 3 multiplié par 5) ?

ABP

  • À propos
  • Contact
  • Mentions légales
  • Données personnelles
  • Mise en page
  • Ligne éditoriale
  • Sur wikipédia
  • Agir

  • Demander une accréditation
  • Contacter la rédaction
  • Poster votre communiqué vous même
  • Écrire une dépêche
  • Envoyer un flash info
  • Nous suivre

    2003-2024 © Agence Bretagne Presse, sauf Creative Commons