Il ne vous aura pas échappé que lundi 9 juin dernier nous avons assisté au retour du Président Chirac à l'occasion du lancement officiel de sa fondation dont le but est d'agir au service de la paix.
C'est sur le thème « Pour que vivent les langues du monde » que s'est portée la très intéressante conférence de lancement de la fondation. D'éminents linguistes français, australien, gabonais, guatémaltèques...se sont relayés sur la scène de la salle de conférence du musée du quai Branly afin de louer les bienfaits du multilinguisme, de la diversité linguistique et de la nécessité primordiale de défendre et de promouvoir celle-ci.
C'est maintenant un lieu commun de rappeler que la France est championne d'Europe (du monde ?) de non respect de la diversité linguistique et culturelle sur son territoire. En effet, mis à part la reconnaissance très récente et pathétiquement symbolique des langues dites régionales, il n'existe aucune volonté étatique de promouvoir la diversité linguistique. Si nos langues nationales (breton, occitan, corse...) existent encore aujourd'hui c'est grâce à la seule volonté des militants qui les utilisent chaque jour et qui luttent pour que celles-ci ne disparaissent pas.
Défendre les langues en danger dans le monde n'est que louable...mais le dicton « charité bien ordonnée commence par soit même » n'a jamais été aussi parlant. Dans le dossier de presse remis aux participants à l'entrée de la conférence, on pouvait lire ceci: « Le combat pour la diversité est donc aussi un combat pour la dignité et un combat pour la paix. C'est pourquoi la fondation portera une attention prioritaire au sujet des langues et des cultures menacées d'extinction » . Il serait peut être judicieux de ne pas attendre que les langues et les cultures soient menacées d'extinction pour agir. Cela passe par une réelle politique volontariste avec les moyens que nécessite une politique linguistique efficace: enseignement, media, transmission familiale, utilisation des langues sur les lieux de travail. Cela demande des moyens financiers conséquents, et ces politiques n'ont pas l'air d'être à l'ordre du jour des réunions de travail du gouvernement de M. Sarkozy.
Quoiqu'il en soit, dans sa conclusion M. Chirac a expliqué, en parlant de la défense des langues que « Les 6000 langues parlées dans le monde ne pourront pas être toutes sauvées, mais ne pas agir reviendrait à se résigner (...) et ce n'est pas acceptable » . Enfin, lorsque les questions du public ont commencé à s'orienter sur des sujets qui chatouillent, celles-ci ont adroitement été évitées, et le débat s'est plutôt orienté sur "le swahili doit il être la langue commune de l'Afrique noire?", sujet certes passionnant, mais plutôt éloigné des préoccupations des locuteurs de breton qui se demandent comment faire pour développer au maximum leur langue avec une institution disposant d'un budget de comité des fêtes. Et oui, la Bretagne est bien loin de l'Ecosse de la Catalogne et du Pays de Galles.
Pendant les 12 années où M. Chirac était à la tête de l'Etat champion d'Europe pour la promotion de la diversité linguistique (Français 1 – autres langues 0), son téléphone devait être sur messagerie quand les Bretons, Occitans, Basques...manifestaient pour leurs droits fondamentaux. Mais peut-être cette fondation agira-t-elle le jour où il ne restera plus que 8 locuteurs de breton à l'instar de l'araki, langue mélanésienne parlée au Vanuatu. Toujours est-il que la fondation Chirac a annoncé son intention d'œuvrer pour la préservation de cette langue.
Une chose est sûre cependant, concernant l'avenir de nos langues nationales (ou régionales, si l'on admet que la France est une région d'Europe, que l'Europe une région du monde, et que le Monde est une région du système solaire), il est très peu probable que la solution viennent des décideurs parisiens, de surcroît avec un représentant très proche des préoccupations des habitants de Neuilly sur Seine et un chef de gouvernement très proche des préoccupations de la bourgeoisie sarthoise. Encore un lieu commun ? Surement, mais il serait temps que les Bretons en prennent vraiment conscience. Et comme l'expliquait une campagne de communication que l'on a vu en Bretagne il y a quelques années:
« Gallout a rez prenañ ur bladenn sonerezh hengounel, gallout a rez mont d'ur fest-noz, gallout a rez prenañ un triskel, met n'hallez ket prenañ yezh da vro: desk, lenn, ha komz brezhoneg* » .
Cela n'a jamais été aussi vrai. Deskomp, komzomp ha kasomp ar brezhoneg war-raok !
Yann le Bihan
* "Tu peux acheter un disque de musique traditionnelle, tu peux aller à un fest-noz, tu peux acheter un triskel, mais tu ne peux pas acheter la langue de ton pays: apprends, lis et parle breton."