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- Lettre ouverte -
A M. Harousseau, ancien président des Pays de Loire
Lettre ouverte à M. Jean-Luc Harousseau, ancien Président du Conseil Régional des \"Pays de Loire\", au sujet de son interview publiée dans le mensuel \"Armor-magazine\" de janvier 2006, page 9 Maurepas, le 27 janvier 2006 Monsieur, Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement. Pour autant que je sache, cependant, vous êtes sans doute
Par pour Bretons du Monde le 6/02/06 17:28

Lettre ouverte à M. Jean-Luc Harousseau, ancien Président du Conseil Régional des "Pays de Loire", au sujet de son interview publiée dans le mensuel "Armor-magazine" de janvier 2006, page 9

Maurepas, le 4 février 2006

Monsieur,

Je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement. Pour autant que je sache, cependant, vous êtes sans doute un homme fort aimable et de bonne compagnie. Mais vous rendez-vous compte de l’incongruité de votre interview dans le mensuel "Armor-Magazine" daté de janvier 2006 ? Ignorez-vous que nous ne sommes pas des "Ouestiens", des "Ouestons", ou des "Ouistitis", mais des Bretons, c’est-à-dire des représentants d’une très vieille nation qui eut dans le passé tous les attributs de la souveraineté et qui a vocation à les recouvrer ?

Tenez ! Savez-vous qu’il fut un temps où le duc de Bretagne traitait d’égal à égal avec le roi de France, comme avec toute autre puissance étrangère ? Par exemple, le 12 avril 1363, fut signé entre Jean IV de Bretagne et Charles V de France, à Guérande le traité (un traité international parmi bien d’autres) qui mettait fin à la guerre de Succession de Bretagne. Savez-vous que le 23 juin 1438, s’ouvrait, à l’initiative de Jean V, à Nantes, la capitale de la Bretagne, une conférence diplomatique réunissant les ambassadeurs d’Henri VI d’Angleterre et de Charles VII de France afin de tenter de mettre fin à ce qu’on a appelé plus tard la Guerre de Cent Ans ? Cela ne vous rappelle-t-il pas une tentative similaire du Président des Etats-Unis faisant se rencontrer, également dans un but de conciliation, Yasser Arafat et Itzhak Rabin ? Cela vous donne aussi une idée de la stature internationale de notre pays à cette époque. Savez-vous que, le 4 avril 1460, le duc François II obtenait du pape Pie II une bulle créant une université à Nantes ? Le Saint-Siège confortait ainsi, sans que ce fût son but principal, il faut bien le dire, l’indépendance de notre pays face aux menées du roi de France.

Mais, à quoi bon allonger cette liste d’actes souverains comme il y en eut des centaines au cours de la longue histoire indépendante de notre pays ? Ces deux seuls exemples doivent suffire à vous montrer que la Bretagne (la vraie et la seule légitime, pas la Bretagne-croupion !), n’est pas une région "lambda". Il ne s’agit pas ici de politique. Il s’agit d’histoire devant laquelle, si vous avez un minimum d’honnêteté intellectuelle - ce dont je suis enclin à vous faire crédit, et cela d’autant plus volontiers qu’une autre page d’Armor m’apprend votre qualité de professeur – vous devez, comme moi, vous incliner.

Malheureusement, en vous engageant dans l’arène politique, vous vous départissez immanquablement de la rigueur scientifique qui est certainement la vôtre dans votre activité professionnelle et la vérité cesse manifestement d’être pour vous la valeur suprême, tant il est vrai, comme l’a montré Max Weber, que les vertus du politique sont incompatibles avec celles du savant.

Deux phrases, qui se situent au milieu de votre interview, illustrent parfaitement ce constat. Vous dites, en effet, que "La partie nord du département (de Loire-Atlantique) est historiquement, géographiquement et culturellement proche de la Bretagne. La partie sud, historiquement, géographiquement et culturellement , est attirée par la Vendée". Deux phrases comme celle-là, aussi imprécises, mêlant le vrai et le tendancieux, pouvant être interprétées dans le sens que l’on veut, sont évidemment un modèle de langue de bois, et à la portée de n’importe quel "politicard", catégorie dans laquelle je me garderai cependant de vous ranger. Vous conviendrez que ces deux phrases ne peuvent prétendre, c’est le moins qu’on puisse dire, à la qualité de "scientifiques" ! Permettez-moi de penser qu’elles ne sont pas vraiment dignes de vous.

L’histoire de Bretagne dont j’évoquais plus haut une infinitésimale partie, vit toujours dans les veines des Bretons, y compris ceux qui habitent la partie de la Bretagne séparée du reste de ce pays depuis le décret Pétain-Darlan du 30 juin 1941, décret d’un honteux régime qui se fit le sous-traitant, pour le compte du Troisième Reich, de la déportation des Juifs vivant sur son territoire. L’histoire de Bretagne, même savamment occultée pour la majorité de nos compatriotes, est néanmoins toujours là, massive, et elle nous donne des droits. Vous ne pouvez faire comme si elle n’avait jamais existé. J’en appelle encore une fois à votre honnêteté intellectuelle, qualité dans laquelle Kant voyait la pierre de touche qui permettait de mesurer la valeur d’un caractère.

Le vôtre, je veux le croire, vaut certainement mieux que ne pourrait le laisser supposer cette malheureuse interview. Je dois vous dire qu’ayant côtoyé de très près des équipes de chercheurs (j’ai traduit pendant une vingtaine d’années les communications d’une équipe de bio-mécanique, composée d’ingénieurs et de médecins orthopédistes, dans une Grande Ecole parisienne), je connais l’obsédante préoccupation des scientifiques quant au financement de leur recherche. Je sais aussi qu’être revêtu du titre de Président de Région, fût-ce une région fantoche comme les inénarrables Pays de Loire, n’est pas inutile pour obtenir les fonds qui permettent de faire fonctionner correctement un laboratoire ou un institut. Je vois donc dans cette contraignante nécessité l’excuse à cette petite compromission, de votre part à vous, scientifique de haut niveau, avec le monde plus trouble, reconnaissons-le, de la politique.

Sur le fond de votre interview, prétendre que le prolongement du TGV jusqu’à Quimper et Brest soit une bénédiction pour la Bretagne est bien hasardeux. Certains en tireront profit probablement, mais il est fort à craindre qu’une part importante des forces vives des cinq départements soit encore un peu plus attirée dans l’orbite parisienne. Au XIXème siècle, les Danois ont su résister aux pressions de leurs voisins allemands qui auraient souhaité que leur réseau ferroviaire fût orienté dans le sens Nord-Sud, en direction de Hambourg, ce qui aurait fait du Danemark, dans les faits, la Bretagne de l’Allemagne. Nous n’avons pas eu, nous Bretons, la possibilité d’en décider, hélas ! Nous en voyons encore aujourd’hui les conséquences.

Quant à votre projet, que vous présentez – sans rire ! – comme un nouveau concept, cette vieille histoire du Grand Ouest, aussi farfelu que le "Grand Nord", de grâce abandonnez ces billevesées, mettez-les dans une poche de votre "complet-oueston" et consacrez vos énergies à la lutte contre le cancer. C’est une tâche infiniment plus noble et infiniment plus sérieuse. N’abdiquez pas l’éminente dignité du savant pour la douteuse notoriété du politique !

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma parfaite considération.

Marcel Texier, Président d’honneur de "Bretons du monde-OBE"

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