Le photographe Alain Guillou a finalement étalé sur la place publique, en l'occurrence sur les réseaux sociaux, ce qu'il s'est passé il y a 62 ans alors qu'il était pensionnaire au collège Notre Dame de Guingamp.
Cette institution d'enseignement privé était gérée depuis 1957 par les frères de Ploërmel. Les Frères de l'instruction chrétienne de Ploërmel forment une congrégation laïque masculine de droit romain qui se consacre à l'éducation de la jeunesse et est présente dans une vingtaine de pays. Elle a été créée en 1819 par le Malouin Jean-Marie de La Mennais et son siège est à Rome. En 1959, Notre Dame de Guingamp passa sous contrat avec l'Éducation nationale et le dernier frère de Ploërmel quitta le lycée en 1988.
Alain Guillou raconte son histoire après des années de silence. Une histoire qui l'a marqué à jamais. Il s'agit d'un crime sexuel accompagné d'actes de torture et de menaces : « Le Frère Célestin, Proviseur de Notre Dame de Guingamp, j'avais alors 11 ans, m'a violé. Le frère Célestin se glissait dans le lit des gamins la nuit et les violait. Il convoquait le lendemain sa victime dans son bureau et leur demandait de joindre les doigts d'une main devant eux, et il tapait de toutes ses forces avec une règle en métal. Il menaçait de recommencer si les enfants mentionnaient ce qu'il s'était passé pendant la nuit. J'ai une légère déformation de la dernière phalange de mon index gauche qui a dû être très probablement fracturé à cette occasion. » D'après Alain, au moins deux autres gamins ont été les victimes du frère Célestin, il a vu leurs bleus au bout des doigts. On ne sait pas combien d'enfants ont été abusés par ce pédophile car seul Alain Guillou a témoigné.
Le rapport Sauvé de la Commission indépendante des abus sexuels dans l'Église (CIASE) fait 2500 pages et a été publié en 2021. Il a estimé le nombre de prédateurs entre 2900 et 3200, laïcs, prêtres ou religieux, sur une période de 70 ans. Une «estimation minimale » selon ce rapport commandité par l'Église. Le nombre de mineurs sexuellement agressés au sein de l'Eglise est estimé par le CIASE à près de 330 000.
Le rapport reconnaît les conséquences tragiques de ces crimes contre l'enfant car cet acte « imposé par l’adulte à un enfant en plein développement vient saper profondément des choses aussi importantes que l’estime de soi, la confiance en soi et en ses choix, la confiance dans l’adulte, et c’est tout l’univers de sens de l’enfant et ses croyances fondamentales qui sont profondément altérés, ce qu’un témoin désigne sous le terme d’une confusion qui ne l’a plus jamais quitté. L’enfant se retrouve abandonné par tout ce qui le soutenait, seul, dans un monde auquel il ne peut plus trouver de sens, et c’est ainsi qu’il devra grandir et devenir adulte.»
La Bretagne n'a pas été épargnée par ces actes pédophiles en provenance de membres du clergé, d'autant plus qu'une grande partie de l'éducation en Bretagne était jusque dans les années 80 du domaine privé, gérée par des prêtres ou des frères, qui par ailleurs obtenaient d'une façon générale de très bon résultats scolaires, autant le reconnaître. Beaucoup estiment aussi avoir acquis là un système de valeur qui a donné un sens à leur vie.
Le Frère Célestin est aujourd'hui décédé, mais les faits sont reconnus par le responsable provincial des frères de Ploërmel, le Frère Yannick Houssay. Selon lui, une dizaine de personnes auraient demandé des réparations pour des faits similaires qui se seraient produits sous la tutelle des frères de Ploërmel en Bretagne.
ABP a aussi entendu le récit d'un Breton qui était abusé en pleine classe par un religieux pédophile alors qu'il était élève de l’école Saint-Tudy à Loctudy en Pays Bigouden au début des années 1970. Ce frère, lui, dépendait de l'Institut des frères de Saint-Gabriel. Une quarantaine de victimes se sont déjà déjà déclarées et une ne réunion publique a été organisée pour tenter de retrouver des victimes des violences et actes pédophiles du frère Gabriel Girard. Cet instituteur enseignait à l'école primaire Saint-Tudy de Loctudy, à Pont L'Abbé, mais aussi en Loire-Atlantique dans les années 50, 60 et 70. 14 victimes du frère Gabriel Girard,
alors au collège d'Issé, ont été entendues par la CRR l'année dernière
Le bilan sur la pédocriminalité en Bretagne reste à faire.
Les faits sont prescrits, mais la Conférence des religieux et religieuses de France ( la CORREF) a reconnu un dérèglement systémique et a créé une commission composée principalement de juristes, la Commission Reconnaissance et Réparation (CRR) qui a déjà audité 450 cas en France, selon des chiffres publiés jeudi 1er décembre 2022 par le journal La Croix . Le frère Yannick Houssaie que nous avons contacté a déclaré « rester à l’écoute de toute victime qui voudrait se faire connaître. Je les invite également à prendre contact avec la CRR qui fait un excellent travail, reconnu par les victimes que j’ai pu rencontrer, certaines grâce à cette commission.»
La commission, présidée par le juge Antoine Garapon audite les victimes et propose des réparations entre 5000 et 60 000 euros. Selon leur site plus de 650 personnes ont contacté la commission. Sauf que pour Alain Guillou, la commission a tendance a minimiser les faits. Il estime que cette agression de la part du frère Célestin a eu de très graves conséquences dans ses relations avec sa famille, qui ne l'a jamais cru, et a causé le fiasco de son éducation puisque cet ignoble acte a fait de lui un rebelle. Il a été renvoyé de plusieurs établissements scolaires. Il parle de « dégâts physiques, moraux et financiers occasionnés en cascade sur une vie entière gravement impactée par ce prédateur sexuel » .
Alain envisageait de devenir pilote de ligne comme son père mais pour lui tout a foiré à cause de ce qu'il s'est passé au collège. A cette époque on ne croyait même pas les filles quand elles étaient violées ou juste tripotées, encore moins un gamin. Alain déplore que la relation avec son père s'est détériorée à ce moment. Il raconte : « En punition pour ma fugue et pour me faire taire sur ce qu'il s'était passé au collège, ma tante a demandé à un de ses amis de me rouler nu dans un champ d’orties…. il l'a fait et il avait des gants ! »
Alain Guillou estime que la destruction de ses rêves d'enfants et de la confiance qu'il avait dans les adultes n'a pas de prix. Il réclame 100 000 euros et déplore que la CRR ait tenté de minimiser ce qu'il s'est passé. Il déplore sur son site que la CRR soit « composée principalement de juges et d'anciens juges faisant preuve d'une reconnaissance minimisée et de mensonges flagrants, dans le seul but de limiter le montant des réparations.» Pour lui, 100 000 euros, c'est un minimum pour des choses qui malheureusement ne peuvent plus être réparées.
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