Encore un livre de prospective sur l'économie bretonne (Bretagne administrative), mais, le fait qu'il ait été rédigé par 4 universitaires le rend différent, puisque chacun, dans, au-moins un chapitre, a apporté une vision de l'intérieur de sa profession. Cette vision n'est pas purement économique, car, elle analyse les évolutions et les rapports de force à fort arrière-plan politique, voire corporatiste, dans les branches économiques ou les universités. L'ensemble est fort intéressant.
Il est mis l'accent sur plusieurs faits :
- La Bretagne a perdu des atouts économiques majeurs (télécoms, construction navale, pêche) et n'est pas bien placée dans la construction des hydroliennes et de l'éolien flottant, qui aurait pu favoriser Brest ou même dans le traitement des images
- La recherche y est mal en point, car atomisée, mal identifiée au niveau mondial, déchirée entre les rivalités universitaires
- Ce qui paraissait encore solide, il y a peu, est potentiellement fragile (agro-alimentaire, automobile)
Une nouvelle industrie de la déconstruction des bateaux devrait voir le jour, tant pour le secteur professionnel que celui de la plaisance (¼ des bateaux de plaisance en Bretagne).
L'avenir réside peut-être dans 3 nouveaux secteurs transversaux: la biotechnologie, les technologies écologiques (écotech) et les nanotechnologies. Parmi les pistes à mettre en ½uvre: rénovation des maisons, éco-matériaux, autonomie énergétique (éolien, houle, gaz des déchets). Les auteurs regrettent aussi une condamnation trop large des OGM qui ne tient pas compte de leur usage bénéfique dans l'industrie du médicament.
L'organisation de la recherche, qui préoccupe les auteurs, est abordée sous deux angles : une critique de la manière brouillonne avec laquelle ont été institués, sous la présidence Sarkozy, des regroupement de laboratoires en pôles sous la croyance naïve que plus, c'est grand, plus c'est efficace. C'est souvent un prétexte pour regrouper sur la Région parisienne.
L'autre angle est le fait que la recherche n'a pas forcément besoin d'être localisée et regroupée, car les chercheurs sont maintenant reliés les uns aux autres par les réseaux télécoms. Des critiques sont formulées contre l'agence économique régionale, Bretagne Développement Innovation (BDI), qui est accusée de séparer la recherche et l'innovation, reproduisant la barrière recherche fondamentale/recherche appliquée. La forme coopérative dominante qui est celle de l'industrie agro-alimentaire serait un frein à la recherche.
Le Conseil économique, social et environnemental régional se voit reprocher des rapports à l'eau tiède, «ménageant la chèvre et le chou» .
Le Pôle régional d'enseignement supérieur (PRES), qui coordonne certaines actions des universités de Bretagne est taxé de repli sur le pré carré universitaire, alors qu'il devrait être missionné pour réguler les politiques de formations en Bretagne. Le reproche s'adresse autant à la Région qui finance et les universités et les formations pour adultes.
Mais, différents constats montrent que beaucoup de trop de choses sont décidées à Paris, loin du terrain et sans considération des forces locales.
Paris cherche à instaurer une sorte de division régionale du travail qui peut faire fi de la réalité.
La mondialisation, qui fait se déplacer les activités d'un pays à l'autre, n'est pas pour favoriser la prospective. D'où un message ambivalent : nous ne sommes pas souvent maîtres du jeu et pourtant, nous devons exploiter nos atouts, comme à l'époque du CELIB et de l'implantation des télécoms, en déployant «une volonté collective, c'est-à-dire, d'abord, politique» .
Secoue-toi Bretagne ! Breizh, krog e-barzh! : Essai sur les enjeux de l'économie régionale
Jacques D. de Certaines, Jean-Louis Coatrieux, Jean-Pierre Coudreuse, André Lespagnol
ISBN : 978-2-84398-430-3
Éd. Apogée, Rennes, 2013. 18 euros.
Christian Rogel