En annonçant l'abandon du projet GdF-SUEZ de centrale gaz-fuel à Ploufragan, la presse fait savoir que le ministère de l'écologie, de l'Énergie, du Ééveloppement durable et de l'Aménagement du territoire entend que les élus formulent des propositions sur les moyens d'assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de la Bretagne.
Au-delà des 100 plaintes pour publicité mensongère qu'il a effectivement déposées le 14 janvier contre GdF-SUEZ auprès du TGI de St-Brieuc et qu'il suit, le Collectif Urgence Réchauffement Climatique reste mobilisé et entend bien continuer d'apporter sa contribution au débat.
En effet, si le projet de GdF-SUEZ semble enterré, la demande de RTE ne l'est pas : RTE continue de défendre l'idée d'une centrale d'extrême pointe ou, à défaut, d'un doublement de la ligne THT.
A l'aube de ce XXIe siècle, pour que notre région ne s'engage pas dans une impasse calamiteuse, il incombe aux élus et aux citoyens de savoir résister aux sirènes de la consommation électrique à outrance, au crédo du « toujours plus » développé par tous les opérateurs, RTE et les autres.
En effet, devant l'augmentation croissante de la consommation d'électricité, pour éviter la panne, deux logiques s'affrontent :
- La première option, aujourd'hui largement dominante, prétend illusoire de freiner la demande et préconise de produire toujours plus, quelles que soient les conséquences pour le climat et la stabilité du monde. Cette voie privilégie les grosses centrales, nucléaires ou thermiques, à gaz ou au charbon. Elle ne néglige pas les énergies renouvelables, mais uniquement en appoint. C'est celle que promeut RTE, EDF, GdF-Suez et autres lobbys.
- La deuxième voie, diminuer la consommation d'électricité, implique de trouver le moyen de briser la dynamique du toujours plus afin de permettre aux énergies renouvelables, souvent locales, de répondre en proportion croissante à la demande en énergie et d'occuper une place de plus en plus significative dans le paysage énergétique global. Et ceci pour des raisons climatiques et économiques mais aussi de sécurité, pour que la pénurie n'entraîne pas guerres et chaos. N'oublions pas que Al Gore et le GIEC ont obtenu en 2007 le Prix Nobel… de la Paix. Nous avons la responsabilité de défendre cette voie de l'intelligence en rejetant les fausses bonnes solutions d'une centrale thermique d'extrême pointe ou d'une nouvelle ligne THT.
Dans cette deuxième voie, ne nous y trompons pas, l'efficacité énergétique est la plus importante des politiques énergétiques. Certes, avec l'annonce médiatique de « l'abandon » du projet de Ploufragan, on a vu ressurgir des photos d'éoliennes mais les énergies renouvelables ne doivent pas faire oublier l'essentiel : la diminution des consommations. L'objectif de 23 % d'énergies renouvelables en 2020 ne pourra pas être atteint si on ne réduit pas la consommation d'énergie.
Rappelons-nous l'avertissement lancé par Hervé Kempf dans Le Monde du 15 octobre dernier sous le titre « Écologie et énergie : une bataille perdue ? » (voir le site) . « Pendant que mouvement écologiste se focalise sur la promotion des énergies renouvelables, la bataille sur le front principal, celui de l'efficacité énergétique est en train d'être discrètement perdue… » . Pourtant, les économies d'énergie constituent :
- le moyen le plus avantageux de diminuer les émissions de CO₂ et donc de prévenir le changement climatique. - la politique plus rentable en terme de retour sur investissement. L'énergie la plus économique est celle qui est épargnée. Publiée en 2008, une étude sur 455 investissements dans l'efficacité énergétique réalisés dans onze pays industrialisés et en développement montre qu'il coûte en moyenne 11 dollars pour économiser une quantité d'énergie équivalente à celle que contient un baril de pétrole. Au prix du baril, il est aisé de comprendre l'intérêt financier de cette solution. (LRD n° 38). - le meilleur moyen d'assurer l'indépendance énergétique (voir les sérieuses menaces qui pèsent sur l'approvisionnement en gaz, selon l'étude indépendante faite par Horizons pour Rue89 ( (voir le site) ). - un formidable gisement d'emplois nouveaux non délocalisables (les allemands l'ont compris avant nous).
« On cherche en vain des arguments critiquant les bénéfices de telles politiques d'économie d'énergie. Le paradoxe n'en est que plus grand de les voir oubliées… »
« Il n'y a pas un lobby de l'efficacité énergétique aussi puissant que le lobby des énergies renouvelables » , tente d'expliquer WWF. Certes, mais il faut pousser l'analyse au-delà et expliquer qu'il y a en revanche un lobby très puissant de la gabegie énergétique, qui est plus engagé qu'il ne l'a jamais été dans la politique du « toujours plus d'électricité » pour maximiser les profits.
En face de ces industriels, la volonté politique de réduire la demande en énergie fait souvent défaut. Il faut que, non seulement les enjeux, mais aussi les économies potentielles, la rentabilité, le rendement et les risques liés aux investissements en matière d'efficacité énergétique soient mieux connus. Il faut que les collectivités locales, en particulier, prennent conscience de leur responsabilité et des opportunités qui existent en la matière.
D'un côté
► On nous ressasse sans arrêt que "la Bretagne ne produit que 6, 7, 8, ou 9 % de son électricité". Il faut observer que cela est vrai depuis bien longtemps, du temps de Plogoff déjà, notamment lorsqu'il n'y avait pas d'éoliennes ! Mais pourquoi cela vient-il sur le tapis précisément en 2007-2008 ? Parce que depuis juillet 2007, le marché de l'électricité est ouvert à la concurrence. Signalons par ailleurs que les cartes énergétiques prennent en compte le 5ème département breton, avec les centrales de Cordemais et Montoir-de-Bretagne, mais pas les discours. Et puis comment prétendre que notre autonomie énergétique viendra d'une centrale dépendant du gaz russe étranger, dont le déclin de la production commencera en 2020 selon Jean-Marc Jancovici : (voir le site)
► RTE vient de publier le bilan de la consommation électrique pour 2008. Après la pause de 2006, les chiffres "confirment la nouvelle tendance haussière constatée en 2007". Peu de temps auparavant, on nous avait informé que la consommation avait atteint en France un pic record le 6 janvier.
► On lit dans la presse du 23 janvier que "l'Élysée réfléchit à deux nouveaux réacteurs nucléaires EPR pour satisfaire à la fois EDF et GdF-SUEZ" (sic !). Ceux qui en doutaient encore sauront désormais qu'il ne s'agit plus de produire de l'électricité pour répondre à un besoin mais pour "satisfaire" les actionnaires de EDF et GdF-SUEZ. La France nucléaire émet d'ailleurs beaucoup plus de CO₂ que prévu (cf l'encart annexé à l'appel des salariés d'EDF : (voir le site) ).
► C'est le même appât du gain, la même volonté de se tailler une part du gâteau, qui poussent GdF-Suez, Iberdrola, Direct Energie, Poweo et d'autres à vouloir des centrales au gaz en Mayenne, à Toul, à Beaucaire, dans l'Oise… quand ce n'est pas au fuel lourd comme en Corse ou au charbon comme les projets du Havre ! 26 demandes préalables de raccordement au réseau ont été reçues par RTE en 2 ans et demi : du jamais vu ! Comme l'a d'ailleurs avoué publiquement GdF, son projet de centrale préexistait à l'appel d'offres lancé par RTE. Et pendant ce temps, le démarchage des clients bat son plein. A telle enseigne qu'à Houdain (Pas-de Calais), constatant des abus, le maire et conseiller général a pris début janvier 2009 un arrêté pour interdire sur sa commune le démarchage à domicile des VRP de Arelys et Poweo, fournisseurs d'électricité (La Voix du Nord - 9. janvier 2009)
1clairage indispensable : la lecture de l'appel de salariés d'EDF qui font un état des lieux concis mais documenté de la situation énergétique française, dénoncent l'impasse où nous nous fourvoyons et plaident pour une autre politique : "Repenser le bouquet électrique" : (voir le site)
De l'autre
1) Des objectifs ambitieux sont inscrits dans les textes.
Quelques exemples : extraits des articles 2, 3, 4 et 5 de la loi Grenelle 1 votée par l'Assemblée Nationale le 21.10.08 et qui vient d'être votée par le Sénat. Pour accéder à l'intégralité des articles : (voir le site)
"La lutte contre le changement climatique est placée au premier rang des priorités […] confirme l'engagement pris par la France (déjà dans la loi du 13.07.05) de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050" "Le secteur du bâtiment, qui consomme plus de 40% de l'énergie finale et contribue pour plus du quart des émissions nationales de gaz à effet de serre, représente le principal gisement d'économies d'énergie exploitable immédiatement..." "Toutes les constructions neuves faisant l'objet d'une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2020 présentent, sauf exception, une consommation d'énergie primaire inférieure à la quantité d'énergie renouvelable produite dans ces constructions et notamment le bois-énergie..." (= bâtiments à énergie positive, qui produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment) "L'Etat se fixe comme objectif de réduire les consommations d'énergie du parc de bâtiments existants d'au moins 38 % d'ici 2020..."
2) Les outils règlementaires, techniques et financiers existent pour gérer les POINTES de consommation
► Dans ce nouveau contexte concurrentiel, EDF a discrètement remisé au placard les outils qui lui permettaient de gérer les pointes de consommation. Exit les tarifs Effacement Jours de Pointe pour les particuliers. Ceux qui l'ont peuvent le conserver mais pas le transférer à un locataire ou l'emporter dans un déménagement. Idem pour le tarif Jaune pour les industriels. Le tarif Tempo figure au catalogue mais ne doit plus être proposé par les agents. Ces abonnements consistent à pratiquer un tarif dissuasif en période d'extrême pointe en contrepartie d'un tarif très intéressant le reste de l'année (ou un décrochage pour les gros clients). Comme chacun sait, rien de tel que l'argument financier pour modifier les comportements en période de pics de consommation, bien loin des effets hypothétiques des appels au civisme d'Ecowatt.
Ces outils ont été abandonnés car trop efficaces : avec des clients particuliers tendant à adopter des comportements économes et des industriels qui se rendent compte qu'ils peuvent produire en cogénération chaleur et électricité, non seulement pendant les pics de consommation, mais aussi le reste de l'année. Aujourd'hui EDF refuse de reprendre ces tarifications si la concurrence n'en fait pas autant, preuve s'il en était besoin de l'efficacité de ces systèmes ! Car l'objectif de des opérateurs intervenant sur le marché de l'électricité est bien aujourd'hui de vendre toujours plus.
Voir aussi des précisions sur les compteurs intelligents dans notre communiqué de décembre dernier sur Ecowatt : (voir le site)
► Plutôt que de consumer des énergies fossiles, il est préférable de stocker l'énergie en période creuse pour la restituer en période de pointe. C'est le principe du projet conçu et abandonné par EDF dans des années 1970, sur ses terrains attenant au lac de Guerledan. Il consiste à pomper en heures creuses de l'eau du lac vers une retenue collinaire, afin d'alimenter des turbines de production d'électricité en heures de forte demande. Selon EDF à l'époque, ce site pourrait développer 600 MW pendant 4 heures. La capacité de stockage de notre énergie éolienne se trouve là, en Bretagne centrale ! Par lettre du 4 février 2009, M. Borloo a demandé au préfet des Côtes-d'Armor d'étudier ce dossier avec attention : (voir le site)
Diminuer fortement la consommation globale :
► Quotidiennement, tout un chacun peut constater autour de lui que les sources d'économie ne manquent pas : la lumière coule à flot dans les villes, les bourgs, les zones artisanales, y compris à des heures indues, dans des lieux désertés. Chacun connaît un bureau surchauffé, un radiateur sans thermostat, une fenêtre qui ferme mal placée juste au-dessus du radiateur en marche, de locaux allumés à midi, des maisons regorgeant d'appareils en veille... La liste est sans fin des exemples de la gabegie ambiante auquel on s'est habitué, comme la grenouille du philosophe Olivier Clerc qui s'habitue à l'eau de son bain qui s'échauffe doucement, jusqu'à ce que cuite, elle en meurt.
► Les contrats de performance énergétique permettent de briser la logique du toujours plus et de « vendre moins pour gagner plus » . Dans ces contrats de partenariat, un prestataire privé se voit confier pour un certain nombre d'années la gestion d'un parc existant et est rémunéré en fonction des économies réalisées. Il a donc un intérêt financier à rechercher l'efficacité énergétique. Ce type de contrat n'est pas nouveau. Plusieurs sociétés en France proposent des contrats de performance ou contrats de gestion énergétique. La loi Grenelle 1, dans son article 5, vient en favoriser le développement. La Revue Durable nous offre trois illustrations tout à fait exemplaires de ce principe, accessibles depuis le site du CURC par les liens suivants :
En Californie, « Vendre moins pour gagner plus grâce à la fée électricité » : (voir le site)
« Avec Eco21, les Services industriels de Genève créent une centrale à négawatts » : (voir le site)
► Même sans contrat de performance, des progrès considérables sont possibles. Montpellier, Montdidier, Perpignan, Lorient et bien d'autres… offrent des exemples d'une panoplie de moyens mis en œuvre pour des résultats intéressants ou remarquables. En moyenne près du tiers du budget des collectivités part dans l'éclairage public. Lille a réussi à diminuer de 35 % sa facture énergétique d'éclairage et accueille d'autres communes pour expliquer sa démarche.
Entre autres sources, voir le site de Énergie-Cités, l'association de plus de 1 000 autorités locales européennes ou entreprises sur 30 pays, pour une politique énergétique locale durable. 231 fiches de synthèse concernant les expériences d'efficacité énergétique. Un Guide pour les municipalités sur les Contrats de Performance (30 p.- 2004).
Accès au site : (voir le site)
Accès à la fiche sur Montpellier (même si elle date un peu) : (voir le site)
N'oublions pas que, selon le délégué régional de l'ADEME, si chaque foyer breton remplace trois lampes à incandescence par des lampes à basse consommation, la puissance appelée en période de pointe diminue de 400 MW (à comparer avec les 120 MW de l'appel d'offres RTE et les 232 MW du projet GdF-Suez).
Saint-Avertin (37) distribue 6 800 lampes basse consommation (une par foyer) moyennant un investissement de 15 000 €. A comparer avec les 100 000 000 € de la centrale GdF qui, à ce tarif-là, auraient permis d'équiper les 1 800 000 foyers bretons de plusieurs lampes mais aussi les ateliers et bureaux ! Sachons prendre en compte que leur généralisation va être imposée par l'Europe.
► Les moyens financiers de soutenir cette conversion existent : les 100 millions d'€ du projet de centrale, les millions € du renforcement du réseau de gaz, les 4 milliards € de l'EPR à Flamanville et combien à Penly ?. Des dispositifs financiers d'aides sont d'ailleurs prévus dans la loi. Il faut qu'ils soient mis en musique, avec une prise en compte affirmée de la dimension sociale, au travers d'aides financières directes aux ménages modestes.
► Le Conseil régional est lui-même à l'initiative d'une opération pilote de maîtrise de la demande en électricité sur le Pays de St-Brieuc qui a vocation à être étendue à la Bretagne. Ce serait faire le pari de son échec que d'adhérer au discours de RTE sur la croissance, assorti du chantage à la panne. N'oublions pas que la menace climatique nous impose une obligation, non de moyens, mais de résultats !
La présente contribution ne prétend pas passer en revue toutes les pistes d'avenir mais entend souligner que, oui, les possibilités règlementaires, techniques et financières de diminuer de 40 % la consommation d'énergie électrique, sans atteinte à notre confort, existent bel et bien. Des dispositifs, il y en a « plein les tiroirs » , il ne manque que la volonté de les mettre en œuvre. Conclusion
D'un côté, avec de gros moyens de communication et de manipulation, les lobbys du "toujours plus" martèlent que la croissance de la production-consommation d'électricité est inéluctable. De l'autre, nous savons que nous sommes condamnés à réduire drastiquement nos consommations énergétiques pour sauver notre climat, pour composer avec les ressources qui nous restent, pour préserver la paix. Nous savons, preuves à l'appui, que c'est possible.
Mais pour l'heure, cette conscience du danger et des revirements à opérer ne dépasse guère le niveau des discours !
Au-delà des belles déclarations, les actes doivent s'inscrire dans un positionnement sans ambiguïté. Nous réaffirmons clairement que :
►► La priorité est à la réduction de la consommation par une sobriété et une efficacité énergétique maximales
►► L'heure n'est surtout pas à investir dans des centrales de production d'extrême pointe, destinées à servir seulement 60 à 400 h par an et qui, en tant que telles, sont déjà un défi au bon sens.
►► En matière d'énergies renouvelables - que nous appelons tous de nos vœux - après avoir pris 30 ans de retard, l'heure n'est plus à la timidité [1] : biomasse, énergies de la mer, éolien, solaire… sans oublier la cogénération.
►►l'heure est moins que jamais à la construction de THT : ces lignes de transport d'une énergie nucléaire hyper-centralisée. A l'inverse, la montée en puissance des énergies renouvelables locales exige de repenser le réseau de distribution pour le faire évoluer vers un réseau dmaillé de collecte des énergies locales et de répartition. Pour comprendre et mesurer ce grand défi, un point paru dans Actu Environnement le 27.11.08 : (voir le site)
Signé : Le Collectif Urgence Réchauffement Climatique – CURC22 A.V.E.C., Terre & Mer, Cost ar Bio, Vivarmor Nature, Réseau Cohérence, Côtes-d'Armor Nature Environnement (ex Fapen), A.Q. La Poterie, A.T.T.A.C. 22, Sud Solidaires, Les Verts, la LCR, l'U.D.B.
Notes :
[1] La Haute-Autriche (ensoleillement comparable au nôtre), comptait 675 000 m² de capteurs solaires thermiques en 2003 et tablait sur une croissance de 40 000 m² par an : à comparer avec l'objectif de 5.000 m² par an pour la Bretagne dont la population est double !