Les préfets des départements de Bretagne et d'ailleurs peuvent se réjouir et dormir en paix. Ils ne sauraient subir directement les effets de la paupérisation croissante qui ravage la société civile. Bien au contraire, ils pourront continuer de s'enrichir.
En cas de développement du chômage et de fermetures d'entreprises ils ne seront pas pendus sur la place publique, ni même sanctionnés.
En revanche, si certains objectifs en matière de sécurité publique et routière étaient atteints, ils pourraient recevoir très discrètement des primes pouvant atteindre 66.000 euros par an. Sachant qu'un préfet perçoit, en moyenne, un traitement de 8.000 euros par mois, ce bonus constitue un démenti cinglant de la volonté de diminuer les dépenses publiques.
Cette prime est légalisée par le décret n° 2008-1144 du 6 novembre 2008 relatif à la modulation de l'indemnité de responsabilité attribuée aux préfets et aux sous-préfets en poste territorial.
Pourtant, la loi n'a pas tous les droits.
C'est assez révélateur d'une société décadente que le préfet-président de la commission de surendettement qui juge une pauvre mère de famille endettée pour nourrir ses enfants, puisse être gratifié de tant d'argent public. Que sait-il du paradis, lui qui n'a pas connu l'enfer ?
Les grands corps d'État de la république et la noblesse de robe de l'Ancien régime sont de même esprit et de même nature. Napoléon a regretté d'avoir distribué de confortables rémunérations aux ministres et fonctionnaires de l'État pensant que c'était une grave erreur. Un serviteur de l'État ne doit-il pas faire preuve d'une abnégation totale de tous ses sentiments qui n'ont pas pour objet le bonheur de la Cité ?
L'institution préfectorale, copiée par les dictatures et caricaturée par les démocraties, apparaît comme l'un des derniers vestiges d'un État-nation étroit, irrespirable et impuissant dans un âge post-national. Elle est fille de cette centralisation qui produit l'apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités.
La tradition jacobine veut que l'État central s'attribue l'apanage du pouvoir. Le pouvoir local demeure résiduel. C'est en termes de soumission à une normativité étatique qu'il convient de concevoir tout pouvoir périphérique, la préfecture jouant toujours un rôle central dans les relations qui se nouent entre le préfet et les notables locaux.
La pensée universitaire officielle constaterait une évolution dans la capacité à construire un intérêt général dont l'État central ne détiendrait plus le monopole de formulation. Les collectivités locales seraient reconnues comme productrices de politiques publiques.
Ainsi, dit-on, la fonction préfectorale passerait d'un registre de l'arrangement vertical, entre centre et périphérie, à celui d'un ajustement horizontal, entre différents intérêts locaux.
Tout ceci est de l'ordre du spectacle. Le préfet organise des dîners mondains, lances des invitations et organise le plan de table. Ces scènes locales vont du dîner au colloque, au carrefour, au symposium, à la table ronde, au séminaire, voire aux états généraux. Tout ceci, aussi inutile qu'un congrès international de dentistes à Miami, est cependant très convoité.
La participation à cette mise en scène théâtrale rencontre très vite ses limites. Une délibération n'existe en fait que si elle est liée à une décision à prendre, sous peine d'être ramenée à une simple discussion. Les citoyens doivent être associés au processus décisionnel, et pas seulement à son élaboration.
Gratifier un préfet parce qu'il a atteint des objectifs fixés par l'État-central constitue en réalité une véritable menace. Le préfet recevra 60.000 euros pour avoir contribué à asseoir l'hégémonie de l'État. Qu'en sera-t-il de nos intérêts qui souvent sont différents des intérêts nationaux, et parfois opposés ?
Mais à quoi bon discuter le traitement et les privilèges d'un préfet ou d'un sous-préfet quand la simplification due à une véritable démocratie permet de supprimer tout à fait le préfet et le sous-préfet ?
Jean-Yves Quiger, président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne