L'historien Joël Cornette, spécialiste du règne de Louis XIV et auteur de plusieurs ouvrages majeurs sur la Bretagne, a récemment consacré une conférence à l'évolution de l'identité bretonne à travers les siècles. Cette intervention, basée sur son dernier livre Une brève histoire de l'identité bretonne - Éditions Tallandier - s'est tenue dans le cadre de l'université populaire (UNIPOP) et du festival du film d'histoire de Pessac. Cornette revient sur les représentations des Bretons dans l’histoire vu de la cour de Versailles ou de Paris.
Une longue histoire de stéréotypes
Dès l'époque médiévale, les Bretons sont dépeints de manière négative par les chroniqueurs francs. Ermold le Noir, lettré de la cour de Charlemagne, les qualifie de « race ennemie » , vivant « comme des bêtes sauvages dans des cavernes » . Cette vision est reprise au fil des siècles par les administrateurs royaux et les écrivains français, qui les décrivent comme des paysans arriérés, superstitieux et réfractaires à la modernité. « L'histoire est écrite par les vainqueurs » , rappelle Cornette.
Cette image persistante du Breton rustre et primitif est renforcée par des auteurs comme Flaubert ou Balzac qui, dans Les Chouans, compare les Bretons aux Peaux-Rouges d'Amérique du Nord. Arthur Young, voyageur anglais du XVIIIe siècle, affirme même que « les Bretons sont presque aussi sauvages que leur pays » . Bien que Joël Cornette ne prononce jamais le mot racisme, il souligne que ces représentations, de Ermold le Noir à Balzac, et aux inspecteurs d'académie, traduisent un mépris quasi systématique envers la Bretagne et ses habitants.
La Bretagne vue par l’administration royale et républicaine
Aux XVIe et XVIIe siècles, les rapports des intendants royaux décrivent la Bretagne comme une région à civiliser. L’ordonnance de 1539 imposant le français comme langue officielle renforce l’assimilation forcée et la marginalisation des cultures locales. Sous la IIIe République, l’interdiction du breton à l’école et les punitions infligées aux enfants parlant leur langue maternelle (le fameux symbole) participent à la dévalorisation de l’identité bretonne.
Ce processus d'imposition linguistique n'est d'ailleurs pas propre à la Bretagne. Joël Cornette cite à ce sujet les travaux de Rozen Milin, dont la thèse "Du sabot au crâne de singe : histoire, modalités et conséquences de l'imposition d'une langue dominante : Bretagne, Sénégal et autres territoires", met en parallèle la politique d'éradication du breton avec celle menée dans les anciennes colonies françaises, notamment au Sénégal. Cette étude, qui sera bientôt publiée sous forme de livre, éclaire la mécanique du pouvoir linguistique et ses impacts sur les populations dominées.
Du mépris à la fierté bretonne
Le XXe siècle marque un tournant. Si la Première Guerre mondiale entraîne une acculturation massive en raison du brassage des soldats bretons dans l'armée française, la seconde moitié du siècle voit une réappropriation progressive de l'identité bretonne.
Dès les années 1970, la création d'écoles en breton (Diwan), la renaissance culturelle (musique, danse, langue) et la réhabilitation des symboles bretons (le Gwenn-ha-Du) traduisent un profond changement d’attitude. Pour Cornette, l'année 1972 est une année charnière, marquée par des événements comme la grève du Joint Français ou le concert d'Alan Stivell à l'Olympia, qui participent à un réveil identitaire breton.
Un combat toujours d’actualité
Malgré cette réhabilitation, la question de l'identité bretonne demeure sensible dans un pays où les demandes d'autonomie restent ignorées ou avancent à un rythme extrêmement lent – à l’image du cas corse. Joël Cornette souligne que la Bretagne continue d'affronter de nombreux préjugés et que la bataille pour la reconnaissance de son histoire et de sa langue est loin d’être terminée. Il rappelle d’ailleurs que l'Histoire de Bretagne n’est ni enseignée dans le primaire ni dans le secondaire de manière institutionnelle, ce qui fragilise encore davantage sa transmission.
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