Figure déterminante et emblématique du rock, Philippe Pascal est mort à Rennes jeudi 12 septembre à l’âge de 63 ans. Pionnier de la scène rennaise, il fut le chanteur et l’auteur du groupe Marquis de Sade entre 1978 et 1981, puis de Marc Seberg jusqu’en 1991. Ces deux météores de la constellation rock que j’écoutais alors en boucle ont marqué ma jeunesse et demeurent des références musicales et artistiques qui continuent de m’accompagner. Depuis toutes ces années, Conrad Veidt, ma chanson préférée entre toutes, me donne toujours autant de frissons. De 1983 à 1987, j’animais une émission hebdomadaire consacrée au rock européen à Radio Poher à Carhaix. J’y passais bien sûr les morceaux des albums de Marquis de Sade et de Marc Seberg, ainsi que d’autres groupes de la scène rennaise (Les Nus, Ubik, Complot Bronswick, Octobre, Tanit…) et européenne (Nina Hagen, TC. Matic, Front 242, Cabaret Voltaire, Siouxie, Virgin Prunes...).
Je n’ai jamais assisté à un concert de Marquis de Sade, mais j’ai pu voir Marc Seberg sur la scène de « La Mèche Bleue » , près de la forêt de Lorge, en plein hiver, sans doute fin 83-début 84. L’élégance féline de Philippe Pascal, sa gestuelle unique, son regard sombre et magnétique et sa beauté troublante lui donnaient une présence inoubliable. Radio Poher m’avait chargée de contacter le groupe pour connaître ses conditions pour donner un concert à Carhaix pour la fête de la musique, projet qui ne se concrétisa pas, mais, avant de rencontrer le manager du groupe, je pus approcher Philippe Pascal, au sourire timide et visiblement tendu avant le concert.
C’est en 1979 que je découvris le nom de Marquis de Sade, par Jean-René Courtès, dit Ubu, un ami de mes années étudiantes faisant partie de l’association Terrapin organisatrice des premières Transmusicales, venu me rendre visite dans le Finistère. Il prédisait avec un enthousiasme communicatif que ce nouveau groupe allait bouleverser l’avenir du rock hexagonal. Il fut effectivement un feu incandescent sous le crachin breton. A l’époque, j’écoutais surtout le rock punk britannique, The Clash, The Stranglers, The Cure, Joy Division… le rock français étant à l’époque une vraie désolation. Dans la foulée, je découvris avec éblouissement Dantzig Twist (1979) et son énergie sans pareille, portée par Philippe Pascal et sa voix profonde et sensuelle, capable des prouesses les plus impressionnantes. Je découvrais aussi ses textes denses et fiévreux, inspirés par les courants modernes de la poésie et des arts, sans doute écrits en état d’urgence dans la douleur. Ses références culturelles, résolument européennes, étaient l’expressionnisme allemand, des artistes comme Klimt et Munch, des compositeurs comme Malher et Kurt Weill, des poètes comme Baudelaire (dont il reprit « Recueillement » dans l’album Lumières & Trahisons), Rilke, Antonin Artaud, Henri Michaux et Charles Juliet (ses échanges avec ce dernier ont été filmés pour une émission d’Arte). En 1990 paraissait son livre Lignes de fuite (éditions Coprah) tiré à 3000 exemplaires, réunissant des poèmes et des chansons des quatre albums de Marc Seberg : Marc Seberg 83, Le chant des terres (1985), Lumières & Trahisons (1987), Le Bout des Nerfs (1990), des reproductions de textes manuscrits, raturés et très travaillés, une nouvelle, des photos et quelques textes (dont Conrad Veidt) de la période Marquis de Sade. En exergue, cet épitaphe révélateur de Tristan Corbière :
Trop Soi pour pouvoir souffrir,
L’esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s’attendant vivre
Et vécut, s’attendant mourir.
Après avoir créé la revue Spered Gouez / l’esprit sauvage en 1991, j’avais envisagé de lui consacrer un dossier. Je voulais échanger avec lui sur la poésie et l’écriture et publier quelques-uns de ses textes. Tout en me prévenant qu’il n’accepterait pas de s’entretenir sur son passé musical, on m’avait confié les adresses de quelques-unes de ses relations que j’ai contactées par courrier postal afin qu’elles lui transmettent ma demande, sans réponse de leur part, ni de Philippe Pascal. Cela restera un grand regret… Commença ensuite pour lui une longue éclipse publique, avec quelques apparitions en pointillés.
Après le concert de 2017 à Rennes et l’annonce soudaine de la reformation de Marquis de Sade, suivis d’une série de concerts dont celui des Vieilles Charrues, l’espoir est revenu de le rencontrer enfin et lui consacrer le « Tamm Kreiz » d’un prochain numéro de Spered Gouez. Espoir désormais à jamais brisé. J’aurais aimé évoquer avec lui sa belle chanson Galver’ran de l’album Le Bout des Nerfs, clin d’œil à la langue bretonne et à la Bretagne.
Relisant Lignes de fuite, j’y retrouve ces quelques vers que j’avais alors soulignés :
(…)
Et du fond de l’oubli, quelquefois
comme des notes de musique,
les souvenirs perdus d’autrefois
en vague mélodie,
fragiles, refont surface…
(…)
(Emmène-moi, p. 72)
Pour conclure cet hommage, je choisis ces quelques vers :
(…)
Quelque chose noir se traîne
dans le silence s’enfonce
et se ronge les ongles
et me ronge les sangs.
Quelque chose noir, je l’aime
comme un trou dans la nuit,
comme un trou dans l’oubli
roule au fond d’un puits. (…)
(Quelque chose, noir, p. 28)
Mes pensées vont à sa famille et à ses proches, à ses amis, aux musiciens de Marquis de Sade.
Marie-Josée Christien