En mai 2008, le groupe socialiste au Sénat a déposé une proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs.
L'argumentation développée s'appuie sur le constat d'un déficit de représentativité du Sénat qui n'est pas autre chose que le « Grand conseil des communes françaises » décrit par Gambetta en 1875, et sur celui de la sous-représentation des départements et des régions.
Les sénateurs socialistes ajoutent « qu'ils ne peuvent accepter l'existence d'une assemblée politique où l'alternance est de facto interdite. C'est un déni évident de démocratie que le Sénat ne puisse jamais changer de majorité et soit ainsi réservé à la droite »
En filigrane, ce qui sous-tend la démarche est le désir profond de la gauche de pouvoir devenir un jour majoritaire au sénat. Si le mode d'élection actuel lui était favorable, on ne l'entendrait sans doute pas s'émouvoir sur cette chambre.
Peut-on réformer cette « anomalie » , c'est ainsi que Lionel Jospin décrit la chambre haute, sans s'interroger sur l'ensemble du système qui fait de la France l'ultime Etat-nation alors que partout ailleurs les États se sont adaptés ?
Un nouveau mode d'élection des sénateurs, plus démocratique, ne résoudrait rien.
Le bicamérisme apparaît sans doute comme un type d'organisation qui consolide la démocratie en diversifiant la représentation. C'est sans doute ce que pense le démocrate lambda.
Ce n'est vrai que sous certaines conditions que la France ne remplit pas.
Le bicamérisme est consubstantiel au fédéralisme dont il est indissociable, en constituant un élément clé de sa spécificité.
Dans sa construction de l'État (nation building) la France n'est jamais parvenue à créer une communauté nationale stable et a moins encore réussi à dissoudre les communautés préexistantes ( Bretagne, Alsace, Corse, Pays Basque, Occitanie, Flandres…)
Elle n'a jamais voulu accommoder la pluralité en adoptant une formule constitutionnelle idoine. La sacralité de l'unité territoriale et de l'indivisibilité érigée en dogme n'a jamais permis qu'il soit envisagé d'intégrer les nationalités historiques dans un espace d'entendement mutuel, respectueux des autonomies et des identités.
La fonction territoriale de la seconde Chambre est purement illusoire dans un pays à vision exclusivement holiste qui ne reconnaît pas les parties, qui s'en méfie, et qui privilégie le tout. La reconnaissance des collectivités locales et territoriales relève d'une conception administrative de l'espace national, alors subdivisé en territoires. Cette reconnaissance est du même type que le découpage départemental napoléonien.
Il ne s'agit pas de découper ou de reconnaître, mais bien de doter les territoires dont il est question de pouvoirs normatifs : de leur restituer leur autonomie.
La représentation territoriale, en dehors des États fédéraux, est un héritage du féodalisme.
David E. Smith, professeur de Sciences politiques à l'Université de Saskatchewan et auteur d'un certain nombre d'ouvrages précise : « Dans le fédéralisme américain, les États sont moins incorporés à l'Union qu'ils ne donnent collectivement corps à cette Union » (American federalism is less a question of states being incorporated into the United States than being incorporated as the United States).
Notre construction du fédéralisme prendrait une direction différente de celle qui a présidé à l'avènement de la plupart des états fédéraux.
Quand les 13 colonies britanniques sont parties de la liberté de se choisir américaines, après s'être défaites des chaînes qui les rendaient esclaves, pour entrevoir de passer un pacte dont elles estimaient qu'il était nécessaire à leur survie, nous, ici, faisons face à une première phase de déconstruction préalable d'un état unitaire, d'un état déjà là, autoritaire parce que fragile, pour ensuite reconstruire à notre gré.
Il ne s'agit pas de demander à la France d'avoir un peu de condescendance et de reconnaître les entités historiques qui la formeraient. Elles ne l'ont jamais formé. Elles n'ont été que contraintes par la force et par les armes d'y être amalgamées ou digérées.
Dans une conception fédéraliste de l'avenir, la France n'existerait que comme l'appellation contrôlée d'un pacte passé entre les diverses unités territoriales librement associées par voisinage et par intérêt. Elle pourrait d'ailleurs ne plus exister. Mais on voit mal, comment, dans l'esprit d'une philosophie de paix et de concertation, la Bretagne s'isolerait en faisant porter le poids de son malheur historique par des populations tenues isolées des intérêts de ses princes. Elle aurait tout à perdre, y compris une partie de son âme.
La France, si elle doit survivre et échapper à l'entropie qui la condamne, naîtrait d'un contrat consenti entre les unités territoriales distinctes, sans y être partie prenante, à l'instar de Washington DC, qui n'est que la forme lisible d'un contrat passé entre 50 états, chacun conservant sa souveraineté, une constitution propre qui la garantit et une organisation étatique autonome.
Si nous comprenons les ressorts des indépendantistes, nous nous en écartons pour des raisons de modernité et d'efficacité. l'État-nation est partout en ruine et revendiquer ici sa forme est un anachronisme. L'indépendance est liée à la souveraineté et à l'autarcie.
Aujourd'hui tous les États du monde survivent dans le cadre d'une souveraineté partagée, ne serait-ce que par l'existence des organisations supra-nationales. La globalisation des échanges, mais aussi l'évolution technologique, ont renvoyé l'autarcie dans un univers sombre d'un temps périmé.
Notre espace de Bretagne est beaucoup plus extraverti qu'il n'y paraît.
Et ce n'est pas nouveau. On l'a déjà dit, mais répétons-nous.
Kerguelen, J. Cartier ne se sentaient pas enclavés. La mer ouvrait la Bretagne sur le monde et la connaissance et l'expertise que les Bretons avaient des possibilités que l'océan leur offrait leur a permis de se déterritorialiser de façon spectaculaire tout en enrichissant la Bretagne.
Ce n'est pas parce que l'indépendance est impossible que nous la récusons. Si elle avait été possible, ça se saurait et la Bretagne serait indépendante. Nous n'avons pas cette qualité de la patience incommensurable qui caractérise les indépendantistes, moins encore l'entêtement à s'ordonner sur des concepts d'un autre siècle.
Nous la récusons pour son non-sens dans la modernité de ce monde dans lequel nous sommes résolument inscrits. A part la Birmanie, la Corée du Nord et Cuba, tous les pays sont interdépendants.
Dès lors qu'il s'agit du droit et du pouvoir normatif de décider de ses propres règles et de son avenir, l'autonomie qu'accorde le fédéralisme nous semble satisfaisante.
L'autonomie fédéraliste n'est pas autre chose qu'une indépendance possible. C'est une autonomie souveraine garantie par une Constitution.
L'indépendance qui évoque des concepts datés comme le territoire, la langue et une nation n'est guère qu'une chimère pour certains, sans doute une manipulation pour d'autres.
Le Conseil de l'Europe a réuni des experts en linguistique et en sciences politiques de 35 pays pour savoir si une définition commune de la nation était possible. Le résultat est sans appel : une totale impossibilité.
Utiliser un mot indéfinissable (si la nation bretonne se définissait par l'unité de sa langue, la pureté de son sang et de ses mœurs, elle serait une bien médiocre nation au bord d'une extinction définitive) pour lui donner le poids d'un dogme c'est tomber dans l'absolutisme d'une vérité mystérieuse et toute puissante.
Habermas a su s'éloigner de Fichte et de Herder en expliquant pourquoi l'Allemagne n'avait jamais pu se constituer en État-nation et pourquoi la démocratie, dans ce pays, n'avait pu s'établir qu'après Auschwitz.
Quant à la nation française, c'est un subterfuge utilisé par Sieyès pour déposséder le peuple.
On n'est pas ce qu'on naît. Beaucoup de gens nés en Bretagne sont bien loin d'être Bretons, y compris d'aucuns qui parlent Breton, une langue qui permet aussi de dire autant de bêtises que le français. Il faut définitivement sortir de la sacralisation qui tue toutes les libertés individuelles.
On ne se libère pas d'une tyrannie par l'instauration d'une autre qui aurait revêtu les oripeaux de la liberté.
Le Sénat français ne représente pas les collectivités territoriales. Si c'était le cas, il aurait le bénéfice de compétences spécifiques qui le spécialiserait comme Chambre de défense des intérêts territoriaux.
Dans un système fédéral, la seconde Chambre, avant même de défendre les intérêts des unités fédérées, est garante de leur existence et de leur survie. Elle contrôle et surveille le pouvoir fédéral pour qu'il évite de maximiser son étendue.
Elle garantit la souveraineté des états fédérés.
La demande du parti socialiste pose problème.
Le véritable danger est précisément la politisation de la seconde chambre, ce qui est en train d'ailleurs de polluer le sénat américain. Le sénateur de l'Arkansas ne défend plus son état, mais le parti démocrate.
Mais, à la différence de la France, ce travers du sénat américain sera rectifié car il fait actualité.
Tout simplement parce que la mission du sénat américain, assemblée des États, remplit aussi une fonction non négligeable de caractère gouvernemental : « advice and consent » conseil et accord… Washington DC ne peut pas faire ce que les 50 états refuseraient.
Certes la réalité est plus complexe parce les structures existantes sont aux mains des hommes qui essaient toujours de maximiser leur pouvoir dans le cadre d'un rapport de forces.
Mais quand le pouvoir fédéral prend trop de poids, il trouve tout de suite une opposition ferme qui lui interdit de continuer sur cette voie.
C'est une des vertus du fédéralisme, toujours en construction, organisation ouverte et flexible.
Avant d'avoir un sénat qui représenterait les territoires, il faudrait sans doute que ces territoires existent, qu'ils aient la maîtrise politique de leur destin et les juridictions adaptées.
Une réforme du sénat ne peut être opératoire que dans le cadre du fédéralisme.
Dans le cas actuel d'une France unitaire, la seule réforme possible du sénat est son extinction pure et simple, son élimination avec les économies qui vont avec.
Qui peut prétendre représenter des territoires dans un pays qui n'en reconnaît qu'un seul, indivisible, et qui s'assure de son unité totalisante par la présence de préfets, ces messagers du totalitarisme, experts en surveillance et contrôle ?
On aurait aimé que le Parti socialiste fût un peu moins malhonnête face à une droite conservatrice et imbue de ses pouvoirs.
Cette chambre de retraités prébendés, moins démocratique que la Chambre des Lords, doit être revue et corrigée. Mais elle ne peut l'être qu'insérée dans une réforme plus conséquente.
Au cas contraire, la tyrannie des partis politiques sur la vie publique se poursuivra et on aura toujours une Voynet sénatrice, placée par le Parti Socialiste, un Pasqua évitant la justice, un Mélenchon arrogant, stupide et fier de l'être, un Rocard et un Josselin affectionnant les prébendes et quelques anciens radotant assis dans des fauteuils de velours rouge à côté d'un déambulateur.
Quelqu'un vient de me signaler que le maire de Carhaix, le parangon moderne de la lutte bretonne contre le pouvoir centralisateur, grand dépensier local d'argent public, projetait d'être candidat aux prochaines élections…. sénatoriales.
Amusant, non ?
Le 23 juin 2008
Jean-Yves QUIGUER, Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne