Seule la presse locale de Quimper a relaté le feuilleton qui oppose Marc Morvan, un artiste au caractère bien trempé comme certaines de ses sculptures, et la grande ville de la Cornouaille.
Ces jours-ci, ladite presse locale, dépendante, des informations fournies par cette dernière, refusait même la parution d'un communiqué du sculpteur, la renvoyant à la fin de la campagne électorale.
Il faut dire que le contentieux est riche en épisodes aussi hauts en couleurs que notre César du fer, ancien judoka, se battant comme un beau diable contre un monstre froid, aussi chaleureux et charismatique que le premier magistrat qui n'a eu que la médaille d'argent au premier tour des élections de cette semaine (même résultat au deuxième tour, NdA).
Marin-pêcheur jusqu'en 1995, Marc Morvan fait naufrage sur son petit bateau de pêche et, grièvement blessé, il voit que son assureur traîne des pieds pour le dédommager. Pour se faire entendre, il plante dans le fleuve Odet, là où tout Quimper peut le voir, l'épave de son caseyeur qui avait été renflouée dans le Raz de Sein. L'assureur arrête les bla-blas en voyant la mauvaise publicité dans la vie réelle et l'indemnise, au moins pour la défaillance du moteur.
C'est à ce moment-là que notre chaudronnier d'élite, qui avait construit lui-même ses bateaux, se tourna vers la sculpture d'art, à la manière d'un César ou d'un Royal de Luxe. Sa première oeuvre fut liée à sa deuxième bataille judiciaire : obtenir le remboursement de son bateau. Il planta un Don Quichotte en acier dans la même rivière, mais les juges laissèrent toute latitude à l'assurance de ne pas payer, et c'est ce qu'elle fit.
Pour faire des sculptures monumentales à partir de ferrailles, il faut un grand terrain et Marc Morvan en possédait un aux limites de l'agglomération de Quimper. Celle-ci se développant voulut améliorer les petites routes de campagne, les élargit et les dota de rond-points. C'est à Quimper que fut aménagé le premier rond-point « à la française » en 1971 et il n'y en pas moins de 115 aujourd'hui et d'autres sont en projet.
Ce rond-point, au lieu-dit Pont-Kamm (pont courbe, en breton) fut le point de départ d'une nouvelle salve d'ennuis judiciaires pour l'artiste qui, entre-temps, avait réalisé « Un «Don Quichotte » accompagné d'un « Sancho Panzer » » , puis, « l'Homme debout » , vu sur France 2 pour le Téléthon 2001, figure de son rétablissement après de graves problèmes de santé et de ses combats pour être indemnisé. L'artiste est aussi un poète qui peut rimer sur tous les faits de la vie, et ses démêlés avec les autorités l'inspirent beaucoup.
C'est un artiste reconnu, soutenu par d'autres artistes, qui participe à des projets pédagogiques, mais qui a le verbe haut et parle avec verdeur à ceux dont il pense qu'ils se mettent injustement en travers de sa route et ne plie pas facilement. Laissons-le donc raconter l'épopée du rond-point de Pont-Kamm avec ses propres mots, si rudes, et, parfois, si naïfs, soient-ils.
Cela commence, curieusement, par le refrain :
A la croisée des chemins, il est une route
Qui suit les intersections de la déroute
Jadis s'est fait kidnapper sans aucun doute
Pendant que ces voleurs s'astiquent la biroute
...
Un coup de folie, je marque mon territoire,
Ma frontière de pointillés, c'est toute ma gloire
Les trous du cul me crient : c'est pas la foire
Appelle la police pour que je prenne plein la poire.
et encore :
Que se passe-t'il dans la tête du Roi Morvan?
Je ne sais : est-il le bon, la brute, le truand?
Encore victime d'une croisade contre les méchants?
Un saigneur au-dessus des lois, le Roi Morvan?
Arbitre, seule, la Justice, le rendra noir ou blanc.
…
Sancho Panzer et son baudet ne doutent de rien,
Ancrés sur bitume ont peur de mourir de faim,
Donne ta vie, ton terrain, c'est pour le bien commun.
C'est une histoire à trois ou quatre étages qui parle d'urbanisme dans une demi-campagne avec ruisseau, bois, hangars, talus et murs.
Acte 1 : en 1992, l'étroit carrefour s'orne d'abord des quelques plots de plastique, puis devient un grand rond-point. A cette occasion, les bornes du terrain ont disparu et leur propriétaire ne se souvient pas que la ville de Quimper l'ait contacté à propos de la petite bande de terrain qu'elle embarque dans l'opération.
Pris par son activité, il ne réagit pas tout de suite jusqu'à ce que des habitants d'un quartier se plaignent du désordre de son domaine où sont entassées toutes sortes de matériel, dont une grue et un bateau.
Acte 2 La Ville, à nouveau dirigée par Bernard Poignant, le somme de retirer les objets mis sur la bordure de la chaussée que le poète sculpteur estime, lui, avoir été indûment soustraite.
Acte 3 Un agneau de fer automoteur et cracheur de flammes, « Agnus horribilis » est interdit de défilé par la ville, bien qu'il soit bien reçu partout ailleurs.
Acte 4 En 2011, il est mis en demeure par jugement de retirer les objets métalliques pour danger potentiel. Ouest-France en parle : (voir le site)
Acte 5 En 2012, il organise une manifestation festive sur le rond-point et délimite avec des pointillés de peinture, qu'il jure biodégradable, la parcelle de terrain qu'il pense lui avoir été illégalement retirée.
Acte 6 En janvier 2014, la ville obtient une condamnation à payer les frais de nettoyage de la peinture et lui adresse, juste avant les élections, un titre exécutoire de 2 895 ¤ à prélever sur sa retraite de marin-pêcheur (un demi-SMIC).
Entre temps, déguisé en Bécassine, il s'était présenté en juin 2008, escorté par la police, aux grilles de l'Élysée pour porter une statuette à Nicolas Sarkozy avec une joyeuse troupe dont faisait partie Naig Le Gars et Jean Kergrist, et qui se revendiquait de l'Art revendicatif breton (ARB), voulant rappeler au président que « Les Bretons ne sont pas des connards » .
Abandon de terrain ? La géomètre désignée comme expert judiciaire a découvert une curieuse anomalie dans le statut du terrain contesté : le précédent propriétaire a fait abandon, à la ville, de 843 m2 d'un terrain bâti, ce qu'interdit le code de l'urbanisme. Selon Marc Morvan, un mur et un garage auraient été construits aux frais du contribuable en échange du don.
La procédure est passée inaperçue, car, curieusement enregistrée à la conservation des hypothèques de Brest, où la Brigade du cadastre a apporté un coup de main opportun et gratuit (sans géomètre-expert) au transfert dans le domaine public. Donc, du travail pour le tribunal administratif si Marc Morvan le saisit comme il en a, semble-t-il, l'intention. S'il a raison, cela pourrait montrer que les procédures administratives sont, parfois, accélérées de manière cavalière.
Christian Rogel
Site personnel de Marc Morvan, le « dompteur de métal » : (voir le site)
Fiche sur Marc Morvan : (voir le site)
Interview à la radio de Marc Morvan : (voir le site)
Liza Guillamot a réalisé un film sur l'expédition de l'Élysée de 2008 avec musique, concert, défilé de l'Agneau de fer dans les rues de Montreuil et entrée de Marc Morvan dans le palais de l'Élysée accompagnée de deux jeunes bigoudennes et du « secrétaire aux Étables oubliées » , Jean Kergrist.
L' « Agnus horribilis » qui crache du feu et enlève les barrières étatiques a été vu un peu partout, et aussi, à Carhaix et à Morlaix, aux rassemblements des Bonnets rouges.