Des ports sans salut : un traumatisme breton
"Etre an douar hag ar mor" : entre terre et mer. Voilà une expression qui hélas n'est plus pertinente. Nous sommes contraints à regret de la transformer par « etre an douar hag an draezenn » : entre terre et plage.
Il est affligeant de devoir faire le constat que la mer n'évoque plus que le sable fin en haute-saison et les exploits des émules d'Éric Tabarly. Il existe bien une recherche océanographique et halieutique, une ingénierie navale de bon niveau, quelques activités de pêche, d'aquaculture et de conchyliculture. Mais il n'existe pas de politique portuaire.
Osons la provocation : il n'y a plus de ports dignes de ce nom en Bretagne. Le littoral est devenu une frontière, une limite qui ne joue plus son rôle d'interface, de lien de continuité entre deux univers complémentaires et inséparables.
C'est économiquement désastreux et culturellement dramatique.
Économiquement désastreux parce que la mer a rendu la Bretagne prospère tout au long de son histoire jusqu'à l'apparition de la voie ferrée. Le commerce maritime breton s'est alors trouvé marginalisé et la Bretagne enfermée dans un marché national de taille réduite. La Bretagne ne commerce plus.
Culturellement dramatique parce que le Breton faisait face au monde. C'est toute une perception qui a été modifiée, changeant l'horizon maritime en un Paris terrien, lointain, inhospitalier, rendant la Bretagne dépendante de décisions qui ne servaient pas ses intérêts.
Cette métamorphose, véritable traumatisme, a créé un électrochoc violent. Si l'on considère que la culture est une nature parvenue à un certain degré de son évolution, ce mouvement giratoire dans l'espace était contre nature. En tournant le dos à la mer, le marin breton se trouvait condamné à devenir un autre que lui-même.
On peut apprécier les exploits de nos sportifs de la mer, mais on ne peut s'en contenter. Le loisir et le tourisme sont trop souvent le signe d'un manque et d'une absence : un manque d'industries solides et pérennes, une absence d'une économie propre.
La France vient de s'apercevoir que les performances de ses ports sont médiocres par rapport aux ports européens. On sait que les performances des ports bretons sont insignifiants au regard des ports français.
Il faut se rendre à l'évidence des faits et approcher le réel.
Quand la région Bretagne se flatte d'avoir investi 30 millions d'euros pour ses ports en 2007, la Flandre, région comparable à la Bretagne, en a investi 395 millions (investissements pour les ports et entretien des accès maritimes)
Dans le second cas, il s'agit d'une véritable politique portuaire. Dans le premier cas, qui est celui qui nous préoccupe le plus, il s'agit d'un déni de politique portuaire et seulement d'un effet d'annonce.
Le plus court chemin de Saint Pétersbourg à Tokyo passe par le rail d'Ouessant. Le quart du trafic maritime mondial passe au large de la Bretagne.
Est-il raisonnable de se contenter d'être sur une planche à voile et de regarder tout ce commerce se réaliser sous nos yeux et de n'être que des spectateurs ?
Le port de Kérity à Penmarc'h, principal foyer d'armement du roulage breton entre 1450 et 1550 avec au moins 100 barques et navires devint, au XVe siècle, " un port d'escale presque obligé des flottes du vin et du sel qui remontaient du golfe de Gascogne vers la Manche avant le passage des raz." (Alain Cabatous, André Lespagnol, Françoise Péron (Dir.), 2005. Les Français, la terre et la mer, XIIIe-XXe siècles. Fayard, Paris.)
Certes, il est vrai que beaucoup de choses ont changé, mais il est aussi certain que la façade maritime de la Bretagne ne s'est pas soudainement érodée.
Dès lors qu'on évoque un développement massif du port de Brest, on nous répond que ce n'est pas possible, ne serait-ce qu'à cause de l'absence d'hinterland.
On croit rêver.
L'hinterland des ports de Hambourg et de Anvers, c'est Naples !
Nos voisins donnent peu dans la rhétorique et la communication, mais ils agissent.
La liaison ports du Nord/Sud de l'Italie est en voie d'achèvement.
Cette voie part à la fois de Hambourg, de Bremerhaven, de Rotterdam et d'Anvers pour rejoindre Francfort, puis par deux itinéraires parallèles, Bâle, Berne, Milan et Bologne d'une part , et Nuremberg, Munich, Verone et Bologne d'autre part.
Les deux itinéraires se confondent à Bologne et vont jusqu'à Naples en passant par Rome.
La réaction francaise est du type de la ligne Maginot. Mais elle va nous isoler totalement.
La France trace une diagonale Calais-Bayonne en passant par Le Havre-Rouen. L'axe majeur part du Havre, Saint Quentin, Rouen, se poursuit par Le Mans, Tours, Poitiers, passe à Bordeaux et rejoint Bayonne.
Cette diagonale (A28-A10) doublée d'une voie ferroviaire élimine la route des estuaires qui ne capte aucun flux.
Dit autrement, à l'ouest de cette diagonale, point de salut.
Les partisans d'un Grand-Ouest sont pris à leur propre piège. Il s'agit d'un désert.
Dans cet espace délaissé, ignoré, la Bretagne doit surgir. Elle ne peut le faire que par une politique portuaire digne de ce nom.
Ce n'est pas le tgv qui relie la Bretagne à Paris qui est porteur d'avenir. Le développement de la Bretagne n'a jamais été contingenté par le nombre de minutes nécessaires pour se rendre dans la capitale francilienne. On peut même affirmer que la Bretagne n'a jamais été aussi prospère que quand elle portait son regard vers l'océan et qu'elle savait à peine que Paris existait.
L'avenir, c'est plutôt Shanghai/l'Europe via Brest.
Le développement du transport des conteneurs, son explosion, la mise en navigation de navires de type Panamax vont rendre le trafic en Manche de plus en plus dangereux.
Brest a un rôle majeur à jouer si Brest veut se positionner. Mais le positionnement de Brest dépend d'une décision politique responsable de la région.
On sait, par exemple, que si l'importance des revenus du secteur du transport et de la logistique maritimes, relativement au PIB, était la même en France qu'aux Pays-Bas, la croissance des créations d'emplois directs dans les ports augmenterait de 50%.
La seule croissance du secteur conteneurisé entre 2003 et 2005 a permis de créer plus de 4 000 emplois à Valencia (Espagne) et 13 000 à Anvers (Flandre) contre seulement 1 800 au Havre
La Bretagne ne devrait pas méconnaître cette réalité.
Sauf à croire que l'avenir du Breton est de se faire embaucher par la Région en échange de sa voix et de celles des membres de sa famille qui n'auront cesse de glorifier ce prince si généreux qui s'occupent si bien des petites gens…
Quand la commission Attali préconise la création ex-nihilo de 10 Ecopolis d'au moins 50 000 habitants, formuler la création d'un véritable site portuaire international à Brest n'a rien de démesuré.
Il est vrai que de permettre à des Bretons de se tourner à nouveau vers l'océan est toujours vécu comme un danger pour les adeptes nombreux du centralisme.
Il est aussi vrai, qu'en Bretagne, on peut écrire port avec un t, ou porc avec un c, et que les deux homonymes n'étant pas synonymes, ils reçoivent des attentions bien différentes.
Il ne suffit plus de chanter Recouvrance avec nostalgie.
Il faut impérativement passer à l'action.
Le 9 février 2008
J-Y QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne