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- Chronique -
Le jacobinisme est-il le problème ?
SAINT-BRIEUC/SANT BRIEG—La politique se plaît à utiliser des termes polémiques gonflés de fortes charges émotionnelles. Ainsi fleurissent des épithètes comme «indigné», «déshonorant», «fasciste». Ces épithètes aboutissent à des injonctions ronflantes : «scandale», «honte», «démission».
Par Jean-Pierre Le Mat pour ABP le 8/12/12 9:42

SAINT-BRIEUC/SANT BRIEG—La politique se plaît à utiliser des termes polémiques gonflés de fortes charges émotionnelles. Ainsi fleurissent des épithètes comme «indigné» , «déshonorant» , «fasciste» . Ces épithètes aboutissent à des injonctions ronflantes : «scandale» , «honte» , «démission» . Celui qui accuse et celui qui est accusé partagent la même émotion quand apparaissent ces puissants vocables.

La particularité du terme jacobin est qu'il porte une forte charge émotionnelle pour celui qui l'emploie, mais généralement aucune pour celui qu'il désigne. Il satisfait tout le monde. L'insulteur, disons un régionaliste breton, frissonne de son audace. L'insulté ne se sent pas concerné. Il peut même arriver que celui qui reçoit l'épithète en ressente une émotion positive. Le terme de jacobin porte les irisations du sucré-salé. Elles vont de l'égalité au nivellement totalitaire, de la régulation étatique à la bureaucratie sans âme, de l'unité républicaine au despotisme culturel. Chacun peut choisir la nuance qui lui convient.

Le jacobinisme se réfère à un épisode politique ancien et fugace, mais marquant. En juin 1789, à Paris, il se forma une société de pensée qui prit d'abord le nom de Club Breton. Ses animateurs étaient en effet les députés bretons du Tiers-Etat. En octobre, la société s'installa au couvent des Jacobins, où elle prit le nom de «Société des Amis de la Constitution» . Elle devint «Société des Jacobins amis de la liberté et de l'égalité» en septembre 1792. Les Jacobins sont à l'origine de la dictature de Salut Public et de la Terreur, en 1793 et 1794. La Convention supprima la société des Jacobins le 12 novembre 1794, après la mort de Robespierre. Sur les dix ans que dura la Révolution française, les Jacobins s'illustrèrent pendant la phase la plus sanglante.

Accuser quelqu'un de jacobinisme est sans risque. Le Zola antijacobin n'ira pas en prison. Alors, que signifie que le terme fleurisse en Bretagne, jusqu'à l'indigestion ?

Constatons d'abord que le mot jacobin n'est pas un marqueur identitaire pour l'ensemble du mouvement breton. L'indépendantiste dira plus volontiers « la France » ou « les Français » pour exprimer ce qui lui est étranger, ou ce qu'il ne veut pas être. Le mot Jacobin est un marqueur du régionalisme. Il exprime une préoccupation contrariée de développement des territoires périphériques. L'état central détruit les solidarités de la société civile. Il les remplace par les devoirs liés à la société politique. Le jacobin est l'homme des devoirs centralisés. L'anti-jacobin est l'homme des solidarités transversales.

Revendiquer le jacobinisme, comme le font Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, a quelque chose de désuet. Comment un vieux mythe plus ou moins fossilisé, dégoulinant d'arrogance, pourrait-il répondre aux questions d'aujourd'hui ? Par effet miroir, les croisades anti-jacobines ne donnent pas, non plus, une impression de modernité.

En Bretagne, le véritable adversaire de la revendication d'autonomie est moins le jacobinisme que l'irresponsabilité sociétale. En Bretagne, on pourrait dire : l'irresponsabilité territoriale. C'est se désintéresser d'une langue qui, au monde, n'est parlée que sur ce territoire. C'est l'acceptation de voir les centres de décision et de production s'en aller ailleurs. C'est se reposer sur l'Etat français pour assurer sa sécurité ou l'éducation de ses enfants. C'est faire confiance aux médias «nationaux» pour s'informer. Pour les acteurs privés, c'est le choix de l'intérêt personnel au lieu du bien commun breton.

Pour les acteurs publics, c'est l'achat de granit portugais ou chinois pour paver nos villes, pour prendre les exemples récents de Brest, Tréguier ou Saint Brieuc Voir le site C'est, pour les uns ou les autres, la non-prise en compte des intérêts bretons et d'abord celui qui est le plus préoccupant, l'emploi. Bien sûr, la culture centralisatrice française, qui nous déresponsabilise, est un obstacle. Mais voulons-nous, vraiment, passionnément, prendre toutes nos responsabilités, politiques, sociales, économiques ? Nous mettre au centre de la cible ?

Ainsi, dans le domaine économique, l'irresponsabilité s'appuie sur de bonnes raisons. L'entreprise privée ou la collectivité locale met en avant des contraintes budgétaires. Le décideur, qualificatif usurpé dans un tel cas, se comporte en esclave de la machine qu'il croit conduire. Le consommateur n'est pas plus brillant. Il regrette de ne pouvoir acheter local ou breton, car «les temps sont durs» , «il faut économiser» , «Produit en Bretagne, c'est pas clair» , etc.

«Si tu refuses ton propre combat, on fera de toi le combattant d'une cause qui n'est pas la tienne» disait Jean Rostand. Quand on achète un produit, on achète le monde qui va avec. Que chacun assume ses choix, sans se cacher derriére de prétendues contraintes ! Ce que l'on appelle l'innovation, qu'elle soit technologique ou sociétale, est l'art et la capacité à surmonter ce que l'on croyait être une contrainte. Innovons !

Le jacobinisme français est le cache-misère de l'irresponsabilité bretonne. C'est une manière commode d'expliquer l'échec, de renoncer aux solidarités et de camoufler les égoismes bretons sous le mythe d'un complot défraîchi.

Jean Pierre LE MAT

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