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- Chronique -
Patrick Pearse, l’archange de la République irlandaise : rencontre avec Frédéric Collemare
Les éditions Terre de Brume ont publié, il y a quelques mois, « Gens du Connemara », un recueil de textes de Patrick Pearse, inédits en français. Rencontre avec le traducteur
Jacques-Yves Le Touze Par Irlande 2016 le 1/08/16 16:40

Les éditions Terre de Brume ont publié, il y a quelques mois, « Gens du Connemara », un recueil de textes de Patrick Pearse, inédits en français.

Rencontre avec Frédéric Collemare, le traducteur en français de ces écrits méconnus.

Irlande 2016 : “Gens du Connemara”, recueil de textes de Patrick Pearse vient de paraître aux Éditions Terre de Brume. Vous en êtes le traducteur en français, comment définiriez-vous cet ouvrage ?

Frédéric Collemare : « Gens du Connemara » regroupe les deux recueils de nouvelles publiés par Patrick Pearse.

Iosagan, le premier d’entre eux, est un recueil dont le thème principal est la vie enfantine. Ces histoires simples sont dessinées avec un charme délicat et reflètent de façon assez inhabituelle à l’époque ce que peuvent penser les enfants. Il décrit de manière lyrique les paysages du Connemara et il affectionne particulièrement de peindre les habitants de cette région. Toutes ces histoires se passent dans les environs du hameau fictif de Rosnageeragh, en réalité Ros Muc, que Pearse visita pour la première fois en 1903 et où il acheta un cottage. Pearse considère le Connemara comme un paradis pastoral, un paysage sacré où Jésus peut apparaître sous les atours d’un enfant. La communauté est soudée, elle craint Dieu, le prêtre catholique est toujours prêt à offrir ses conseils et l’apaisement, même un personnage qui n’a pas assisté à la messe depuis soixante ans est considéré avec respect et avec courtoisie. Cette idéalisation n’est pas le reflet de la réalité, mais elle démontre l’aspiration à un meilleur futur. La vision romantique de Ros Muc reflète un usage stratégique de l’idéalisation afin d’inspirer les lecteurs qui vivent ailleurs.

Dans ces histoires, les femmes sont nées pour être mères, tandis que les garçons le sont pour être aimés et révérés. Elles peuvent être aussi lues comme une tentative de Pearse de transposer sa propre enfance urbaine au coeur du Connemara gaélique et investir son moi d’adulte de toute l’autorité spirituelle qu’il associe à cette région.

La mère, le deuxième recueil de ce volume, se situe également au Connemara, mais ici Pearse insiste sur la vie des adultes, vie qui peut s’avérer rude et éprouvante. Comme l’indique le titre, la maternité est une préoccupation centrale de ce recueil. Certaines histoires insistent sur le fait que les femmes sont destinées, par dessus tout, à être aidantes. Il suggère aussi que la maternité peut-être une vita dolorosa. Les femmes dans Iosaganétaient capables, en pleine santé, s’occupant sans se plaindre des tâches domestiques. Dans La mère, elles sont indigentes, souvent pathétiques, des personnages dont la vie n’est pas seulement définie par la maternité mais aussi détruite par elle. L’idéalisme premier de Pearse est assombri par la réalisation croissante que le mode de vie gaélique n’a jamais été parfait et ne pourra pas survivre aisément dans le monde moderne. Un grand sens de la dépossession règne dans toutes ces pages, et l’idéal se confronte à la réalité. Pearse y concède que la vie peut y être austère, voire désolée. Il rend hommage à la volonté inébranlable des habitants du Connemara. Pour lui, le principal coupable de cet état de fait est le statut colonial de l’Irlande, l’injustice officielle et l’indifférence anglaises. Il critique également le catholicisme, lors de la scène finale de La pleureuse, où la mère de Coilin répond à la tentative de déclaration de guerre de son époux aux soldats anglais en annonçant qu’il est l’heure du Rosaire. Ici, la dévotion religieuse est présentée comme étant une esquive au devoir moral et comme une réponse inappropriée à une injustice généralisée. Dans Le Dearg-daol, Pearse critique l’institution catholique rigide et bigote, l’exact opposé des inclinations naturelles de la communauté.

Irlande 2016 : On connaît Patrick Pearse le révolutionnaire, le militant, l’éducateur, le poète : que révèlent ces textes de plus ?

F. C. : Dans ces textes, le côté froid et sombre de la personnalité de Pearse décrit par certains de ses détracteurs et par lui-même dans une lettre étonnante qu’il s’est adressée s’efface totalement : ils révèlent la face rêveuse et mélancolique, cette empathie qu’il éprouve devant les souffrances et les rêves des femmes et des enfants du Gaeltacht. S’y dévoile également la psyché d’un homme beaucoup plus complexe qu’on ne le pensait, écartelé entre le réel et l’imaginaire, un passé révolu et un avenir non encore formé.

Irlande 2016 : Après avoir fréquenté Pearse à travers ses textes, que représente pour vous Patrick Pearse et qu’avez-vous découvert que vous ne connaissiez pas encore ?

F. C. : Patrick Pearse demeure l’une des figures les plus complexes et énigmatiques de l’histoire de l’Irlande moderne : le champion de tout ce qui est irlandais et gaélique dont le père était anglais ; le défenseur du sacrifice sanglant qui ne pouvait supporter la souffrance humaine et animale ; un homme timide et gauche lors des rencontres formelles en société, mais qui pouvait soulever une foule avec ses mots et gagner les coeurs et la dévotion leur vie durant des enfants dont il s’occupait. L’on ne pourra sans doute jamais comprendre Pearse, mais il est peut-être préférable de se rappeler les mots de son ancien étudiant et premier biographe Desmond Ryan : « Pearse n’a jamais été une légende, c’était un homme ».

Irlande 2016 : Plus globalement, pour vous, quel rôle a véritablement joué P. Pearse dans l’indépendance de l’Irlande ? Et que représente-t-il encore aujourd’hui ?

F. C. : Pearse a été une figure profondément révérée dans les premières années de l’Etat irlandais et elle fut promue en tant qu’incarnation des espoirs et des idéaux de cette nation nouvellement née. Des politiques ont tenté de se présenter comme son successeur et son nom était fréquemment évoqué à la chambre du Dail afin d’ajouter une légitimité à une opinion particulière. Il est devenu de loin la figure la plus proéminente lors de la célébration du 50e anniversaire de la Révolte. Son profil d’icone, qu’il privilégia dès sa jeunesse du fait d’un très important strabisme, devint l’un des symboles les plus identifiables de la Révolte et sa réputation a éclipsé celle de la plupart des autres signataires de la Proclamation. Il fut en effet la voix qui réveilla la conscience irlandaise après l’engourdissement provoqué par la promesse d’un Home Rule. Il a réussi à réunir les milices nationalistes et les milices ouvrières du Jaurès irlandais, Joseph Connolly : il est maintenant certain que le texte de la Proclamation de la République que Pearse lira sur les marches de la Grande Poste de Dublin a été composé de concert par les deux tribuns. Pearse devait posséder un charisme extraordinaire pour rallier un Connolly qui n’appréciait pas le sens du sacrifice sanglant du poète. Connolly deviendra plus jusqu’au-boutiste que Pearse, qui, dans un étrange mouvement de balancier, sera effrayé et écoeuré par tout ce sang civil versé.

Les détracteurs de « l’Archange de la République irlandaise », selon la belle formule de Pierre Joannon, lui ont reproché entre autres d’avoir déclenché une révolte à une période de l’histoire inappropriée, des milliers de soldats irlandais meurent dans la Somme au même moment, et surtout de ne l’avoir pas assez préparée. L’horreur des bombardements aveugles détruisant tous les immeubles sans épargner le moins du monde les civils de Dublin, trois mille morts écrasés entre les deux camps, lui fait signer l’acte de reddition ; De Valera, futur président de la République irlandaise, refusera de se rendre et ses hommes reprendront leur poste, avant de briser leurs armes ; Clarke, autre signataire était aussi partisan de la lutte à outrance : Pearse n’était pas le jusqu’au-boutiste fanatique que l’on a bien voulu faire croire.

Propos recueillis par Jacques-Yves Le Touze

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