Melezour danvez burzhudus
Melezour denMelezour d’am yaouan
kiz d’am c’hozhniMelezour an amzer vremañ
Melezour ma huñnvreoù ha ma gwirionez
Melezour ma mignon
Melezour ma gerioù kuzh Hag er fin, le miroir :
C’est celui à qui l’on demande.
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Le miroir objet merveilleux
Le miroir humain
Le miroir de ma jeunesse et de ma vieillesse
Le miroir du moment présent
Le miroir de mes rêves et de la réalité
Miroir, mon ami
Le miroir de mes secrets
Enfin le miroir :
C’est celui à qui l’on demande
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Non pas chantées, ces paroles sont, en effet, dites en breton, par Rozenn TALEC, sur une aussi entêtante qu’engageante invitation à la gavotte, introduction mélodique menée par le vigoureux et lumineux accordéon de Yannig NOGUET.Bien que figurant en 11e piste du disque, cette pièce revêt, de fait, un aspect primordial puisque, titrée « Melezour » (Le miroir), c’est elle qui donne nom à l’opus et fondamentalise l’inspiration globale de ce nouveau programme proposé par ce brillant duo, au chant et à l’accordéon diatonique.
A ce sujet, les artistes, mieux que nous le ferions, nous-mêmes, précisent : « Le titre de l'album, Melezour - qui signifie " en breton - évoque l'image d'un miroir qui, au fil des générations, a observé le passage du temps et nous renvoie aujourd'hui le reflet de notre société actuelle. Cette représentation contemporaine n'est pas toujours en harmonie avec nos convictions écologiques, économiques et sociales. Néanmoins, le miroir est là, face à nous ; il nous oblige à prendre en considération notre réalité et à vivre avec : l'accepter ou non, chacun est libre de faire ses choix. » .
Pour toute personne, le miroir se révèle, de facto, être un intime et permanent partenaire de vie, aussi extrospectif, qu’introspectif. Notre apparence vestimentaire, l’image que nous donnons de nous, les marques du temps qui passe et qui fissurent notre visage, mais aussi, la trace implicite de nos secrets, de nos espoirs, de nos amours ravagés ou espérés sont, parmi d’autres, autant de reflets de nous-mêmes que l’on peut y voir, y percevoir.Le visage, lui-même, n’est-il pas le miroir du cœur, de l’âme et des pensées ? Semblant corroborer cette approche, Jean COCTEAU n’ajoutait-il pas ? : « Pour exprimer son âme, on n'a que son visage » . De son côté, en 1972, sur son deuxième album, Catherine LARA chantait « Ton âme se lit sur ton visage » .
Quelle belle idée, donc, pour ce « couple breton de chanteuse et sonneur » , bien connu et reconnu des parquets de danse et, plus généralement, de la scène actuelle bretonne, d’avoir nommé son 4e opus… « Melezour » ! Pour ce présent enregistrement qui marque quinze années de complicité artistique, après la parution de deux CD, en duo, « Mouezh an Diaoul » *1* (2013), « Gali Galant » (2015) ( Notre chronique) et « Dindan Dilhad Dindan » *2* (2019), en quatuor, avec Julien PADOVANI, aux claviers et Timothée LE BOUR, aux saxophones, nous comprenons d’entrée, par le nom donné à cette nouvelle publication discographique, que nous allons découvrir, au delà d’une excellente musique à danser qui demeure un point d’ancrage majeur, des textes originaux exprimant, dans l’actualité et l’intime, des moments de vie.
L’amour, qu’il soit sentimental ou sexuellement pulsionnel ; sinon, le féminisme, la féminité affirmée, le choix, le consentement, l’expression totale du désir féminin, comme le choix citoyen, l’érosion du temps, les préoccupations environnementales, mais, aussi, le bonheur de chanter et de faire de la musique, les souvenirs amoureux des veillées… nourrissent, particulièrement, le propos des paroles, très majoritairement, originales ; des textes écrits en breton et traduits dans le livret, mais aussi, rédigés en français par Rozenn, sur des compositions ciselées et magnifiquement ornementées, que l’on doit, très largement à Yannig. Mélodies de danse et textes actuels donnent, sans tabou, sans retenue, à cette expression musicale et vocale enracinée, un caractère résolument contemporain et libre.
Kas a-barh, Plinn, Ridée, Dañs fisel, Kost ar c’hoad, Andro, Tamm kreiz, Laridé, rythment ces 12 morceaux, pour leur totalité, chantés, en breton, mais, aussi, pour la première fois, en français, par la tonique, puissante, mais toujours, sensuelle voix de Rozenn. Son chant assuré, interpelant et fédérateur, n’oublions pas qu’au-delà de la spécialiste de la chanson bretonne (En 2022, elle obtient son Diplôme d’état de chant traditionnel), coutumière des festoù- noz, elle officie, aujourd’hui, en tant que Chef de chœur dans l’Orchestre Demos Kreiz Breizh, dirigé par la Philharmonie de Paris, nous rend captifs de sa magnifiquement et ô combien féminine expression vocale, immédiatement identifiable et à classer dans les grandes voix bretonnes. Cette spécifique voix a pris naissance et vigueur dès sa jeunesse, auprès d’un père, lui-même, chanteur de kan-ha-diskan, avec lequel elle a chanté et enregistré. Puis, elle forgera, entre autres, son expressivité auprès de Marthe VASSALLO ou grâce aux enseignements d’Erik MARCHAND, par sa participation à la Kreiz Breizh Akademi.
7 chansons sont entièrement interprétées en breton, 2, intégralement, chantées en français, 3 en associant les deux langues. Nous vous l’avons précisé, plus haut, les textes, en leur grande majorité, sont originaux et écrits par Rozenn, les autres sont empruntés au répertoire traditionnel, comme celui chanté par la carhaisienne Elissa BOTREL ou écrit, en 1987, par l’écrivain et conteur huelgoatain, Jañ Maï SKRAGN (Jean-Marie LE SCRAIGNE – 1920-2016).
Excepté, en piste 4, pour « Ni gano bepred 2 » (Nous chanterons toujours), co-composée avec le luthier et sonneur quimpérois, Youenn LE BIHAN, toutes les mélodies sont signées du prolifique et inspiré créatif Yannig NOGUET qui œuvre, depuis 30 ans, pour une musique bretonne à danser vivante et d’aujourd’hui…
Comme, focalisant sur la thématique de l’amour au choix des femmes, le précise, particulièrement, le communiqué de presse : « Les textes de ces nouvelles chansons se distinguent par une certaine liberté de s’exprimer, sans tabou, sur des sujets très féminins : l’intimité, les tensions amoureuses, sexuelles, les pulsions, l’attirance, l’amour, la sororité » .
C’est ainsi qu’en ouverture du disque, après de « sensuelles respirations » de l’accordéon de Yannig NOGUET qui introduisent le Kas a-barh au titre notifié en français et explicite, « Décide-toi » , le narratif chant de Rozenn TALEC qui, dans un premier temps, épouse celui de la « boîte diatonique » , devient, dans la logique évolution rythmique de la danse, plus entreprenante. Au travers d’une « chanson nouvellement composée » qui conte une historiette mettant en scène « une jeune fille et son galant » , le propos est, clairement, d’assumer pleinement l’initiative féminine en matière de désir sexuel. Le texte bilingue va droit au but :
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« Henoazh d’am gwele ha me an noazh
Ce soir , je suis dans mon lit et je suis nue)
Viens près de moi et mets toi sous les draps
Konto a rin doc’h an istor c’hoazh
(Je vais te raconter une histoire)
Décide-toi ou file de là » .
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Et s’il fallait préciser davantage, le dernier couplet est là pour entériner :
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« Nepas, nepas, ma glant paour
Laoskit ho pravigoù en tu
Ha dait c’hwi gwele doc’htu. »
Ce qui, dans le livret, est traduit par :
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Non, non, mon beau galant
Laissez vos présents de côté
Et venez dans mon lit, prestement.
Au-delà de cet amour charnel choisi, il y a, aussi, l’autre côté… du miroir, celui de la tendresse, elle aussi, privilégiée, par la femme amoureuse :
En piste 5, la Ridée, dénommée, avec à propos et analogie phonique, « La risée » , met en lumière cet aspect sentimental par un texte chanté, entièrement, en français et ponctué par une phrase et ses dérivées qui revient, à plusieurs reprises, marquant, en termes des choses amoureuses, consentement et libre choix féminin. « Oui, oui, oui ce sont les filles qui promènent, ainsi la vie » :
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Le prochain qui viendra, de la tendresse, me donnera
Non, non, non, je lui dirai, je m’occupe pas de tes habits
Oui, oui, oui, je lui dirai que je n’attendais que lui.
Dans un tout autre registre et, évoqué plus haut, pour son 3e volet co-composée par Yannig et Youenn LE BIHAN, nous avons beaucoup aimé, en pistes 2, 3 et 4, la suite plinn, ton berr, bal et ton hir, successivement titrés « Gano bepred » (Nous chanterons toujours), « Kaeran buhez » et « Ni gano bepred 2 » .
La succession de ces 3 pièces met en exergue plusieurs aspects de l’expression instrumentale de Yannig et la large diversité interprétative du chant de Rozenn. C’est, tour à tour, fougueux, délicieusement obsédant, véloce, enjoué, narratif, toujours, entre tradition et contemporanéité, baigné de lumière et de couleurs. Nous ne savons plus si l’on écoute deux instrumentistes ou deux chanteurs, tant l’osmose voix et accordéon est effective. Magnifiques dialogues qui illustrent pleinement les spécifiques fondements de ce couple qui fait danser avec une qualité musicale et vocale qui, depuis longtemps, déjàn n’est plus à démontrer.
Cette séquence ternaire est dédiée aux vertus et, au-delà des veillées ancestrales, à la pérennité de la danse et du chant qui, autrefois, contribuaient à tisser les rencontres et à former les couples en ne générant, parfois, au retour du bal, qu’un ou deux doux baisers. Quel exutoire, on l‘imagine, surtout à l’époque de dure vie rurale ou maritime… et en nos jours, peut-être aussi, un ersatz de bonheur, dans une vie contemporaine, pour beaucoup, pas toujours si facile à vivre. Et pour les chanteurs, musiciens et danseurs, Rozenn chante une « merveilleuse vie » :
« La plus belle vie sur terre est celle des chanteurs
Des sonneursDes danseurs
Et des fêtards
Car lors des veillées ils chantentIls sonnent
Ils dansent
Et ils boivent
Nuit et jour. » .
Puis, thème du Ton hir, la vieillesse s’empare, malgré tout, aussi, de ces chanceux « faiseurs de notes » :
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« Et maintenant que nous approchons les quarante deux ans
Si on arrive encore à chanter une chanson ensemble.
Et quand ta petite fille fera sa communion
Nous irons ensemble à la messe chanter des cantiques.
Et le jour où elle se mariera et que nos barbes seront blanches
Nous ferons le chant de la mariée, du plomb dans les galoches.
Si Iwan DOMAS sonne à la clarinette
Nous allongerons la jambe en lançant un cri. » .
Dans son texte écrit et chanté en breton, dont nous avons choisi de vous présenter directement, ici, la traduction en français figurant dans le livret, au dernier couplet, Rozenn LE TALEC fait référence à un célèbre clarinettiste, Yves Thomas (1919-1989) issu du Pays fañch, territoire de la danse plinn.
En termes de variations d’expression vocale, ne passez pas à côté de la piste 6, titrée « Les filles de Rostrenen » , morceau qui associe mélodie et dañs fisel, texte traditionnel et paroles originales de Rozenn TALEC.Sur le bourdon de l’accordéon de Yannig, semblant, presque, interpeler, Rozenn chante en puissante complainte, avec une certaine dramaturgie, le désespoir des filles de Rostrenen de ne pas trouver galants, voire maris, jeunes hommes qui, les trouvant trop fières, préfèrent les étrangères à cette ville de Côtes d’Armor, souvent considérée comme capitale du Pays Fisel où, en ronde fermée, la danse, du même nom, faisant partie de la grande famille des gavottes est largement pratiquée. C’est de ce fait, qu’en seconde partie de la suite, introduite par les progressives saccades mélodiques de l’accordéon qui, préfigurant la danse viennent se lier, en « fondu enchainé » , à l’initial bourdon sus-mentionné, après quelques « la la léno… et corolaires » , Rozenn retrouve son chant à danser, en entonnant, comme en prolongement du propos précédent :
« Le dimanche on danse le fisel au bourg de Rostrenen
Les femmes fières portent leurs coiffes en dentelles de Basse Bretagne. » .
Il s’agit d’une sorte de diptyque musical où les deux volets, dépeignant un même cadre géographique local sont fort habilement enchainés, juxtaposés, autant vocalement que mélodiquement et rythmiquement, au point, au cours des dernières mesures, de retrouver le premier thème chanté sur la mélodie fisel ; bel exercice de style !
Il se dégage, entre autres, de cet album une impression de proximité, d’intimité, notamment, générée par l’enregistrement et le mixage réalisés par l’ingénieur du son Gwenolé LAHALLE, aussi membre, avec BLEUNWENN, de VINDOTALE. Vient s’ajouter à la vigueur, la densité du propos musical chanté et joué, celle, parfois, créée par la superposition de 5 lignes de l’accordéon de Yannig, et quelques pistes du chant de Rozenn, le tout parfaitement harmonisé et optimisé dans l’espace stéréophonique par un mastering soigné, signé de Ronan CLOAREC du studio nantais (44-Bzh), « Incisive » ( Voir site).
Avec « Melezour » , nous retrouvons, certes avec des intentions quelque peu différentes, une certaine continuité avec les 3 disques précédents du duo, mais l’on passe des primes expositions artistiques de « Mouezh an Diaoul » , à, issu d’un spectacle, l’univers plus cabaret de « Gali Galant » , via « Dindan Dilhad Dindan » (Les dessous des dessous), titre suggérant, la révélation de tout ce qui se cache en lui, en matière d’envies musicales, à des interrogations plus personnelles, plus introspectives ; lorsque, passant quotidiennement devant un miroir, on se pose les questions : « Je suis qui ? Je fais quoi ? Je viens d’où ? Comment étais-je avant ? Vers où vais-je ? Quels sont mes souvenirs ? » .
Ce programme, bien évidemment, à danser, est aussi à écouter avec attention, en version originale bretonne ou, pour les non locuteurs, livret en main. Les artistes transcrivent, ici, par leurs notes et mots, ce qu’ils ont, vraiment, envie de mélodiquement créer, de chanter dans la langue qui leur plait, d’où, cette grande première, la juxtaposition du breton et du français. Au cœur de leur démarche artistique, la partie textuelle est importante.Toujours avec la constante envie de faire danser les gens, Rozenn LE TALEC et Yannig NOGUET souhaitent, parallèlement et en toute liberté, prendre parti sur les aspects écologiques, économiques, sociaux, sociétaux, qui ne recueillent, pas toujours, leur plein agrément.
Entre passé et présent, « Melezour » de Rozenn LE TALEC et Yannig NOGUET est un opus vivant, brillant, coloré, sincère, concerné, sensuel, émouvant qui vous emplira d’énergie et d’optimisme.
Gérard SIMON
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*1* : « Mouezh an Diaoul » * (2013)
et
*2* « Dindan Dilhad Dindan » * (2019),
sont présentés dans la rubrique « CD A RETENIR ».
Illustration sonore de la page : Rozenn TALEC et Yannig NOGUET - "Melezour" (Ton doubl gavotte) - Extrait de 01:08.
Site de Rozenn TALEC : www.rozenntalec.bzh et de Yannig NOGUET : www.yannignoguet.com
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine ( Voir site).
Les titres du CD "Melezour"
01 - Décide-toi (Kas a-barh) - 05:46.
02 - Ni gano bepred (Ton berr Plinn) - 03:59.
03 - Kaerañ buhez (Bal Plinn) - 01:44.
04 - Ni gano bepred 2 (Ton hir Plinn) - 05:15.
05 - La risée (Ridée) - 04:59.
06 - Les filles de Rostrenen - 05:44.
07 - Ar mevel (Kost ar c'hoad) - 05:23.
08 - Au mois de mai (Andro) - 04:26.
09 - Ma c'hamarad avel (Ton simpl Gavotte) - 04:52.
10 - Talbenn ar bobl (Bal gavotte) - 02:03.
11 - Melezour (Ton doubl gavotte) - 05:38.
12 - An holl merc'hed a gano (Laridé-Gavotte) - 03:30.
Durée totale : 53:27.
CD "Melezour"- Rozenn TALEC et Yannig NOGUET
Parution : 6 décembre
© Culture et Celtie
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