Un peu plus de deux ans et demi se sont écoulés depuis ce 9 janvier 2013, jour tragique qui a marqué à jamais notre vie. (voir le site) Sakine, Rojbin et Leyla se sont installées pour toujours dans notre mémoire affective et dans notre conscience politique.
Les magistrats en charge de l'instruction de ce triple crime ont travaillé avec acharnement durant plus de deux ans sur cette affaire. La juge Jeanne Duyé, en première ligne dans cette enquête, a dévoilé au grand jour les ramifications « internationales » de cette affaire qui – comme nous le soupçonnions dès le premier jour – se limitent pour l'essentiel, dans ce cas précis, au territoire turc. Ils sont arrivés à la conclusion que ce triple assassinat a été, d'une manière ou d'une autre, piloté, préparé depuis la Turquie par une puissance qu'ils n'ont pu identifier formellement mais dont ils savent qu'elle est en lien avec le MIT, les puissants services secrets turcs. Rappelons au passage que lors d'un meeting électoral des présidentielles de 2014 le candidat Erdoğan avait lui-même mis en cause le MIT dans cette affaire.
Les juges français qui prennent soin de ne pas porter d'accusation gratuite – ce dont nous nous félicitons - ont néanmoins conclu sans conteste que le dénommé Ömer Güney, (voir le site) incarcéré à la Maison d'Arrêt de Fresnes suite à un mandat de dépôt criminel depuis le 21 janvier 2013, était en lien avec des individus gravitant ou issus des services secrets turcs. Ainsi la juge Jeanne Duyé note-t-elle dans son ordonnance :
"Des liens peuvent être effectués avec ces assassinats même si les investigations n'ont pas permis d'établir si des agents du MIT avaient participé à ces faits de façon officielle ou avec l'aval de leur hiérarchie ou encore s'ils avaient été commis à l'insu de leur service afin de discréditer ou de nuire au processus de paix".
Bien que le caractère politique de ce triple assassinat ressorte clairement de l'analyse des juges d'instruction, cet article ne vise pas à en reprendre tous éléments, la volonté de saboter le processus de paix étant à lui seul, pour les juges, un élément largement suffisant.
Au final, la juge et ses collègues décident de renvoyer Ömer Güney devant la Cour d'Assises spéciale de Paris. Cette décision est loin d'être anodine. Ce renvoi devant cette juridiction spéciale signifie tout simplement que les magistrats instructeurs ont retenu le caractère terroriste de ce triple assassinat. S'il est vrai que le droit pénal français reconnait la possibilité d'une entreprise terroriste individuelle, il est clair qu'en l'espèce la situation d'Ömer Güney ne correspond nullement à celle d'un individu ayant agi seul. Ömer Güney, ainsi que le relate l'ordonnance de mise en accusation, est en lien avec un réseau en Turquie. Il est aussi en lien avec un réseau en Allemagne – nous savons qu'il a fait passer un, voire plusieurs messages par le biais d'une relation munichoise et destinés au MIT.
« Quid d'un possible réseau en France ? » C'est peut-être le point faible de cette enquête qui ne permet pas de connaître les ramifications françaises de cet homme de main du MIT. Qu'en sera-t-il au procès ? Ömer Güney parlera-t-il enfin ? Aura-t-il le courage de dénoncer ses maîtres ? Ce renvoi (voir le site) devant la formation spéciale de la Cour d'Assises était attendu mais nul ne peut imaginer l'attitude qu'adoptera Ömer Güney. Rappelons qu'un autre célèbre agent du MIT, Mehmet Ali Ağca, qui avait tenté d'assassiner le Pape Jean-Paul II, avait lui aussi adopté un système de défens, se faisant passer pour un illuminé capable de divaguer sur tout et n'importe quoi mais sans jamais évoquer sa propre responsabilité.
En définitive, les indices à charge contre Ömer Güney sont nombreux et risquent de lui valoir une lourde condamnation. Le réquisitoire définitif l'accuse d'avoir volontairement donné la mort à Sakine Cansiz, Leyla Saylemez et Fidan Dogan (Rojbin) avec préméditation et en relation avec une entreprise terroriste. Il faut donc que la justice passe, sereinement, mais pour tous ceux et celles qui souhaitent que la vérité, toute la vérité, soit faite, la probable condamnation d'Ömer Güney ne suffira pas. Même si l'entreprise terroriste, donneur d'ordre, n'est pas formellement identifiée un faisceau d'indices converge vers le MIT, les services secrets turcs, dont le patron, Hakan Fidan, (voir le site) est l'homme-lige du tout puissant président Erdoğan. Il faut démasquer les commanditaires. Nous le devons en mémoire de nos amies, ces militantes abattues comme des chiennes. Rien ne nous empêchera de demander des comptes à ceux et à celles qui savent mais qui se taisent, qu'ils soient élus politiques, fonctionnaires ou « correspondants très spéciaux » d'officines en tout genre. Qu'ils sachent que la raison d'Etat, les rapports estampillés « secret-défense » sont éphémères et vivent « ce que vivent les roses, l'espace d'un matin » . Disons plus prosaïquement qu'ils sont à la merci d'un renversement d'alliance. Parions que les langues finiront bien par de délier. Le plus tôt sera le mieux. Pour l'honneur de tous.
André Métayer