Texte pour le Festival du Livre en Bretagne
« Gouel al levrioù e Breizh » Carhaix/ Karaez : Ar bed keltiek : Le monde celtique.
Où commence le monde celtique ?
Où commence le monde celtique ?
Dans un pub surchauffé de Dublin, où le rythme sourd du « bodhràn » (tambour frappé d’un bâton) accompagne la tournée de bière rousse, où la harpe rehausse comme un sceau l’étiquette d’une bouteille de Guinness couleur Liffey - la rivière de mer- où l’archet d’un violon effleure la vague ambrée d’un whiskey d’où flotte l’âme du truculent écrivain-soldat Brendan Behan et de tous les bardes évanouis ? « Slainté ! » « Yec’hed mat ! » (« À la vôtre ! ») *
Où commence le monde celtique ?
Au stade de Cardiff, où les Anges ivres s’époumonent en chantant d’une voix mâle le « Bro Gozh » - « Hen Flad Fy Nadhau », en gallois (La Vieille Terre des Ancêtres) – dès la première mêlée des grand-messes du rugby ?
Où commence le monde celtique ?
À Parkhead, rebaptisé « Paradise », par les supporters du Glasgow Celtic enturbannés d’écharpes vert Irlande frappées du trèfle et clamant en un chœur militant le « Soldier’s song » de la vieille IRA face aux « blue noses » ennemis héréditaires du Rangers , inféodés à la couronne britannique et aux loges loyalistes d’Ulster ?
Où commence le monde celtique ?
Dans les noires tourbières du Mayo, de Sligo, du Donegal ou du Connemara, là où la soldatesque de Cromwell lâcha cet épitaphe cinglante : « Un pays où il n’y a pas assez de bois pour pendre un homme, pas assez de terre pour l’enterrer ». On en trouvait encore aux branches assez robustes pour y passer la corde au cou des musiciens ambulants, bardes itinérants, sonneurs de cornemuses et harpistes buissonniers accusés de jouer des airs séditieux.
Où commence le monde celtique ?
Dans le requiem irlandais de Ballimanuck, au crépuscule d’un débarquement manqué contre l’Occupant multi-séculaire, le cachot de Wolfe Tone dont le nom voilà 200 ans s’imposa comme le talisman des Républicains irlandais. Inspiré par les Insurgents d’Amérique, chassant l’Anglais du Nouveau-Monde, en 1796, l’avocat-activiste rêva, deux ans plus tard de planer au mât des navires de la liberté partis de Roscoff dans les chants de Noël et couchés par les vents mauvais en baie de Bantry ? Ou dans l’équipée tragique de Bonnie Prince Charlie, embarqué à Saint-Nazaire pour reprendre, à l’Anglais - encore et toujours - la couronne des Stuart d’Écosse ?
Où commence le monde celtique ?
Dans les fossés de Derry, l’insoumise nord-irlandaise ou les fondrières héroïques de Culloden, aux portes d’Inverness ? Là, 5.000 Highlanders drapés de plaids, de tartans chamarrés aux couleurs de leurs clans, armés de lourds claymores d’acier défièrent jusqu’au dernier sang la cavalerie anglaise du duc de Cumberland ? À Ballon, aux portes de Brocéliande, dans notre Bretagne Armoricaine, théâtre de la défaite des archers francs sous le roi Nominoë ou dans le chant funèbre de Saint-Aubin du Cormier - notre Culloden – sonnant le glas du règne de François II, le père d’Anne de Bretagne ?
Où commence le monde celtique ?
Dans les montagnes vertes, les roches grises et les torrents de l’île de Skye ? Truffée de landes mauves, elle reste le conservatoire de la mémoire celtique d’Ecosse. Quand le crépuscule tomba sur Culloden, elle fut le repli du dernier carré des clans perdus. Dans cette île où la langue gaélique refuse de céder un pouce à l’anglais la cornemuse s’appelle encore « piobaidreachd » et le whisky « uisghe beatha » flotte encore la cocarde blanche des vaincus de l’Histoire.
Où commence le monde celtique ?
Dans les « Gaeltachts » de l’extrême Ouest , face aux Amériques, ces conservatoires de la langue et de la mémoire gaélique d’Irlande accrochés à leurs rochers ? La cornemuse y répond au nom d’ « uileann pipe » depuis la nuit des siècles.Elle est alimentée par un soufflet actionné par le coude et fait désormais partie des nuits magiques du Festival interceltique de Lorient. Ah, ce rituel festif ! Depuis trente-cinq ans, bannières au vent des nations celtes fondatrices – « C’hwec’h Bro eun ene » (Six pays une âme) - il rassemble la plus grande ferveur au palmarès des événements d’été. Les plus jeunes, d’un regard ébloui, décryptent les armoiries. Elles claquent au cœur des oriflammes portés à bout de bras en ouverture de la parade des nations celtes sonnée d’un pas majestueux par le Bagad de Lann-Bihoué : vert, blanc, orange irlandais, « saltire » écossais à croix de Saint-André, champs herminés de Bretagne, dragon gallois, ‘Kroazh du’ d’Armor, « croix blanche sur fond noir de Cornouailles et, bien sûr - emblématique de l’interceltique - le « Ny Tree Cassyn » ou triskell solaire de l’île de Man ! ». Ici, dix jours durant, bat le cœur du monde celtique. « A greiz kalon ».
Où commence le monde celtique ?
Dans les « coffin ships » de toutes les émigrations forcées, bateaux cercueils débordant d’exilés écossais vers les mers australes après Culloden et devenus, aujourd’hui, ces fiers « All Blacks » passés du serment « jacobite » au cri de guerre des « Maori » de Nouvelle-Zélande ? Ou d’émigrés irlandais chassés par la grande famine au XIXe ? Débarqués à bout d’espérance, ils devaient encore battre le pavé et faire le coup de poing sur les quais de Boston et de New York, où les suppôts des « WASP » (« White Anglo-Saxon Protestant ») les attendaient le nerf de bœuf à la main ?
Où commence le monde celtique ?
Dans les parades flamboyantes de New York et Chicago où Saint-Patrick rassemble, cornemuses déployées, des millions de fidèles dans les rues ? Ou sous le « Golden Gate » de San Francisco, là où, chaque 17 Mars, on sonne « Amazing Grace » en mémoire de Joe Sheridan, barman et magicien malgré lui qui, à l’aéroport de Shannon, en 1947, inventa, un soir de gel, la recette artistique de l’Irish Coffee ? Dans un verre préchauffé, il versa la sacro-sainte dose de whiskey irlandais avec la délicatesse dont on entoure le vin de messe. Son coup de génie consista à ajouter à l’alcool du café noir fort et brûlant, adouci de sucre brun. Joe remua le tout sous l’œil enjôleur de l’actrice Maureen O’Hara – flamme rousse - et, nouvelle inspiration divine, fit glisser sur le dos d’une cuiller retournée un peu de crème légèrement battue pour parfaire l’onctuosité du breuvage. Il laissa reposer, dessina un trèfle de bienvenue sur la crème qui flottait à la surface comme la mousse d’une noire Guinness patiemment tirée à la pression…
Où commence le monde celtique ?
À la Chaussée des Géants, non loin de Belfast ou dans le « Mull of Kintyre » d’Écosse relié par un bras de mer en musique sur quelques notes de Paul McCartney, le Beatles celtique ? Ici se tient la plus vieille distillerie du monde (1604), sur les bords de la rivière de Saint-Colomban, l’un des fondateurs de l’évangélisation celtique. Proclamé « Pèlerin pour l’amour de Dieu », mis au rang des saints par ses peuples mais non reconnu par Rome, il est de ces nobles et modestes figures qui ont façonné une part du patrimoine commun de l’Europe de l’Ouest.
Où commence le monde celtique ?
Sous le sabot d’un « cheval d’orgueil » breton, d’un « poney sauvage »irlandais ? Ou la peau tannée d’un « curragh » (canot rustique de haute mer ) ? Ceux là sillonnent les Hébrides, et tranchaient les vagues de l’îlot perdu de Saint-Kilda, dans une Écosse fantomatique. Ou les flots des îles Blasket, au large du Connemara. Émergeant d’une civilisation baignée de whiskey, d’embruns et de bière noire comme la tourbe, jaillit un chef d’œuvre de ces cailloux de mer – « L ’Homme des îles » - legs testimonial de l’immense marin et paysan Tomàs 0’Crohan (0’Criomhthain, en gaélique). Bien des conteurs, tel Maurice O’Sullivan, sortirent des Blasket, la « dernière paroisse avant l’Amérique ». Comme Saint-Kilda, dont la poignée de survivants, hommes à barbe garnie, femmes à blouse noire et maigre ballot évacués en 1930 vers le continent écossais après un millénaire de présence humaine à flanc de falaises plantées dans la mer, on a rapatrié sur les terres de Galway, en 1953, les vingt-deux irréductibles de la Grande Blasket, cinq kilomètres de terre et de récifs balayés par les vents.
Où commence le monde celtique ?
Dans un éco-poème de Kenneth White, l’immense écrivain écossais – installé en Bretagne - étourdi d’insularité, notre « Brendan » héros « d’Atlantica » ?
« Il avait les îles plein la tête
Il était né au milieu des îles
Il avait grandi parmi les îles
Les Hébrides, il les connaissait par cœur
Pour lui, le monde n’était qu’îles
Et le ciel aussi »…
Ou/et dans les odes de Robert Burns, universellement fêté par la communauté écossaise, partout où flambe un kilt de par le monde ? Dans une « gwerz » rustique à bout de souffle de Xavier Grall, barde de plein vent ou « la Blanche Hermine » de Gilles Servat composée dans le réduit surchauffé du pub « Ti-Jos », à Montparnasse, dans le chant du retour « Back to Breizh » d’Alan Stivell, penché sur sa harpe celtique, racé comme le cygne « An Alarc’h » du duc Jean IV, ou dans le revigorant « Kan Bale Nevenoe » de notre profond Glenmor, tendre au cœur et tête granitique ?
« Nevenoe, Nevenoe, Nevenoe
Met en deiz e c’hwezho
Avel menez Arrez (…) »
« Noménoé, Noménoé, Noménoé
Mais tantôt soufflera
Le vent des monts d’Arrée (…) »
Où commence le monde celtique ?
« Keltia ! » « Celtie ! » nous interpelle encore Glenmor :
« O Keltia
Lez-Breizh a zo distro
Ar mor hag an avel
Sur a gano
O Keltia, O Keltia… »
« O Celtie
Lez-Breizh est revenu
Mer et vent vont chanter
O Celtie, O Celtie ! »
Milig Ar Skanv, dit Glenmor...à la fois duc et manant : Glen (la terre) , Mor (la mer). Tout est dit, même si un autre mot (douar) désigne la terre nourricière... Ainsi vogue et s’enracine l’œuvre testamentaire et tous les récits bardiques du baladin des montagnes, œil bleu porcelaine et toison aux quatre vents. Il est né, tout près d’ici, dans les fondrières (« ar vouilhen ») de Maël-Carhaix et fit jusqu’au bout « table d’hôte » dans son triangle de l’Argoat profond entre Rostrenen, Gronvel, Koskerou et son dernier fief à Mellionnec. Avant d’errer entre deux cabarets de « Dame misère », il a couru toutes les campagnes et sillonné les landes de son cher Poher.
Ici courent nos « montagnes Rocheuses ». De Roc’h Trevezel au Roc’h Tredudon, nos « Highlands » à taille armoricaine polies par l’usure des millénaires flirtent avec des cimes de 400 mètres d’où surgissent des herses de roches acérées comme des faux.
Ici résonnent les bombardes du village de Spézet, qui est à la langue bretonne ce qu’un « Gaeltacht » du Connemara est au gaélique irlandais. Là s’éclatent les guitares des Fêtes de nuit, celles de Carré-Manchot, Sonerien Du et des insaisissables Bleizi Ruz jusqu’aux « Diaouled ar Menez », portés par la rythmique endiablée de l’accordéon chromatique. Ici passe l’âme errante des sœurs Goadec détentrices du « Kan ha diskan » - ah ! ce « tra-la-la-la-le-no » - ponctuant l’invitation à danser entre l’appel de la première et le relais des autres chanteuses bercées par d’immémoriales traditions.
Ah, la relève des frères Morvan ! « Cela commençait avec une sorte de gravité rituelle, puis au fur et à mesure que les étoiles s’allumaient dans la nuit et que se vidaient les bouteilles d’hydromel, la ronde se gonflait de délires (…). Et des festoù noz, il y en avait partout, au triangle des chemins, dans les villages enchâlés de genêts », s’extasiait Xavier Grall dans sa brûlante « Fête de nuit » (1972). Une ronde où se fondent trois générations, main dans la main, le talon à faire claquer et onduler les parquets, toute une communauté réunie et surfant sur un « plinn », un « fisel », une « gavotte ». Un instant de grâce.
Où commence le monde celtique ?
À Loguivy de la mer :
— « Mais s’il est révolu le temps des Terre-neuvas
La race des marins chez nous ne s’en va pas » ?
Avec « Jean-François de Nantes » (si Bretonne capitale du duché) ? La complainte de Jean Quéméneur (de la rue de Siam à Recouvrance) ? Ou les marins de Groix ? Ou bien dans les « shanties » des matelots de Belfast et de Dublin ? Ou encore dans la complainte des équipages de Glasgow embarqués depuis la Clyde River vers tous les « Nouveaux-mondes » jusqu’aux crépuscules d’Empires ?
Où commence le monde celtique ?
Au Pub James Joyce, à Paris, déroulant son imaginaire irlandais sur fond de manuscrits originaux d’Ulysse (1922), le chef d’œuvre du maître ? On s’y croise entre inconnus fraternels, partageant une goutte de Jameson ou de Paddy au comptoir, savourant un texte de Yeats, en deuxième tournée, une réplique de Beckett en prime : « Êtes-vous Anglais ?», lui demanda un impudent
— « Au contraire, répondit-il ». La réplique est le signal d’une nouvelle tournée (the round) : « Memes tra » (On remet çà !). On y lève encore son verre à la santé posthume et forcément céleste de Padraig Pearse, héros des Pâques sanglantes de 1916, à Dublin ; le tout, dans un décor fantasque d’ex-votos placardés sur les murs entre deux affiches à croix celtique de la G.A.A. - Gaëlic Athletic Association (football gaélique et Hurling ) et l’enregistrement télé passant en boucle sur des commentaires ébouriffants la dernière victoire du Celtic sur les Rangers ?
Où commence le monde celtique ?
Whisky en main ? Son histoire n’est pas neutre. Êtes-vous whisky (cossais) ou Whiskey (irlandais) ? Scotch ou Irish ? Kentucky Bourbon ou Tennessee Whiskey ? Glen (la vallée, en gaélique), ou mhor (la mer) ? Êtes-vous bar ou pub ? Salon ou saloon ? Rock, folk, blues ou country music ? Non, le monde du whisky n’est pas neutre. À relire : « The Informer » (Le mouchard) de Liam O’Flaherty, où un traître au commando de l’Ira dans quelque village égaré du Sud profond est démasqué par sa commande (un whisky - écossais ! pas un whiskey ! ), bourde fatale. Le whisky a conquis la planète derrière les kilts des régiments de Highlanders après leur reconnaissance, 70 ans après le glas de Culloden. Même le bourbon d’Amérique doit à l’ancestral et clandestin « poitin » ou « poteen » des Irlando-Écossais débarqués d’Ulster au XVIIIe ses premiers secrets de fabrication. Chaque bouteille a ses armes et ses couleurs. Celle des aristocrates et des hobereaux d’Écosse, des rebelles et des soldats-paysans d’Irlande, des bikers et des rockers du Kentucky et de Tennessee. Chaque étiquette est une porte dont l’amateur possède la clé. « Scotland The Brave », sonne la cornemuse des Highlands. « Keep the Irish spirit », brave en écho le Dubliner enivré. Et l’on se plaît, au pays de Galles, à trinquer au « Penderyn » et au « Ed du » de Bretagne cornouaillaise (distillerie des Menhirs, à Plomelin), le seul whisky au monde à base de blé noir. Un whisky vraiment « gwenn ha du ».
Où commence le monde celtique ?
Sur la colline de Tara – Tara des rois - en Irlande, ou devant « la pierre du destin »?, sorte de Graal des Anciens ? Devant les pierres levées de Stenness, celles des Callanish où l’on célébrait le culte du solstice, la forteresse du Broch of Gurness, les ruines du monastère de l’île d’Eynhallow, les perles des Orcades, les promontoires de Skye, les cairns d’Irlande, les cromlec’h de Bretagne, alignements de Carnac, tumulus de Gavrinis en golfe du Morbihan ?
Où commence le monde celtique ?
Dans les sortilèges de la Ville d’Ys, le mythe de Morgane, le deuil du roi Gradlon, le châtiment de Dahut, princesse « paganiste » signant le glas de l’ancienne civilisation au profit des enseignements de Guenolé ou de Corentin, l’évêque de Quimper ? Les pierres, les arbres, l’eau, en perpétuent les mystères, de la baie des Trépassés, à la pointe du Raz jusqu’aux promontoires de l’Aber Wrac’h. Depuis les îles égrénées sous le vent - Sein, Ouessant, Molène - il arrive par une nuit constellée de songes bardiques « after hours », que l’imaginaire fasse poindre à l’horizon la lueur des pubs irlandais de Boston, et tant pis si la « bag an noz », la barque de nuit barrée par l’Ankou, ce passeur des âmes, guette le faux-pas des hommes illuminés.
Est-il dans « le chaos du Huelgoat », sa rivière d’argent où le vacarme des eaux couvre le cri des damnés ? Dans les forêts druidiques ou dans la Troménie de Locronan ? Dans l’écrin de schiste du Val-sans-Retour en Brocéliande, son « Miroir aux fées », sa fontaine de jouvence, les chevaliers de la Table ronde, le Tombeau mégalithique des Géants et la roche du repos éternel de Merlin l’enchanteur ?
Où commence le monde celtique ?
Est-il dans le « Tro Breizh » d’Anne de Bretagne :
« Dans le malheur et la peine
Duchesse Anne devint reine
Croyant que la royauté
Sauverait son beau Duché
C’est pas ça qu’elle a voulu »
« Kaoc’h ki gwenn ha kaoc’h ki du », défiant le roi de France, son époux, en 1505 – il y a cinq cents ans tout juste - en cent jours d’un « Tro Breizh » (tour de Bretagne) au service de la souveraineté menacée ?... Soit plus d’un quart de siècle avant l’acte d’Union de 1532.
Où commence le monde celtique ?
Tient-il tout entier dans la légende à jamais inachevée du Roi Arthur ? Des collines rondes constellent les terres de Basse-Écosse. Quand il revenait de Cornouaille, du pays de Galles ou de l’île de Man, le roi Arthur armé d’Excalibur (l’épée d’or) aimait à s’y reposer. Il choisissait les sommets d’Eidlan Hills pour survoler du regard son royaume celtique. Un chercheur remuant les légendes arthuriennes situe une autre Brocéliande en un lieu dit Brekilien, non loin de Carhaix. Arthur, l’enchanteur Merlin – échappé de son invisible château prison d’air - et Viviane l’enjôleuse fée de la fontaine de Barenton en Paimpont s’y seraient retrouvés un soir de bataille au Ve siècle. Plus sûrement le mythe nous ramène vers la mythique Avallon. De cette île imaginée (imaginaire ?) la féerie galope à travers les nations brittoniques – Galles, Cornouaille, Bretagne - et leurs cousines gaéliques – Irlande, Écosse, île de Man - glorifiant, au son des harpes et bombardes, le retour du roi prodigue rassemblant sous sa couronne les Celtes dispersés.
Où commence le monde celtique ?
Sur la route 66, en prenant le pas de Jack Kerouac, Breton d’Amérique, poète, écrivain, père de la « Beat Generation », parti, seul dans sa tête, au seuil de la mort, à la recherche de ses racines armoricaines ? Son aïeule maternelle s’appelait Le Bris. Débarqué de New-York par la mer, arrivé à Brest, son « Penn Ar Bed », son bout de vie et du monde, il dévora toutes les pages de l’annuaire, dépensa en vain une collection de jetons de téléphone et repartit, riche d’infortune, plus « clochard céleste » que jamais, vers son « bag an noz » transatlantique et l’Ankoù qui guettait là-bas, ses semelles de vent.
Où commence le monde celtique ?
Avec « Braveheart » ou « Barry Lindon », « l’Homme tranquille » de John Ford et John Wayne, Maureen O’Hara au cinéma ? Ou avec la mystique et fantasque Sinead O’Connor, côté musique, choisissant « pour la cause » un label breton ? Des Pogues à U2 (« Bloody Sunday »), d’Elvis Presley, arrière petit-fils des bannis de Culloden, ressuscitant « Amazing Grace » en mémoire de ses aïeux, de Dan Ar Braz pour « l’Héritage des Celtes » et son hymne à toutes les « Bretagnes » aux Pipe bands d’Edinbourg ou de Nouvelle-Écosse, des bagadoù triomphants de Bretagne - Kevrenn Alre, bagad Kemper, Lokoal-Mendon, Brest Saint Mark - jusqu’aux gaïteros de Galice, tel Carlos Nuñez ou la trépidante Susana Seivane, des danseurs de Riverdance aux harpistes et chœurs gallois, des amateurs de « Jig » irlandaise – le Ceili, notre Fest noz - aux « reel » écossais », en passant par le « dañs fisel » ou le « laridé » du pays vannetais ?
Où commence le monde celtique ?
Avec Gareth Edwards, capitaine du XV gallois, refusant de fouler la pelouse du Parc des Princes à Paris, en 1975, si l’on ne troquait pas, à l’heure des hymnes officiels, le « bloody God Save The Queen » pour « La Terre des Ancêtres » sacrée ? Avec le XV d’Écosse imposant plus tard son « Flowers of Scotland » dans la solennité de Murrayfield, aux portes du château d’Edinburg ? Avec Bill Millin, débarquant le 6 juin 1944, cornemuse au vent, dans la mitraille ? Avec Seán Mac Bride, le fondateur d’Amnesty International, ancien chef d’État major de l’IRA historique, en 1930, devenu… Secrétaire général de l’Onu ?
Où s'arrête le Monde Celtique ?
Il ne s’arrête pas. Il tourne, comme un triskell. Le 17 mars est son Nouvel An. Dans la fièvre et la fête de nuit d’un universel Fest Noz, Saint Patrick bénit son renouveau, depuis les brumes des îles d’Aran jusqu’au Queensland australien. La nuit enveloppe encore Cape Cod, sous Boston, capitale des Irlandais du Nouveau-Monde quand, devant la barrière de corail, sous Brisbane et Sidney, le clair-obscur ouvre une nuit blanche placée sous le signe du vert irlandais.
Vert, vert, vert, ce monde est vert. Partout, en un souffle solidaire, une même musique ranime pour tous une verte espérance.
Ar Bed Keltiek... Le Monde celtique : Un monde sur lequel le soleil ne se couche jamais
Patrick Mahé
* À consommer avec modération, mar plij.
L’auteur :
Patrick Mahé O’Chinal est né à Vannes, le 13 mai 1947. Journaliste, sous la griffe de « Patrick Mahé », il a été Rédacteur en Chef de Paris Match (1981-96). Depuis cette date, il est le directeur de la rédaction de Télé 7 Jours (partenaire Presse du Festival Interceltique de Lorient). Il a créé le magazine Bon Voyage (2000-2004) et dirigea la rédaction du magazine Première (2001-2004). Président des 7 d’Or et président de l’Association Internationale des magazines de télévision (ITMA).
Vice-président du Festival de la Photo de la mer à Vannes (2003).
Il est membre de l’Institut Culturel de Bretagne (Skol-Uhel ar Vro), et membre du jury du Prix littéraire Breizh-Bretagne.
Patrick Mahé a publié une vingtaine d’ouvrages, dont :
— Écosse, carnet de bord d’un pêcheur d’images (Éd. du Chêne) ;
— Irlande, carnet de bord d’un pêcheur d’images (Éd. du Chêne) avec le photographe Philip Plisson, peintre de la marine ;
— La magie du whisky (ode à l’eau de vie des peuples celtes) Éd. du Chêne ;
— Whisky, la légende (Éd. Michel Lafon) ;
— Sur la route d’Elvis (Éd. Grasset)…