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Caricature de l'identité nationale.
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- Communiqué de presse -
Onze arguments contre les langues régionales : entre caricature et mensonges
Le débat sur les “langues dites régionales”, à savoir les langues minorisées en Alsace, Bretagne, Catalogne nord, Corse, Flandre, Pays basque ou Occitanie … est un film sans fin. On imaginait un épilogue du type “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants… polyglottes.”
Mikael Bodlore-Penlaez pour Eurominority le 26/06/08 10:51

Le débat sur les « langues dites régionales », à savoir les langues minorisées en Alsace, Bretagne, Catalogne nord, Corse, Flandre, Pays basque ou Occitanie … est un film sans fin. On imaginait un épilogue du type « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants… polyglottes. » Mais après un maigre espoir insufflé par les députés qui souhaitaient que les langues régionales fassent partie du patrimoine de la nation, ce que certains appellent la « géronto-génération » siégeant au Sénat en a décidé autrement. Pour prendre une décision pareille, ils ont certainement évalué le pour et le contre. Le pour est simple : « Toutes les langues naissent et demeurent libres et égales en droit. » C'est vrai, existe-t-il des langues supérieures et des langues inférieures, des langues élues et des langues vouées à disparaître, des langues transcrivant parfaitement les principes d'universalité et des langues communautaristes ? Toute personne sensée répondra rapidement à cette question.

Partant du principe que toutes langues sont égales, comment expliquer qu'il existe encore des opposants aux « langues régionales » ?

Pourtant, les pires clichés circulent dans la presse. Peut-être agacé par le récent sondage de Ouest-France, estimant que 68 % des sondés sont favorables aux « langues régionales », une presse très conservatrice, Le Figaro, a emboîté le pas, laissant ses colonnes à l'expression des clichés les plus caricaturaux qu'on puisse trouver. Ces interventions, fortement imprégnées de ce qu'on appelle l'anti-communautarisme, ne sont autres que l'expression la plus simpliste d'un nationalisme d'un autre âge. Celui qu'on hait souvent pour son intolérance et sa bêtise, et qui parfois a eu des effets désastreux. L'analyse de différents articles parus dans la presse nationale (Figaro donc, mais aussi L'Express ou Le Monde) ces dernières semaines de juin permet de prendre conscience des maigres arguments développés par ces éditorialistes attitrés ou d'un jour.

Premier argument : les langues régionales ne sont pas des langues mais de vulgaires patois
Lorsqu'on lit Paul-Marie Coûteaux, député européen, proche des milieux souverainistes et villiéristes, on s'aperçoit immédiatement du dédain qu'il exprime envers les langues autres que le français. Relatant ses vacances en Occitanie, il nous dit avoir « assisté un soir d'été à une représentation théâtrale jouée par une compagnie d'amateurs du canton entièrement en patois » (Le Figaro, 24/06/2008). L'occitan est en effet immédiatement qualifié de patois. Pourquoi parlerait-il de langues parce qu'il estime apparemment qu'il ne s'agit que de sous-langues, le terme patois étant utilisé de manière évidemment volontaire et péjorative. Il s'agit souvent d'une façon dévalorisante d'écarter tout débat sur la place des langues régionales dans nos sociétés.

Deuxième argument : il y a 73 langues minoritaires en France et elles sont trop nombreuses pour les protéger toutes
Le même auteur voit « un autre problème : les minorités linguistiques sont si nombreuses en France, 73 selon le rapport de l'ancien délégué à la Langue française, M. Cerquiligni, que leur protection serait infinie » (Paul-Marie Coûteaux, Le Figaro 24/06/2008). En effet, les opposants aux langues régionales avancent le fait qu'il y aurait 73 langues minoritaires en France, selon le rapport officiel et très contestable de Bernard Cerquiglini. Il s'agit d'une longue liste de langues et de leurs variantes, comme si, pour le français, on comptait les variantes du Québec, et celles parlées en Afrique ou ailleurs. Il s'agit pourtant de la même langue prononcée parfois de manière différente. Un autre rapport, rédigé par Bernard Poignant pour le Premier ministre (Lionel Jospin à l'époque) était plus pragmatique et recensait pour sa part 8 langues métropolitaines : l'alsacien-mosellan (forme écrite allemand), le basque, le breton, le catalan, le corse, l'occitan, le flamand (forme écrite néerlandais) et l'arpitan (appelé franco-provençal), ainsi que les créoles et les langues des DOM-TOM, dont le tahitien et le kanak sont les plus emblématiques et le cas particulier des langues d'oïl. Et qu'importe en définitive, toutes les langues se valent, qu'il y en ait 300 ou 2 !

Troisième argument : les langues régionales mettent en péril l'unité nationale
Les langues régionales sont vues comme des ennemies à la nation. Le 18 juin dernier, l'Académie française, sortant de son rôle (la promotion du français), estimait que l'inscription des langues régionales dans la Constitution était une atteinte à l'unité nationale française. En effet, les opposants aux langues régionales développent souvent des théories des plus saugrenues sur les objectifs des défenseurs des langues autres que le français. Pour les opposants aux langues régionales, sans caricaturer outre mesure leurs arguments, les locuteurs de langues régionales sont téléguidés par les ethnicistes allemands, eux-mêmes très influencés par les Américains impérialistes n'ayant qu'un seul objectif : détruire la France. Pour preuve Alain-Gérard Slama , éditorialiste au Figaro, estime que la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution « serait faire droit à des revendications extrémistes et une poussée de replis identitaires » (Le Figaro 21/06/2008). Arrêtons-là la plaisanterie. Il existe en effet des liens au niveau européen entre les communautés de langues minoritaires. Des échanges de pratiques existent, en termes linguistique (terminologie, lexicographie, mise en place d'observatoires…), et parfois politique. De là à imaginer que l'Allemagne, rance de son passé peu glorieux, est un modèle pour les communautés minoritaires de France, il y a des limites que la décence ne peut pas accepter.

Quatrième argument : l'encouragement de la francophonie est incompatible avec la défense des langues régionales
Cette théorie développée dans un article de François Taillandier, écrivain, est pour ainsi dire bizarre. Il prône l'encouragement de la francophonie, en affirmant qu'« une France qui voudrait se relier au monde commencerait par renforcer les liens de la francophonie » (Le Figaro, 24/06/2008). N'est-ce pas déjà le cas ? La promotion de la francophonie est dotée de moyens que les langues régionales aimeraient bien se voir attribuer. Même s'il est vrai que les défenseurs des langues régionales, étant souvent francophones, ne s'y opposent pas. F. Taillandier doit imaginer que la reconnaissance des langues régionales serait un frein à la francophonie. Le fait que les francophones défendent leur langue est légitime. En effet, la langue française vaut tout autant que l'anglais, le swahili ou le basque. Elle n'est ni supérieure, ni inférieure. Mais en quoi les langues régionales peuvent-elles nuire à l'épanouissement du français ? Prône-t-il en filigrane l'impérialisme francophone, devant entraîner l'éradication de la pluralité linguistique ?

Cinquième argument : les langues régionales ne permettent pas de véhiculer la modernité
Cet argument consiste à mettre sur des plans différents le français et les langues régionales. Le français est la langue de la modernité, tandis que les langues régionales sont des langues du passé. F. Taillandier parle des « langues que la modernité" [et pas seulement en France] "voue à mourir », thèse également développée par Alain-Gérard Slama qui estime que les langues régionales « tendent à décliner, moins par la volonté de l'État que sous le choc de la modernité ». Le premier insiste en estimant que « le comportement de nos élus en cette affaire a donné une pénible impression d'irresponsabilité ». Il enfonce le clou en indiquant que les promoteurs des langues régionales souhaitent accomplir « les rêves pastoraux du maréchal [Pétain] ». Ces propos ne sont pas tenus dans une gazette anonyme d'illuminés mais un journal d'audience nationale, se disant sérieux, à savoir Le Figaro. Pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre qu'ils souhaitent véhiculer un message des plus grotesques, à savoir que les langues régionales condamnées à mourir ne peuvent pas transmettre la modernité et sont la réminiscence d'idées pétainistes, chose défendue par nos élus qui se laisseraient embarquer dans l'affaire. On croit halluciner !

Sixième argument : les langues régionales mettent en péril l'apprentissage du latin et du grec ancien
F. Taillandier pose la question suivante : « Donnera-t-on demain au basque, au catalan, au breton ces heures d'enseignement, ces postes que l'on s'obstine à retirer au latin et au grec, deux langues anciennes qui constituent le socle historique et culturel de la maison Europe ? ». Sait-il que l'apprentissage d'une langue régionale stimule l'apprentissage des langues en général ? Est-il un monolingue frustré pour imaginer cela ? Sait-il que les lycéens Diwan obtiennent souvent des résultats au baccalauréat que de nombreuses écoles leurs envieraient certainement.

Septième argument : il vaut mieux apprendre l'anglais qu'une langue régionale
On nous le répète sans cesse. « Tout jeune Français devrait apprendre une des langues de l'Union, ainsi qu'une des grandes langues véhiculaires [l'espagnol, l'anglais]. » Mais cela n'est pas opposé à l'apprentissage d'une langue régionale. L'apprentissage d'une langue régionale, entretenant des liens avec le territoire, de manière précoce, vaut largement la pédagogie désastreuse d'apprentissage de langues étrangères à un âge avancé. Les différentes études menées sur ce sujet, dont celles de Gilbert Dalgalian, spécialiste de l'apprentissage précoce des langues, le prouve largement. Nous savons ainsi qu'un enfant apprenant le breton, le basque, le catalan dans leur région auront plus de facilité à apprendre une langue d'un autre pays.

Huitième argument : le français doit être la langue exclusive en France
C'est ce qu'on comprend à la lecture d'Alain-Gérard Slama qui se fait plus direct quand il estime que « l'affaire ne souffre aucune discussion ». Donc ni débat, ni confrontation. Monsieur a raison et c'est tout. Soit, mais comment justifier cela ? C'est simple : pour lui l'Académie française a dit « depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France ». Faux, archi-faux, mensonge historique éhonté. Ces cinq derniers siècles, les langues régionales ont été parlées en France et sur des territoires qui, à cette époque, n'étaient pas français. L'exclusivité du français sur le territoire n'a jamais été le cas.

Neuvième argument : les langues régionales sont en bonne santé, pourquoi les défendre alors ?
« La demande d'enseignement en breton est forte. Donc pourquoi en faire plus ? » lancent certains détracteurs. Il s'agit évidemment d'un mensonge. Les langues régionales agonisent, sont étouffées par une administration française zélée ne leur laissant aucune place. Les blocages pour l'ouverture de classes sont permanents. Certes, la demande est forte, mais l'offre n'est pas promue.

Dixième argument : l'Europe veut imposer à la France sa vision de la pluralité
Le plus nationaliste des « écrivains » français s'inquiète a priori que la France puisse se démocratiser. En effet quand il écrit que « faire entrer [les langues régionales] dans la Constitution peut être une porte ouverte vers la ratification de la Charte européenne sur les langues régionales », il a raison. Et nous pourrions lui répondre que c'est un bien. En effet, pourquoi les différents États européens ayant adhéré à l'UE ont-ils été obligés de signer et ratifier ce texte (souvent sommés par la France de le faire), et que la France pourrait s'en dédouaner ? La France doit respecter les mêmes critères démocratiques que ses voisins ! La protection légale des langues régionales et minoritaires est un droit améliorant le standard démocratique permettant d'atteindre un niveau élevé de cohésion d'une société. Il ne s'agit en rien d'un élément de division, mais plus de cohésion européenne. L'Europe ne pourra se construire que dans le respect des autres, de leurs différences et des langues pratiquées par les citoyens, qu'elles soient nationales ou régionales.

Onzième argument : la France est une exception culturelle
Si on suit ce raisonnement, cela veut peut-être dire que la France ne peut pas suivre la vague de démocratisation déferlant sur le reste du monde, car ses coutumes et ses dogmes l'en empêchent. En effet, si l'exception culturelle prônée par les détracteurs des langues régionales empêche toutes avancées en matière de reconnaissance de la diversité culturelle, peut-on estimer que la France est un modèle universaliste ? Après en avoir fait l'expérience, lorsqu'il arrive de discuter avec un Allemand, un Italien ou un Chinois de cette exception française, ils rient, bien évidemment. Ils répondent tout simplement qu'ils sont aussi une exception car, qu'il s'agisse des peuples majoritaires ou minoritaires, chacun a ses particularismes culturels. La France n'est donc pas une exception. Elle crée son exception. Les plus beaux discours peuvent être tenus quant à la survie des peuples premiers (le musée du quai Branly à Paris en est la preuve formelle), mais s'ils ne s'appliquent qu'à l'extérieur, n'est-ce pas des incantations sans fondement ? Le conseil constitutionnel estimant que le concept de minorité n'existant pas sur le « sol français », la défense des langues minoritaires n'est par conséquent pas possible. C'est le cas surtout depuis 1992, lorsque pour s'opposer à l'anglicisation de la société, les parlementaires ont ajouté à la Constitution l'article 2 stipulant que "le français est la langue de la République", principe s'étant retourné immédiatement contre les langues régionales. Les parlementaires avaient pourtant fait la promesse que ce ne serait pas le cas.


L'attitude qu'on peut qualifier de sectaire, pour rester gentil, des défenseurs exclusifs du français est honteuse. Leurs arguments sont caricaturaux, faux et méprisants. Ils rappellent le plaidoyer de Marine Le Pen contre les panneaux bilingues en Bretagne, estimant que le rôle de la France est d'assimiler les populations au détriment de leurs origines et de leurs langues. En les lisant, on a l'impression que la langue française est supérieure aux autres langues. Le français n'est pas la seule langue parlée en Bretagne, au Pays basque, en Catalogne nord, en Alsace ou en Corse... Des locuteurs de langues minorisées veulent les parler, qu'elles soient enseignées et officialisées. Comment, au moment où l'ONU a décrété l'année 2008 Année mondiale des langues, de tels comportements peuvent-ils encore exister ? Espérons, comme le montrent les récents sondages, que les citoyens européens soient plus ouverts d'esprit que ces derniers spécimens d'une autre époque. Ces raisonnements écœurants ne peuvent qu'amener les Alsaciens, Basques, Bretons, Catalans, Corses, Flamands ou Occitans a ne plus croire dans ce modèle fait de mensonges, de mauvaise fois et de mépris.

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