Le deuil des fausses certitudes : Attali et Sarkozy, deux noms pour un État identique
La France reste tétanisée par ses peurs et figée par ses corporatismes. La réforme est toujours possible, souvent souhaitée, parfois appelée, sous réserve qu'elle ne s'adresse qu'à l'autre, l'auteur du souhait devant naturellement rester indemne de toute transformation.
Dans ce pays, nul n'est responsable, la responsabilité étant toujours diluée dans cet être collectif d'État-nation.
Le rapport Attali ne se présente pas « comme un rapport ni comme une étude, mais comme un mode d'emploi pour des réformes urgentes et fondatrices. »
Il s'agirait d'insuffler un esprit nouveau qui privilégie la responsabilité et les mérites individuels en sortant définitivement de la léthargie collectiviste : inspirer une culture de l'entreprise et du risque en opposition au refuge derrière un statut de faveurs.
La suppression du numerus clausus et des rentes de situation va dans le bon sens. La réforme de l'État en agences autonomes, comme l'ont fait la Suède et le Royaume-Uni, est aussi une proposition de raison. C'est une remise en question implicite du statut de la fonction publique, des corps de fonctionnaires et de la rigidité managériale coûteuse et inefficace. La diminution de la dépense publique n'obéit à aucune idéologie. La maîtrise des dépenses est une exigence de bonne gouvernance.
Son poids rapporté au PIB est le plus élevé de la zone euro. Les recettes étant inférieures aux dépenses, la dette continue d'augmenter. Chacun convient que ça ne peut plus durer.
On doit malgré tout s'interroger sur la nécessité de formuler 316 propositions, dont certaines sont contradictoires, dans un mémoire qui prend la forme d'un catalogue fourre-tout.
Ni Attali, ni Sarkozy ne sont des lecteurs assidus de Tocqueville ou des Federalist Papers.
Faire l'impasse sur la très forte décentralisation de la Suède, ce qui en fait un pays quasi-fédéraliste, est un procédé suspect.
Évoquer les agences publiques suédoises sans préciser qu'elles passent par la disparition des corps de fonctionnaires revient à vouloir inutilement ménager la chèvre et le chou. Les agents ont un contrat de travail de droit privé, à l'instar des Job Centres anglais (équivalent ANPE) où le personnel de droit privé est rémunéré sur la réalisation des objectifs atteints.
En Suède, il y a 9 grands ministères, une administration très réduite et 270 agences politiquement indépendantes et budgétairement autonomes qui emploient la grande majorité des employés de l'administration nationale et qui assurent la mise en œuvre des politiques publiques sous un contrôle par évaluation et audit annuel. Les agents ont strictement le même statut que les employés du secteur privé. Il n'y a ni ancienneté ni grilles de salaires.
Quand un socialiste s'adresse à un bonapartiste, on ne peut s'étonner de l'absence de la démocratie locale, de l'auto-organisation des citoyens et de la problématique fédérale. Nulle mention de la division de la souveraineté au niveau national (checks and balance) nulle évocation de la souveraineté partagée (Régions/État).
Le seul point institutionnel qui a fait l'objet d'une proposition est celui de l'évaporation du département ou de sa dilution dans la région.
Les fédéralistes ont toujours souligné cette double dépense départementale inutile : celle des conseils généraux comme celle des préfectures.
Au-delà de la recherche d'une bonne gestion qui fait consensus, sauf chez les élus et personnels concernés qui tirent profit de la survivance de ce niveau administratif totalement obsolète, il faut aussi y voir la fin de la mainmise étatique, de l'ordre autoritaire et du contrôle permanent, peu compatibles avec l'esprit d'une démocratie.
Le préfet n'est pas autre chose que l'avatar de l'intendant du roi qui dirigeait une « généralité » . Agents zélés de l'absolutisme royal, les intendants ont réalisé l'unification administrative de la France au prix des libertés des provinces et des communes. Le préfet maintient cet aspect despotique de l'intendant : autorisation ou refus des manifestations, répression violente de celles-ci, contrôle et surveillance de la société civile avec les renseignements généraux…….
Rappelons la formule de Chaptal, rapporteur de la loi fondatrice des préfets en date du 17 févier 1800 : « ils transmettront la loi et les ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique » .
Il n'est guère surprenant que Sarkozy n'accepte pas la suppression du département. Il s'appuie sur un État maître de tout.
Le déclin incontestable de la France, (passée de la huitième place en PIB par habitant en 1980 à la dix-neuvième en 2006) est à l'origine de son élection.
La peur d'un déclin plus radical a fait naître un soubresaut et un désir de redressement. Le diagnostic sur l'état de la société n'est plus étouffé sous un silence pesant. Mais on voit mal comment la confusion de la cause et des effets pourrait répondre aux défis qu'il nous faut relever.
La France n'a pas besoin d'un néo-bonapartisme, elle a besoin de libertés. C'est précisément ce bonapartisme et cette omnipotence de l'État jacobin qui sont la véritable cause du déclin. La diminution de la dépense publique est nécessaire mais insuffisante quand elle ne s'accompagne pas d'une redistribution du pouvoir et qu'elle prive les régions de l'initiative politique.
La France n'a pas besoin d'un pouvoir fort, d'un pouvoir centraliste à l'excès, mais d'initiatives décentralisées et de contrôle des pouvoirs.
Elle a besoin d'un fédéralisme qui laisse l'individu prendre ses décisions, jouir de ses libertés et assumer ses responsabilités.
La défense du département, tentée par Claudy Lebreton, président du Conseil général des Côtes d'Armor et président de l'Assemblée des départements de France, est surprenante et audacieuse. Sortir du tribunal correctionnel en ayant été accusé de fautes lourdes suite à un rapport accablant de la Chambre régionale de la Cour des Comptes, et avoir l'aplomb de souligner publiquement la bonne gestion départementale relève de la provocation.
Le 24 janvier 2008
J-Y QUIGUER
Président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne