C’est le New York Times qui, depuis le continent américain, a mené l’enquête et rendu publique une méga-fraude aux aides européennes, parfois menée au plus haut niveau de certains Etats, particulièrement en Tchéquie où le Chef de l’Etat, Andrej Bubis, est personnellement mis en cause, et en Hongrie où elle implique la famille proche de Viktor Orban. Et aussi la Roumanie et la Bulgarie où les mafias en sont les principales bénéficiaires. Puis sont venues les arrestations en Sicile de plusieurs dizaines de mafieux qui, par l’intimidation, se sont emparés de milliers d’hectares pour bénéficier indûment des fonds européens au détriment des vrais agriculteurs. Ce méga-scandale pourrait amener à réviser en profondeur la future PAC qui couvrira la période 2021-2027.
Première victime indirecte du scandale, la presse européenne, et l’ensemble des contre-pouvoirs démocratiques de l’Europe, qui se sont trouvés mis devant le fait accompli par la presse américaine. 65 milliards d’euros sont injectés chaque année dans les aides à l’agriculture, soit comme le souligne le New York Times "le plus important système d’aides publiques au monde ".
Au cours de leurs investigations menées dans neuf pays de l’Union, dont la France, les journalistes ont découvert " un système délibérément opaque, qui agit contre les objectifs environnementaux affichés, et qui est entaché par la corruption et l’absence de contrôle ". Et ils expliquent : "La machinerie européenne a rendu possible cette fraude grossière car s’y opposer aurait amené à changer un programme qui la maintient dans une union précaire. Contrecarrer le système et en empêcher les abus dans les nouveaux Etats-membres aurait perturbé trop de grandes fortunes économiques et politiques à travers le continent".
Ainsi, en Hongrie, l’entourage immédiat de Victor Orban est le grand bénéficiaire des fonds européens, pour plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année. Cela a été rendu possible par la conjonction de deux phénomènes : l’accaparement des terres auparavant propriété de l’Etat du temps du communisme, puis le passage de la PAC à un régime d’aide fondé sur un indice de surface et non plus sur des unités de production. Après s’être auto-attribué les terres, les oligarques se sont auto-attribués les primes de la PAC, en contournant les plafonds et les garde-fous mis en place par la réglementation européenne par la multiplication de structures et d’exploitants dépendant en fait d’un même protagoniste. Enfants, amis d’enfance, SCI multiples, tout a été mis en œuvre pour arriver à des cumuls d’aides qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros tous les ans, par l’annexion de milliers d’hectares de terres agricoles. Et le New York Times de pointer « un féodalisme des temps modernes dans lequel les petits exploitants sont contraints de faire allégeance à des seigneurs politiquement bien placés » . L’enquête souligne que « 80% des aides vont à 20% des plus grosses exploitations, parmi lesquels nombreux sont ceux qui ont profité de cette manne pour amasser un pouvoir politique » .
En Tchéquie, le plus grand bénéficiaire des aides est le chef de l’Etat lui-même, Andrej Bubis, une des plus grandes fortunes du pays. L’enquête des journalistes américains a recensé une dotation annuelle de 37 millions d’euros par an en faveur d’un enchevêtrement de structures lui appartenant.
En Bulgarie, 75% des aides bénéficient à une centaine d’entités agricoles. Une enquête judiciaire a été lancée qui a montré des liens de corruption entre des « businessmen agricoles » et des dirigeants de l’Etat. En Slovaquie, le procureur a reconnu l’existence d’une « Mafia agricole » . « Des fermiers ont témoigné avoir été agressé physiquement pour leur soutirer des terrains éligibles aux aides » rapporte le New York Times, qui rappelle le meurtre du journaliste Jan Kuciak, alors qu’il menait une enquête sur des gangsters italiens, en lien avec les milieux du pouvoir, et engagés dans l’agrobusiness.
L’Europe a fermé les yeux sur l’accaparement des terres en Europe de l’Est, puis elle a nié les soupçons de fraudes, jusqu’à diligenter des audits et des contrôles chez les « lanceurs d’alerte » , etc…
Dans ce type de « féodalisme moderne » , un seul bénéficiaire produit 16% des porcs de toute la Hongrie, dans des conditions de fermes industrielles aux antipodes des prescriptions pour le verdissement de la PAC prodigués depuis Bruxelles. Car, de facto, comme le dénonce le New York Times, « les aides européennes alimentent les systèmes agricoles les plus industriels, ceux qui simplifient le plus les paysages, fonctionnent avec le plus d’intrants et le moins d’emplois. Le résultat est un bilan environnemental désastreux… » .
Ainsi, les gaz à effet de serre émis par l’agriculture européenne ont augmenté de 5% durant la dernière décennie, quand, d’une façon générale, les émissions du continent baissaient de 15%. On lui doit les nitrates qui infestent d’algues mortes les plages de Bretagne, l’extension de la zone morte en Mer Baltique, etc…
A ce tableau désastreux de la PAC dans l’ex-Europe de l’Est, s’ajoute un nouveau scandale venu de Sicile : dans la région de Tortoricci, ce sont 10 millions d’euros qui tombaient, chaque année, entre les mains de la mafia. 94 personnes ont ainsi été inculpées, et dans l’acte d’accusation, le juge estime que l’escroquerie reposait sur le soutien sans condition d’employés ayant " le savoir-faire nécessaire pour faire parvenir la mafia jusqu’au centre nerveux du système de financement public et pour exploiter les failles d’un contrôle laxiste ".
A côté de ces « champions » de la fraude, les dossiers corses apparaissent vraiment riquiqui. Mais les dérives de la PAC y sont aussi avérées, et l’irruption de ce scandale européen conduira mécaniquement à des changements profonds et à une tolérance zéro qui affectera aussi les exploitations corses. Ce communiqué est paru sur Le blog de François Alfonsi