- Alors là, tu me scies les pattes ! exhale mon voisin en cherchant sans le trouver, à tâtons derrière lui, un support où asseoir sa stupéfaction. Sans vouloir te flatter, poursuit-il en reprenant souffle, d'habitude, tu es plutôt du genre plaisant, enjoué et tout. Il t'arrive, c'est vrai, de donner dans l'astuce et le jeu de mots et même plus souvent qu'à ton tour... Tous nos faiblesses ! Tu ne recules pas non plus à l'occasion devant le calembour ou la contrepèterie... Avec un goût inégal, je tenais à te le dire... Mais là, franchement, je ne reconnais plus !
Inégal ? Inégal ? J'aurais voulu répondre du tac au tac, moi, mais, beau me creuser la cervelle, je me trouvais fâcheusement à court d'une pique fielleuse et vengeresse.
- Si, si : il faut reconnaître, continuait l'autre. Rendre à César ! Mais vas-tu me dire enfin pourquoi comme ça, tout à trac, tu veux nous imposer un truc pareil ?
- Ah, mais tu n'y es pas, rétorquai-je avec un aplomb renaissant, trop heureux de trouver matière à porter la contradiction. Du tout, du tout ! Je n'impose rien à personne ! D'abord, ce n'est pas mon genre - tac, et d'une ! - et d'ailleurs, je n'en ai pas les moyens - et de deux - ! Tout simplement c'est ainsi, j'ai réfléchi, mon choix est fait : lundi 30, comme je te disais, je fais deuil...
- Eh bien dis-donc : bonjour l'ambiance et la bonne humeur ! Dis-moi : tu ne serais pas en train de nous préparer un gentil petit coup de blues, là, par hasard ? La gwerz, le fado... Ecoute, on est en droit de se poser la question ! Ah non : tu n'es vraiment pas d'humeur folâtre aujourd'hui, on peut le dire... Et... en quel honneur il veut faire deuil, le Môssieur ?
- En l'honneur que le 30 Juin 1941, après celle de la Pologne par ses ennemis - il y eut une autre partition. Celle de la Bretagne... Pas de même nature, j'en suis bien d'accord, vu qu'elle était le fait de euh... ses amis. Sans doute pour ça qu'on n'en parle pas trop dans les livres... Ce fut ainsi : pas un mot, pas un geste, je dégaine mon stylo-plume, un simple paraphe maréchalesque et le voisin ligérien qui pêchait au carrelet sur les bords de son fleuve, découvrait d'un seul coup l'océan de l'autre côté de sa haie... Pour lui, cela dut tenir du miracle. Du tour de magie. Il se frottait les yeux. Merlin l'Enchanteur ! On n'en espère pas tant du Loto ! Et, c'est qu'on s'habitue vite aux bonnes choses... L'humeur déjà transatlantique, il se voyait de but en blanc constructeur de paquebots et s'inventait tout de go des futurs hauturiers...
- Mais cela reste entre nous, hexagonaux, rien à voir ! Réfléchis donc un peu, je ne vois pas où est le drame.
- Non et c'est le problème ! Je sais : le verre à moitié vide, tu vas me reprocher... Je ne te donne pas tort. Mais je commence à faire les comptes ! On perd notre Parlement à la Révolution... Nos langues vernaculaires dès 1902... Et là, le 30 Juin 1941, on nous ampute d'une partie millénaire de notre territoire... Qu'est-ce qu'il va nous rester, à la fin, dis-moi ? Jusqu'où on va aller ? C'est cela l'avenir ? Y laisser des plumes ? Subir ? Alors, peut-être pas grand chose et tu fais ce que tu veux... Si je pouvais dénicher une petite hermine noire, ce serait encore mieux, mais moi, Lundi 30 juin, en guise de rosette, j'arborerai le puissant symbole d'un petit ruban noir frappé du "44" à ma boutonnière.
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