ALLIOT-MARIE : une icône féminine de l'anti-fédéralisme
La ministre Alliot-Marie a dit ne pas croire "qu'il faille passer d'un extrême à l'autre, d'un système jacobin et centralisé à un modèle fédéraliste qui n'est pas dans notre identité".
Nous prenons acte de l'extrémisme reconnu du système jacobin : c'est un aveu de poids car il est fait par une personnalité qui appartient depuis toujours à une organisation politique experte en excès de centralisme, habile en abus d'autorité, ingénieuse en débordement de ses prérogatives, mais aussi très maladroite dans sa soif de pouvoir absolu.
On s'étonne du manque de culture de la blonde ministresse de l'intérieur quand elle affirme que le modèle fédéraliste n'est pas dans l'identité française.
Elle oublie que la France a abrité un bon nombre de penseurs fédéralistes : Montesquieu, Pierre-Joseph Proudhon, Benjamin Constant, Tocqueville. Elle oublie l'influence de Rousseau. Elle fait l'impasse sur Auguste Comte, abandonne Emmanuel Mounier. Elle ignore Edgar Morin et son concept de l'Unitas Multiplex qui s'appuie sur les principes des penseurs fédéralistes comme Denis de Rougemont ou Alexandre Marc.
Elle fait silence sur la philosophie de l'engagement qui se rattache directement au fédéralisme, qui en fait une éthique et qu'a parfaitement illustrée Albert Camus. Elle tait des penseurs comme Blondel, Lacroix, Ricoeur qui, par le personnalisme, étaient proches du fédéralisme global. Dans un registre différent, Maurice Barrès et Charles Maurras étaient en faveur d'une sorte de provincialisme, d'un retour aux racines et aux sources. Un provincialisme qui se nourrit des vertus régionales en les opposant les unes aux autres ne plaide pas pour le fédéralisme. Cependant, le respect des diversités, bien présent chez ses deux auteurs, appartient aussi à la pensée fédéraliste.
Elle fait mine d'ignorer l'influence de l'Eglise dans une France qui a été fortement catholique. La doctrine sociale de l'Eglise est d'une très grande proximité avec le fédéralisme et pas seulement avec la mise en avant du principe de subsidiarité.
Elle ignore volontairement une réalité incontournable de notre histoire constituée par Les Girondins, puis par la Commune. La querelle entre les Jacobins et les Girondins qui s'est achevée par le triomphe relatif des premiers n'a pas effacé l'existence des seconds ni éradiqué leur pensée. Il est vrai que les Jacobins d'hier comme d'aujourd'hui aiment utiliser les peurs et tout ce qui n'est pas jacobin est alors aux mains de l'ennemi, intérieur comme étranger.
Et c'est, en filigrane, ce à quoi se livre le ministre de l'intérieur : le fédéralisme est extérieur à notre identité ; il nous est exogène, il nous est étranger.
Que dit le rapport Barère au comité de salut public ? : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l'émigration et la haine de la république parlent allemand…. La Contre-révolution parle l'italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces instruments de dommage et d'erreurs… » L'assimilation des fédéralistes à la Contre-révolution a été en grande partie une invention des rosbespierristes pour servir leur propagande.
L'assimilation des fédéralistes avec des corps étrangers à la culture hexagonale relève du même procédé qui se veut avant tout disqualifiant.
L'identité à laquelle Madame Alliot-Marie se réfère est une construction de politique-fiction. Comme il n'existe pas d'identité française, il faut l'imaginer, l'inventer, la forger de toutes pièces. Une communauté sera imaginée à la Révolution : la Nation.
L'identité nationale est une pure fiction, créée à la Révolution, quand il a fallu opérer le transfert de souveraineté de la personne du roi à un autre corps politique. Les artisans de cette fiction refusant la démocratie, (Sieyès l'écrit noir sur blanc), il ne pouvait dès lors être question du peuple. Le subterfuge a consisté à attribuer à la nation la tangibilité de ses représentants. Le peuple, vidé de toute substance politique, victime d'un glissement sémantique, se retrouvait jeté dans l'histoire.
A l'origine la nation désignait un groupe de personnes unies par les liens du sang, de langue et de la culture (du latin natio, natus) qui, le plus souvent, partageaient le même territoire. Cette conception romantique de la nation, qui renvoie à une communauté d'ascendance, le même sang, et à un lieu unique, le même sol, a besoin de l'invention d'une tradition, du mythe de l'origine introuvable. Elle se heurte très souvent à l'hétérogénéité de ses populations, l'autochtonie n'étant qu'un mythe que le réel détruit. En creusant ici ou là, on découvre des ossements d'individus ayant vécu à l'âge de fer, de bronze…. On sait aujourd'hui, par exemple, que les amérindiens ne sont pas les peuples autochtones des Etats-Unis.
Le concept moderne de nation est un legs de la Révolution. A l'entrée nation, le Dictionnaire National de 1790 indique :
Nation : dans l'ancien régime c'était un terme de géographie ou de phrasier lorsqu'il travaillait en grand ; car il n'était jamais entré dans la tête d'un écrivain qui était au courant d'aller parler du bien de la nation, de l'intérêt de la nation, du service de la nation, du trésor de la nation, etc., etc. Et certes, avant le 17 juillet 1789, il n'y avait jamais eu de Parisien qui se fût avisé de crier vive la nation en voyant passer les grands carrosses à huit chevaux, qui venaient de temps en temps de Versailles pour aller à Notre-Dame ou au palais. Mais, comme je ne cesserai de le répéter avec M. le Court de Gebelin, les langues se modifient et prennent le caractère des peuples ; ainsi nation a signifié tout parmi nous, dès l'instant que nous avons été réellement une nation. Ces expressions vague de bien de l'état, intérêt de l'état, servir l'état, ont été honnies ou abandonnées à certains gazetiers qui ont encore toutes les peines du monde à se faire à l'idiome national. Dictionnaire National – 1790
Puis à l'entrée suivante, on lit :
National : adjectif qui qualifie tout ce qui appartient à la nation ; or, tout appartient à la nation, donc tout est national. Aussi depuis la révolution, notre manière d'être physique et morale est devenue entièrement nationale ; notre costume, depuis la cocarde jusqu'aux boucles, est national ; rien ne paraît sur la toilette de nos dames qui ne soit national ; chapeau national, ceinture nationale, jusqu'au rouge national. Notre façon de penser, Dieu sait comme elle est nationale ! et nos écrits sont comme nos pensées, surtout depuis que nous pouvons transmettre celle-ci à l'impression telles qu'elles sortent de notre Minerve, sans l'intervention d'un juré-penseur, que l'ancien régime désignait sous le nom de censeur-royal. Dictionnaire National – 1790
L'identité nationale est seulement symbolique ; elle masque une diversité de modes de vies et de codes moraux. Elle n'est qu'une fiction politique pour légitimer une forme de hiérarchie sociale et d'exercice du pouvoir. Pour pouvoir s'affirmer, elle a besoin du recours à la force, à l'inculcation, au bourrage de crâne et à tous ces procédés utilisés par l'école, les medias…. Et tout devient national, jusqu'à la vie privée et intime…
Il n'existe aucune identité nationale effective. Qu'est-ce qui peut lier un Brestois à un Marseillais en dehors d'une communauté imaginée ? Alors que les intérêts du premier sont à peine liés à ceux d'un Lorientais ou d'un Rennais, comment pourraient-ils l'être avec ceux d'individus qu'il ne connaît pas et qu'il ne connaîtra jamais ?
Des auteurs comme Benedict Anderson affirment que les gens s'incluent eux-mêmes, les uns avec les autres, dans une même forme imaginée (l'imaginaire national) par des forces de cohérence puissantes portées par le capitalisme, l'horloge, l'imprimerie et le calendrier.
Il est cependant une faiblesse qui agit en amont des autres facteurs : la peur.
L'individu atomisé prend vite peur. La nation se présente alors comme une protection. C'est d'ailleurs ce qui se produit avec les effets des délocalisations.
Ce que ne dit pas Madame Alliot-Marie, c'est que pour se protéger les individus ont besoin de se prendre en charge eux-mêmes et que ce n'est pas une unité factice qui peut les aider, mais une union volontairement choisie, seule garante d'une certaine efficacité.
Valmy a été une escroquerie, sans doute une victoire achetée et le « Vive la nation » une véritable bouffonnerie. La Nation-Refuge est une idée dangereuse. Elle transforme un Valmy imaginaire en un Dunkerque bien réel et traumatisant.
La manipulation utilise des ressorts bien connus. On donne sa vie pour des croyances, pas pour des certitudes. Il existe des martyrs de la religion, mais Galilée n'a pas hésité à raturer son savoir. On ne meurt pas pour un Etat. En revanche, pour la Nation……
L'affirmation de la ministre de l'intérieur est un déni de culture.
Le fédéralisme a investi plusieurs sphères, notamment la sphère sociale et économique qui fait figure d'élection.
Cette ignorance du fédéralisme comme mode d'organisation socio-économique a quelque chose de calamiteux. Le principe fédératif a connu un succès incommensurable à partir de la seconde moitié du XIX° siècle qui n'est toujours pas démenti. Qui pourrait nier l'existence des fédérations, du monde agricole en passant par les cafetiers-limonadiers jusqu'à l'univers du sport, entièrement fédéralisé ?
La France est entourée de pays fédéralistes ou protofédéralistes. Elle fait figure d'exception. Mais elle est aussi très singulière par son absence de démocratie et ses références permanentes aux pratiques monarchiques.
Quand Madame Alliot-Marie reçoit l'ensemble des femmes ministres à l'occasion de la fin de l'année et qu'elle offre à chacune un présent coûteux payé par la France d'en bas, celle qui est en faillite, elle ne fait pas qu'une faute. Elle fait penser immanquablement à Marie-Antoinette et son geste devient une insulte.
Les peuples et populations de France sont prêts pour le fédéralisme, comme ceux d'Espagne, d'Allemagne, d'Italie, comme ceux du Royaume-Uni. Le peuple est toujours plus évolué que les hommes politiques qu'il se choisit : il sait en rire…..
Le 11 décembre 2007
Jean-Yves QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne