Rennes, le 3 avril 2008
Dominique Bussereau a annoncé mardi, sa volonté de « renationaliser » les écoles de la marine marchande et de réduire à 2 le nombre de sites de formation (4 actuellement). Jean-Yves Le Drian s'insurge.
Le 22 février dernier, Jean-Yves Le Drian réagissait aux conclusions de la table ronde organisée par les armateurs pour faire face à la pénurie d'officiers de la Marine Marchande et mettait en garde le secrétaire d'État aux transports sur l'éventuelle fermeture de l'École de la Marine Marchande (EMM) de Saint-Malo. Le Président de la Région Bretagne n'avait pas obtenu de réponse de D. Bussereau. Il vient de prendre connaissance de sa position à travers le discours prononcé devant les armateurs de France mardi dernier et qui confirme les craintes du président de la Région Bretagne : le secrétaire d'État veut renationaliser (1) les EMM et les regrouper ; il sous-entend la fermeture des écoles de Saint-Malo et Nantes.
Mais J.-Y. Le Drian s'insurge « L'enseignement supérieur ne peut pas se faire sans la Bretagne. La fermeture de l'EMM Saint-Malo serait une véritable claque à la maritimité bretonne, un affront à sa culture maritime ». Il rappelle que « 50 % des personnels de la marine marchande française sont employés en Bretagne, qu'il y a un savoir-faire exceptionnel en Bretagne en matière de formation et de recherche et qu'on estime à 4 000 le nombre d'officiers manquants en Europe. »
J.-Y. Le Drian est tout à fait conscient que la formation supérieure maritime, trop complexe et atypique, doit évoluer et se moderniser. Fin 2007, sans attendre les annonces du Secrétariat d'État, la région a d'ailleurs lancé une étude sur l'ensemble de l'enseignement supérieur maritime en Bretagne. Cette étude, menée dans un contexte national, européen et international, vise à développer la filière et à la rendre plus attractive à travers un état des lieux et des perspectives de toutes ses composantes.
Jean-Yves Le Drian l'a rappelé : « il est nécessaire de refondre le système, de requalifier les diplômes par un titre d'ingénieur, d'ouvrir ces formations et de les rendre plus lisibles. Nous sommes d'accord pour une réorganisation. Mais à l'heure où le Livre bleu se met en place et réaffirme la place des Régions dans la politique maritime européenne, on ne peut pas renationaliser les EMM et tirer un trait sur la formation maritime en Bretagne ».
L'enseignement supérieur de la Marine Marchande
La marine de commerce forme près de 1 000 officiers par an au sein de 4 EMM situées à Saint-Malo, Nantes, Le Havre et Marseille. Depuis quelques années, la profession peine à trouver des personnels qualifiés, notamment des officiers. Système de formation complexe et atypique, n'offrant d'équivalence ni avec l'enseignement supérieur classique ni avec les autres secteurs maritimes… l'enseignement supérieur de la Marine Marchande doit faire l'objet d'une redéfinition et d'une modernisation, la Région en est parfaitement consciente.
Près de 1 000 élèves officiers chaque année
L'enseignement supérieur de la Marine Marchande est aujourd'hui dispensé dans quatre écoles de la marine marchande (EMM) qui assurent la formation des officiers.
Les 4 EMM du Havre, Marseille, Saint-Malo et Nantes, qui accueillent au total près de 1 000 élèves officiers, ne proposent pas toutes des formations identiques. Seules les EMM de Marseille et du Havre dispensent la formation des officiers de 1ère classe de la marine marchande (filière A), les EMM de Saint-Malo et de Nantes assurant la formation des officiers de la filière professionnelle (filière B).
De plus les écoles de Saint-Malo et Nantes ont chacune des spécialisations : l'EMM de Saint-Malo délivre les brevets d'« officier électronicien et système de la marine marchande » et de sauvetage (BAEERS) et l'EMM de Nantes dispense la formation d'« inspecteurs de la sécurité et de la navigation ».
Un système complexe déconnecté de l'enseignement supérieur classique
Le système de formation des officiers est très éloigné du système adopté dans les universités ou les grandes écoles ; il n'obéit pas au découpage européen LMD (licence/master/doctorat) et les diplômes obtenus en fin de cursus ne sont pas reconnus comme des titres d'ingénieurs.
Aucune équivalence n'est reconnue : l'entrée à l'EMM se fait sur concours au niveau Bac, le titulaire d'un Bac+2 ne pourra être admis qu'en 1ère année à l'EMM et, inversement, un étudiant de l'EMM qui souhaite se réorienter vers un autre cursus ne pourra intégrer qu'une formation de niveau Bac.
Le contenu des formations est également jugé trop fermé. S'il est jugé bon sur les matières spécifiques à la filière comme la navigation… il n'est en revanche pas assez centré sur les aspects liés à la direction comme le management, la gestion ou encore le droit maritime.
Ce dispositif de formation complexe[2] (voir schéma page suivante) le rend peu lisible pour les personnes extérieures au monde de la marine marchande et ferme les possibilités d'évolution de carrière vers les métiers d'autres secteurs (maritimes ou non).
Parmi les problématiques relevées dans le système, on peut également citer la durée de formation jugée parfois trop longue (5 ans), le manque de moyens financiers et humains qui n'autorise pas les activités de recherche (un professeur d'EMM a une charge horaire d'enseignement deux fois plus importante qu'un professeur d'université)…
Quelques repères sur l'enseignement supérieur de la Marine Marchande
— Des 8 écoles d'hydrographie aux 4 ENMM
En 1958, les écoles d'hydrographie deviennent les Écoles Nationales de la Marine Marchande. Progressivement, alors que les sites de Paris, Bordeaux et Alger sont fermés, les cinq autres écoles sont progressivement consolidées : Saint-Malo en 1958, Nantes en 1959, Paimpol en 1962, Le Havre en 1965 et Marseille en 1967.
Il n'existe plus aujourd'hui que 4 ENMM puisqu'en 1988, l'État a fermé le site de Paimpol.
— 2002 : une réforme pour pallier le déficit d'effectifs qualifiés
Pour faire face aux déficits croissants de personnels qualifiés dans la filière maritime marchande, la direction des affaires maritimes et des gens de mer (DAMGM) a entrepris en 2002, une profonde réforme de son enseignement.
Cette réorganisation a notamment conduit à créer en septembre 2003, à côté de la filière A qui forme des officiers polyvalents de la marine marchande en les recrutant sur concours, la filière professionnelle (filière B) favorisant la promotion sociale. Cette filière monovalente permet aux professionnels issus du monde de la marine de commerce d'accéder aux mêmes brevets de responsabilité que la filière A avec une spécialité « pont » ou « machine ».
Les EMM du Havre et de Marseille dispensent les formations de la filière A et Saint-Malo et Nantes celles de la filière B.
— 2004 : l'État confie aux Régions la gestion des EMM mais ne publie aucun décret d'application
Afin de mieux insérer ces établissements dans le tissu socio-économique et institutionnel maritime, l'État a confié aux Régions la gestion des quatre EMM en 2004 dans le cadre de la loi relative aux libertés et responsabilités locales. Cependant, le décret d'application qui devait fixer les modalités de ce transfert n'est jamais paru…
Jusqu'à 1 000 stagiaires formés chaque année à l'EMM Saint-Malo
À la suppression de l'EMM de Paimpol en 1988, ses biens, droits et obligations ont été transférés à l'EMM de Saint-Malo. Aujourd'hui, avec ses programmes de formation initiale, continue et le CESAME, le site de Saint-Malo forme jusqu'à 1 000 stagiaires par an.
Formation initiale et continue
L'EMM de Saint-Malo assure les formations de la filière professionnelle (filière B) ainsi que la formation initiale des élèves officiers chef de quart machine, de second et de chef mécanicien. Elle est la seule des 4 EMM à délivrer le brevet d'officier électronicien et système de la marine marchande. Pour l'année 2007-2008, l'école accueill 90 élèves en formation initiale.
L'école propose aussi un large panel de stages dans le cadre de la formation continue : formation médicale, formation d'officiers et d'agent de sécurité des installations portuaires, qualifications pour les pétroliers, gestion de crise…
Le CESAME : LE centre public de formation à la sécurité et au sauvetage
L'école de Saint-Malo héberge, depuis 2005, le CESAME (Centre d'entraînement à la survie et au sauvetage en mer), le seul centre public français qui forme à la sécurité et au sauvetage. En 2007, il a formé plus de 200 stagiaires parmi lesquels de nombreux professionnels de la pêche, des élèves des lycées professionnels maritimes et des étudiants des autres EMM. La Région a largement contribué à la création du CESAME dans le cadre du dernier Contrat de plan Etat-Région, en finançant 23% du coût d'équipement (228 674 €).
Le CESAME forme notamment au Brevet d'Aptitude à l'Exploitation des Embarcations et Radeaux de sauvetage (BAEERS) ; de ce fait, l'EMM de Saint-Malo est la seule à proposer une préparation à ce brevet.
Des équipements de pointe financés pour partie par la Région
L'EMM de Saint-Malo dispose d'équipements élaborés permettant une formation au plus près des conditions réelles : laboratoires d'informatique, d'électrotechnique, d'hydraulique, de froid et de climatisation, simulateurs de machines marines, de chargements de navires, SMDSM (système international de détresse et de sécurité en mer)…
Le simulateur de machines, opérationnel depuis 2007, a été financé à hauteur de 20% par la Région (soit 50 000 €).
Un lien étroit avec le lycée professionnel maritime
L'EMM de Saint-Malo entretient des liens particuliers avec le lycée professionnel maritime de Saint-Malo dont elle prépare des élèves (16 en 2005-2006) au concours d'officier chef de quart machine.
La [région] Bretagne : un territoire à vocation maritime
Alors que l'enseignement supérieur maritime souffre d'un manque d'ouverture, de polyvalence et de transversalité, le territoire breton offre les atouts pour le développement d'un système d'enseignement performant et attractif.
La mer fait partie de l'identité bretonne et constitue un pilier important de son économie ; toutes les filières maritimes y sont représentées (construction navale et nautique, pêche, armement, transport maritime, surveillance, transformation des produits de la mer…).
De plus, pour renforcer sa vocation maritime, le Conseil régional a mis l'accent sur la formation, la recherche et l'innovation.
Les 4 lycées professionnels maritimes (LPM) bretons forment 600 jeunes aux métiers de la pêche, des cultures marines et du commerce du CAP au BAC pro. D'autres lycées proposent également des formations dans le secteur maritime allant jusqu'au BTS.
En charge de la formation continue, la Région travaille sur la mise en place de contrat d'objectifs emploi-formation avec les filières pêche-conchyliculture et nautisme. Ces contrats associent la Région, l'État et les représentants de la profession pour anticiper les besoins et définir une offre de formation toujours plus adaptée. La Bretagne dispose également d'un Centre européen de la formation continue maritime (CEFCM) à Concarneau.
Enfin, sur l'enseignement supérieur et la recherche, la Bretagne tient une place de premier plan pour les sciences et techniques marines avec l'EMM, ses écoles d'ingénieurs spécialisées dans certaines disciplines marines comme l'ENSIETA ou encore ses grandes écoles de formation de la Marine Nationale (École navale, École des officiers du Commissariat de la Marine). Les activités de recherche, en lien étroit avec l'enseignement supérieur, sont particulièrement présentes et performantes en Bretagne avec l'IFREMER, l'Institut Universitaire européen de la Mer de l'UBO ou encore la station biologique de Roscoff fédérés au sein de l'Europôle Mer.
La Région participe au développement de la recherche marine en soutenant les investissements des laboratoires et centre de recherche et en appuyant les projets de jeunes chercheurs. De plus, chaque année avec son Prix Bretagne Jeune Chercheur, elle met en valeur leurs travaux. En 2006, elle a accordé plus d'un million d'euros de bourses (PRIR, ARED) aux chercheurs en sciences et techniques de la mer.
La Région soutient également le pôle de compétitive Mer Bretagne à vocation mondiale qui, par sa présence et son action, renforce davantage encore la vocation maritime de la Bretagne.
La filière maritime en [région] Bretagne : quelques chiffres
Marine de commerce
- 103 établissements de transport maritime et côtier ;
- Plus de 4 600 marins, inscrits ENIM, dans la Marine Marchande (sur un total national de 10 000 marins inscrits ENIM) ;
- 8,8 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année par ses 5 principaux ports de commerce (Brest, Lorient, Roscoff, Le Légué, St Malo).
Construction et réparation navale
- La construction civile et militaire concerne plus de 8 000 personnes en Bretagne ;
- les 10 établissements bretons de réparation emploient 670 salariés (soit 46% des emplois du secteur au niveau national).
Pêche et transformation
- 6 000 marins (30 % des emplois de la pêche en France) ;
- 301 000 tonnes de poissons et crustacés soit 51% des captures de pêche ;
- 1 537 navires de pêche bretons (représente 28% de la flottille française) ;
- 68 entreprises de transformation (4 350 emplois) ;
- 125 entreprises de mareyage (1 000 emplois) et 700 entreprises conchylicoles - 50 600 tonnes par an (2 300 emplois).