Depuis 1945, la presse en France est subventionnée. Ces aides sont opaques, il est très difficile de savoir qui reçoit quoi. On sait que la Presse Quotidienne Nationale (PQN) et la Presse Quotidienne Régionale (PQR) sont subventionnées comme la presse d'opinion. L'Humanité a même été subventionnée par les gouvernements de droite. La Croix par des gouvernements de gauche, grands défenseurs de la laïcité. Si la presse quotidienne diminue de 5 % par an en Europe et de seulement de 3 % en France, il y a une raison, d'autant plus que les Français lisent moins de journaux que les Britanniques ou les Suédois.
.
Le système comprendrait au moins onze aides directes différentes et sept aides indirectes, pour un montant total de 900 millions (1). Les services de l'État connaissent bien sûr le montant du chèque adressé à chacun des médias concernés, mais ceux-ci sont très discrets sur les sommes. Un chèque qui pèserait pour quelque 15 % du chiffre d'affaires de certains d'entre eux. On sait seulement que l'Agence France Presse (AFP) reçoit 111,4 millions d'euros déguisés en abonnements. Cela peut se vérifier aisément en consultant le budget annuel du ministère de la Culture, qui est téléchargeable en format pdf sur le site Internet de ce ministère. Dans ce budget on peut lire que 2010 s'est traduit "par une augmentation sans précédent des crédits alloués aux dispositifs d’aides directes à la presse". Une hausse de 51 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances pour 2009. Le Grenelle de la presse n'aura fait qu'amplifier le racket de vos impôts par les médias.
Les libéraux payent des impôts qui financent L'Humanité, les musulmans payent pour La Croix, les brittophones payent pour Ouest France qui écrit très rarement en breton...
L'ensemble de la presse écrite profite d'un taux de TVA super-réduit de 2,1 % et de tarifs postaux préférentiels. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi envoyer une lettre de Paris à Marseille coûte beaucoup plus cher que de New-York à Los Angeles ? Un timbre américain de tarif lettre simple coûte 44 cents, soit 34 cents d'euro, le timbre français coûte 58 cents - presque le double - et la France ne fait que 1000 km de large, les USA en font 4500...
Quand vous achetez un timbre en France, vous payez une partie du portage des journaux. Un peu comme quand vous achetez un billet de TGV, vous payez une partie du voyage des enfants des autres — ce qui n'est pas le cas pour les billets d'avion au tarif identique pour les adultes et les enfants. Quand vous achetez un timbre, vous payez pour des journaux que vous ne lisez pas ou qui publient des opinions à l'opposé des vôtres. La Poste et la presse ont signé, le 23 juillet 2008, un protocole d'accord définissant le futur cadre de leurs relations pour le transport et la distribution de la presse jusqu'en 2015. En contrepartie du déficit de 500 millions d'euros supporté par La Poste dans son activité de transport de la presse, l'État s'est engagé, de 2009 à 2011 inclus, à verser à l'opérateur postal une contribution annuelle de 242 millions d'euros. Le reste est payé par vos timbres. Une autre taxe déguisée.
Pour ceux qui reçoivent leur PQR dans leur boîte à lettres, ce portage est aussi aidé par l'État, à hauteur de 8,25 millions d'euros pour 2009, comme en 2008. L'État aide aussi l'acheminement des journaux aux points de ventes via une aide à Presstalis (anciennement Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne ou NMPP) à raison de 12 millions d'euros. L'aide de l'État au portage par train s'élève à 70 millions d'euros. Il existe aussi, juste pour les citer, des aides à la presse pour l'expansion à l'étranger, des aides à la modernisation de la fabrication (22,7 millions), des aides à la modernisation de la diffusion (13,3 millions), au lectorat des jeunes (8 millions), des aides aux journaux d'opinions et à la presse départementale et régionale. (2)
.
L'exception culturelle française ou : la loi européenne n'est pas la même pour tous
Inutile de dire que l'aide de l'État à une industrie ou à une autre est contraire au droit européen. C'est une infraction aux lois contre la concurrence déloyale. D'ailleurs le Royaume-Uni et l'Allemagne ont abandonné toutes aides à la presse depuis plusieurs années. La France non. Elle place ces infractions dans sa boîte des exceptions culturelles. Le gouvernement actuel, bien qu'ayant admis que les caisses sont vides, a même créé en décembre 2009 une nouvelle aide à la presse, à la presse en ligne cette fois.
.
Aides à la presse en ligne
Le développement des pure players, c'est-à-dire d'une presse internet uniquement, a vite mis en évidence l'injustice du système français. Financer le portage des journaux et pas la diffusion électronique des pages web était devenu difficilement défendable. Aussi le gouvernement a-t-il annoncé une aide de 60,6 millions d'euros pour les sites internet d'actualité, à raison de 20,2 millions par an sur trois ans. Il y a eu 10 jours — pour les avertis — pour déposer une candidature en décembre dernier. Ce sont des aides sur un projet dans lequel l'État finance jusqu'à 60 % du projet. Les sites Médiapart et Rue89 bénéficient de ces aides. Rue89, qui est plus transparent que les autres sur le sujet, pour le financement de la future plateforme technique du site web (entre 50 % et 80 % du coût du projet). Rue89 toucherait 249.000 euros, Médiapart 200.000 euros et Slate.fr 199.000 euros. On ne sait pas combien ont touché Ouest France et Le Télégramme pour leur site web. On sait simplement que la plus grande partie des 22,2 millions est partie pour la version internet des grands journaux. Le Syndicat de la Presse Internet Indépendante (SPIIL) a obtenu une fin de non-recevoir à la lettre qu'il avait adressée au ministre de la Culture pour avoir la liste des bénéficiaires de cette nouvelle subvention (3).
.
Non à la concurrence déloyale
Lors d'un débat sur la web-tv arretsurimages.tv la question posée était : peut-on être indépendant si on est subventionné ou aidé ? La vraie question qui n'a pas été posée est à notre avis : peut-on avoir une concurrence loyale dans un tel système ? La réponse est évidemment non. ABP, face aux dinosaures Ouest France et Le Télégramme subit une concurrence déloyale. Nous demandons la suppression de TOUTES les subventions directes ou indirectes à la presse, y compris la presse en ligne. Que tous les compteurs soient remis à zéro. Et puis ça tombe bien, le gouvernement réuni le 20 août à Brégançon a annoncé vouloir supprimer 10 milliards de niches fiscales. C'est l'occasion ou jamais.
.
Sauver une langue n'a rien à voir avec sauver un journal de la faillite
Ceci étant dit, les sites comme Breizhoweb ou un hebdo comme Ya ! qui favorisent la résurrection de la langue bretonne méritent de recevoir une aide régionale au nom d'une "réparation", une sorte de reverse discrimination ou discrimination positive et ceci pour un temps déterminé et limité à une mise à niveau. Il y a eu une volonté politique de l'État français de détruire la langue bretonne. Sauver une langue n'a rien à voir avec sauver un journal de la faillite. Un journal, que ce soit Le Monde ou L'Humanité, ne fait pas partie du patrimoine de l'humanité.
Philippe Argouarch
.
(1) Chiffre de Electronic Paper Communication : http://electronicpapercommunication.20minutes-blogs.fr .
(2) Chiffres du ministère de la Culture. Voir le PDF du budget 2010.
Autres chiffres : voir le livre Les Médias en France de Jean-Marie Charon, aux éditions La Découverte, collection Repères. 2003, réédition mise à jour en 2009.
(3) Le SPIIL, dont tous les membres fondateurs sont des médias parisiens, a refusé ABP sous le prétexte fallacieux qu'on était juste un site pour passer les communiqués des autres, sans journalistes professionnels, c'est-à-dire d'après eux, sans vérification journalistique ! Ils ne doivent pas lire souvent notre page d'accueil. Le refus, sujet à révision toutefois, nous a été signifié dans un courriel non signé — ce qui est un comble venant d'un organisme réclamant plus de transparence dans la presse.