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- Disparition -
Disparition de Julien Gracq
Profondément lié à la Bretagne, Julien Gracq, l'un des plus grands écrivains actuels en langue française, est mort le 22 décembre à Angers à l'âge de 97 ans. Depuis son départ en retraite, en 1970, Louis Poirier, surtout connu sous son nom de plume de Julien Gracq, vivait dans la maison héritée de ses parents, à Saint-Florent-le-Vieil, sur la rive gauche de la Loire, juste en face de la cité bretonne de Varades
Bernard Le Nail pour ABP le 23/12/07 15:46

Profondément lié à la Bretagne, Julien Gracq, l'un des plus grands écrivains actuels en langue française, est mort hier à Angers, à l'âge de 97 ans. Depuis son départ en retraite, en 1970, Louis Poirier, surtout connu sous son nom de plume de Julien Gracq, vivait dans la maison héritée de ses parents où il avait passé toute son enfance, à Saint-Florent-le-Vieil, sur la rive gauche de la Loire, juste en face de la cité bretonne de Varades, située sur la rive droite. C'est à la suite d'un malaise survenu dans cette maison, il y a quelques jours, qu'il avait été transporté au CHU d'Angers.

Saint-Florent-le-Vieil est une petite cité profondément marquée par l'histoire. Son ancienne abbbaye, située sur le mont Glonne, fut ainsi ravagée par le roi breton Nominoë. Plus tard, elle dut à sa situation de paroisse frontalière entre la France et la Bretagne de voir passer de nombreuses armées et, à l'époque de la Révolution française, elle fut encore le théâtre d'événements historiques importants : c'est à Saint-Florent que vint ainsi mourir le 14 juillet 1793 Jacques Cathelineau, l'un des grands chefs de l'insurrection vendéenne, dont le tombeau rappelle le souvenir. C'est encore à Saint-Florent, quelques mois plus tard, dans la soirée du 17 octobre, que 150 000 Vendéens, poursuivis par les armées républicaines après la sanglante défaite de Cholet, refluèrent pour traverser la Loire et passer en Bretagne. Ne pouvant emmener avec eux leurs quelque 5 000 prisonniers "bleus", ils s'apprêtaient à les fusiller quand l'un de leurs chefs, Bonchamp, lui-même mortellement blessé, ordonna qu'on leur fasse grâce. Bonchamp mourut quelques heures plus tard à bord du bateau qui le transportait vers la rive bretonne. Son tombeau, à Saint-Florent, porte ses dernières paroles « Grâce aux prisonniers ».

Le petit Louis Poirier fut élève de l'école communale de Saint-Florent d'octobre 1916 à juillet 1919, puis il fut envoyé au lycée Clemenceau, à Nantes, où il devait faire toutes ses études secondaires. Le lycée est située à deux pas du château des ducs de Bretagne et de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul où se trouve le magnifique tombeau érigé par Anne de Bretagne pour ses parents... Il partit ensuite étudier à Paris, au lycée Henri IV, où il eut comme professeur de philosophie Émile Chartier, plus connu sous le nom d'Alain. Reçu à l'École nomale supérieure alors qu'il n'avais pas encore 20 ans, il y eut comme camarade et bientôt grand ami un jeune Brestois dénommé Henri Queffélec. C'est avec celui-ci et aussi avec un autre camarade, que, grâce à une bourse du gouvernement hongrois, Louis Poirier se rendit l'été suivant, en 1931, à Budapest pour un séjour d'un mois à l'Eotvös Koleguiù, l'équivalent hongrois de l'École normale supérieure. Les trois jeunes gens en profitèrent pour revenir ensuite par Ljubljana, puis par Venise. Puis, à la fin du mois de septembre, Louis Poirier vint voir son ami Henri Queffélec chez lui à Brest et les deux compagnons partirent ensemble découvrir la pointe de la Bretagne ; ils se rendirent à Ouessant et parcoururent aussi la péninsule de Crozon. Louis Poirier devait en rester profondément marqué, de même qu'il allait l'être peu après, à la lecture de "Nadja" d'André Breton, par la découverte du surréalisme. Il devait rencontrer André Breton en 1938, mais prendre assez vite ses distances par rapport à lui et à son mouvement.

Reçu en 1935 à l'agrégation d'histoire-géographie, Louis Poirier, après avoir accompli son service militaire, se fit nommer en Bretagne en 1936, d'abord au lycée Clemenceau de Nantes, qu'il connaissait bien, puis au lycée de Quimper. C'est dans cette ville qu'il fut mobilisé en 1939 à la déclaration de la guerre. En 1938, Louis Poirier, sous le nom de Julien Gracq, avait envoyé un premier roman, "Le Château d'Argol" aux éditions Gallimard, qui l'avaient refusé. Il s'était alors tourné vers un tout petit éditeur de littérature, José Corti, qui avait accepté de le publier. Profondément reconnaisssant, Julien Gracq devait lui rester fidèle toute sa vie. Cette première édition du "Château d'Argol" ne fut cependant pas un grand succès et il ne s'en vendit que 150 exemplaires... Envoyé en Lorraine, puis à Dunkerque, Louis Poirier fut fait prisonnier en juin 1940 et expédié dans un camp de prisonniers en Silésie, mais, étant tombé malade en 1941, il obtint d'être rapatrié et il fut expédié à Marseille. C'est alors qu'il découvrit l'œuvre d'Ernst Jünger, dont il devait faire la connaissance après la guerre.

Après la Libération, Louis Poirier fut nommé professeur à Paris, au lycée Claude-Bernard, où il devait rester 25 ans, jusqu'à son départ en retraite et son retour au pays natal. En 1945, il fit paraître un nouveau roman : "Un Beau ténébreux", puis en 1947 un ouvrage poétique, "Liberté grande", et, en 1949, il fit jouer à Paris une pièce de théâtre, "Le Roi pêcheur", mais, très déçu par l'attitude de la critique, il publia l'année suivante un vigoureux pamphlet : "La littérature à l'estomac". En 1951, Julien Gracq fit scandale dans le microcosme médiatico-littéraire parisien en refusant le prix Goncourt décerné à son roman "Le Rivage des Syrtes". Il n'en poursuivit pas moins son œuvre qui compte au total dix-neuf titres, dont encore un roman : "Un Balcon en forêt" (1958), un recueil de nouvelles : "La presqu'île", des textes de critique, des essais et ce que l'on pourrait appeler des promenades de géographe inspiré : "La forme d'une ville. Étude de Nantes" (1985), qui apparaît comme un véritable hymne d'amour à la vieille capitale des ducs de Bretagne, et "Autour des sept collines" (1988), qui est aussi une merveilleuse promenade dans la ville de Rome.

Même s'il s'est toujours défendu d'être un écrivain breton, Julien Gracq a été, par sa vie et son œuvre, profondément lié à la Bretagne. Cet homme modeste, discret et même secret, n'a pas eu de disciples, mais ce n'est sans doute pas un hasard si, parmi ceux qui ont été les plus proches de lui depuis un quart de siècle, on trouve l'écrivain Philippe Le Guillou, né au Faou en 1959, qui lui a consacré un très bel essai en 1991.

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Bernard Le Nail est un écrivain fondateur de la maison d'édition LES PORTES DU LARGE. Contributeur ABP
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