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- Chronique -
Les Bretons et l'Islande (2) Une population d'origine norvégienne et irlandaise
Les marins bretons qui se sont rendus par milliers dans les eaux islandaises entre 1852 et 1935 ont dû être terriblement frappés par l'aspect désertique de ce pays. Les fjords qu'ils ont fréquentés pour se mettre un peu à l'abri dans les périodes de tempêtes, pour trouver de l'eau fraîche ou pour débarquer des hommes malades ou blessés, comme le Reydarfjördur, sur la côte est, qui fut longtemps un de leurs refuges préférés, ont dû leur paraître bien vides comparés à la côte du Trégor et du Goëlo,
Bernard Le Nail pour ABP le 19/08/08 13:37

Les marins bretons qui se sont rendus par milliers dans les eaux islandaises entre 1852 et 1935 ont dû être terriblement frappés par l'aspect désertique de ce pays. Les fjords qu'ils ont fréquentés pour se mettre un peu à l'abri dans les périodes de tempêtes, pour trouver de l'eau fraîche ou pour débarquer des hommes malades ou blessés, comme le Reydarfjördur, sur la côte est, qui fut longtemps un de leurs refuges préférés, ont dû leur paraître bien vides comparés à la côte du Trégor et du Goëlo, si riante sous le soleil et si marquée par la présence humaine avec ses innombrables petites maisons, ses nombreux clochers, ses amers et ses phares. Les fjords islandais, parfois profonds de plus de 20 ou 25 km, encadrés de montagnes s'élevant à plus de 1 000 m, encore toute couvertes de neige au moment de l'arrivée des goélettes bretonnes et présentant des à-pics terrifiants, n'avaient rien d'accueillant et les quelques modestes maisons en bois et en tôles blotties sur la rive au fond de ces fjords devaient paraître dérisoires dans ces paysages grandioses, mais inhospitaliers.

L'Islande reste encore aujourd'hui un pays en très grande partie vide d'habitants. Avec 100 000 km2, elle a trois fois la superficie de la Bretagne (soit encore celle du Portugal), mais elle ne compte que 314 000 habitants actuellement, soit moins que la seule agglomération rennaise (ou moins qu'un micro-État comme le Grand Duché du Luxembourg). En 1801, alors que la Bretagne comptait déjà deux millions d'habitants, l'Islande n'en comptait encore que 50 000 et, vers 1870, alors que l'on recensait chaque année une cinquantaine de goëlettes bretonnes dans les eaux islandaises, la population totale du pays atteignait à peine 70 000 habitants.

Du reste, pendant plusieurs siècles, la population de l'Islande s'est maintenue autour de 40 000 habitants et a même failli plusieurs fois disparaître complètement à la suite de catastrophes comme deux épidémies de peste noire (celle de 1402-1404 tua la moitié de la population et celle de 1494-1495 en emporta encore une bonne partie) ou de terribles éruptions volcaniques (celle du Laki dans le Skaftafelldar, qui rejeta en 10 mois trente milliards de mètres cubes de lave en 1783-1784, provoqua une terrible famine et fit disparaître un cinquième de la population du pays).

Les marins bretons ne pouvaient espérer débarquer sur les quais de ports animés comme ceux de Paimpol, de Binic, de Tréguier, de Lannion ou de Morlaix, les seules localités islandaises qu'ils découvraient ne comptaient au mieux que quelques dizaines de pauvres maisons. Reykjavik n'était encore elle-même qu'une bourgade de 2 000 habitants au début du XIXe siècle et, en 1883, un voyageur français observait que cette "ville", déjà la plus grande du pays, n'avait encore que 2 700 habitants et ne comptait que deux rues et un seul petit hôtel. Il faut dire que l'Islande n'était qu'une colonie lointaine du royaume du Danemark lequel ne se souciait guère de ses habitants...

Les premiers habitants de l'Islande furent des moines irlandais venus aux VIIIe et IXe siècle y chercher la solitude pour mener une vie d'ermites dans le plus grand dénuement (dénuement dont on a une bonne idée quand on visite les humbles cellules toujours visibles à Skellig Michael, au large de la péninsule de Dingle, sur la côte ouest de l'Irlande, ou même chez nous en Bretagne quand on voit les traces de certains de leurs oratoires). À cette époque, pour gagner leur Paradis, de nombreux moines irlandais partaient, à bord de coracles, établir des ermitages dans des îles de la côte bretonne, dans les îles Hébrides, aux Orcades, aux îles Shetland, aux îles Féroé (où une baie s'appelle d'ailleurs toujours Brendansvik) et toujours plus loin. Tim Severin a montré avec son coracle le Brendan en allant d'Irlande en Islande, puis d'Islande en Amérique, que des navigateurs celtes avaient bien pu atteindre le Nouveau Monde avant même les Scandinaves... Le souvenir d'ermites chrétiens (papar) sur les côtes d'Islande a été conservé, principalement dans certaines sagas (dont le "Landnàlabok", le "Livre de la colonisation"), en une dizaine de lieux, dont l'île de Papey, sur la côte est, où dut exister une véritable communauté, mais ces moines n'ont évidemment pas eu de descendance et n'ont pas laissé de traces archéologiques. À l'arrivée des Vikings, encore païens, ils durent être massacrés ou ils s'enfuirent vers des lieux plus isolés encore.

Le peuplement de l'Islande ne commença en fait qu'à la fin du IXe siècle. Des Scandinaves y arrivèrent alors à bord de knörr, solides bateaux en bois permettant de transporter des colons, des semences, des outils et du bétail (vaches, cochons, moutons, volailles). Avec des vents favorables, il ne fallait que sept à huit jours de mer jours pour faire le parcours entre les fjords de Norvège et l'Islande. Celle-ci avait dû être déjà repérée par des navigateurs. La Norvège connaissaient alors une forte croissance démographique et ces colons partaient clairement pour trouver de nouvelles terres à cultiver. À la même époque, d'autres Vikings semaient la terreur sur les côtes d'Europe, notamment en Bretagne : en 843, ils avaient pillé la ville de Nantes et massacré une bonne partie de la population rassemblée dans la cathédrale ; une sévère défaite leur avait été infligée en 888 à Questembert, mais, de 908 à 937, ils allaient solidement occuper la Bretagne en attendant d'en être définitivement chassés. D'autres Vikings développaient des activités commerciales en Moscovie (le mot Rus, d'où vient le nom de la Russie, est un mot scandinave). En Islande, ils ne venaient pas pour piller – le pays était vide – ni évidemment non plus pour commercer, mais pour s'établir comme agriculteurs. Le premier colon se serait installé en Islande en 874.

Il est important de dire que le climat était alors beaucoup plus doux qu'aujourd'hui et ressemblait à celui de la Norvège et de la Suède ; les glaciers d'Islande étaient moins étendus, on trouvait dans le pays de vraies forêts, des arbres fruitiers y poussaient et la culture des céréales était possible dans certaines régions protégées. Venus en plusieurs vagues, les Norvégiens installés dans l'île devaient être près de 5 000 autour de l'an Mil et cette population ne devait plus recevoir de nouveaux renforts ensuite pendant un millénaire. La population islandaise présente donc le cas, sans doute unique dans l'histoire de l'humanité, d'une communauté qui n'a connu aucun brassage, aucun métissage durant dix siècles.

Cette communauté est restée bien limitée puisqu'on estime que le nombre total d'individus ayant vécu en Islande du IXe siècle à aujourd'hui ne dépasse pas 750 000 personnes. Comme l'état civil a été bien tenu par l'Église dès le XIIe siècle, on dispose d'informations généalogiques très complètes sur cette population et 80 % des Islandais ont des arbres généalogiques remontant jusqu'à cette époque, voire, pour certains, jusqu'au IXe siècle. Depuis la création du Service national de santé en 1915, on dispose aussi d'un dossier médical pour chaque citoyen avec de précieuses données (diverses pathologies et problèmes de santé, durée de vie, cause de décès, etc.) concernant quelque 580 000 personnes. Des universités et des sociétés nord-américaines ont passé des accords avec le gouvernement islandais pour pouvoir traiter toutes ces données et 120 000 Islandais (près de 40 % de la population) ont été volontaires ces dernières années pour donner leur ADN. Ces recherches permettront d'étudier chaque cas de maladie en distinguant celles qui sont d'origine génétique, de travailler sur les maladies rares, d'étudier particulièrement les maladies cardiaques et les cancers, de mettre au point demain de nouveaux médicaments.

Les recherches menées sur l'ADN des Islandais ces dernières années ont aussi confirmé que la plus grande partie de la population descendait bien d'ancêtres norvégiens, mais a aussi révélé, ce qui a été un peu une surprise, une proportion importante d'ancêtres d'origine celtique chez les Islandais de la côte ouest. L'explication la plus vraisemblable est le rapt de nombreuses femmes par les Vikings en Irlande, voire aussi peut-être en Grande-Bretagne et en Bretagne armoricaine, et leur transfert en Islande pour y servir d'épouses, de concubines ou simplement d'esclaves. Il ne fait aucun doute que les malheureuses furent mises à contribution pour développer la population de cette nouvelle colonie...

L'Islande pourrait ainsi avoir quelque droit à revendiquer une place un jour au Festival interceltique de Lorient...

Pendant un millénaire, les habitants de l'Islande ont tenté de survivre dans cette île où leur existence est pourtant devenue de plus en plus difficile. À partir du XIIe siècle a en effet commencé le "petit âge glaciaire", marqué par le refroidissement progressif de la région : les glaciers ont fortement progressé, les hivers sont devenus plus rigoureux, les glaces flottantes sont devenues plus nombreuses l'hiver autour des côtes rendant impossible la venue de bateaux de commerce et très difficile la pêche, les céréales n'ont plus pu parvenir à maturité, des pâturages situés dans les hautes terres ont dû être abandonnés... C'est à cette époque que s'éteignirent les colonies scandinaves qui s'étaient développées dans le sud du Groenland, à partir de l'Islande.

Le "miracle islandais", c'est que ce petit peuple, placé dans des conditions très difficiles tout au nord de l'océan Atlantique, ait réussi à survivre, à conserver bien vivante son identité, à arracher son indépendance et à se hisser aujourd'hui parmi les plus avancés de la planète.

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Bernard Le Nail est un écrivain fondateur de la maison d'édition LES PORTES DU LARGE. Contributeur ABP
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