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- Chronique -
La partition de la Bretagne, un acte prémédité du régime de Vichy
Il est beaucoup de rumeurs qui courent, ces temps-ci, concernant un éventuel retour du département de Loire-Atlantique dans la région administrative Bretagne. Après plus des décennies d'agitation, de manifestations, de pétitions, de courriers des lecteurs, de débats par médias interposés, d'interpellations de militants, d'élections… il semble aujourd'hui possible de voir réunis les différents territoires historiques de la Bretagne dans un même cadre administratif
Par Erwan Chartier pour Le blog de Erwan Chartier-Le Floc'h le 9/03/09 5:32

Il est beaucoup de rumeurs qui courent, ces temps-ci, concernant un éventuel retour du département de Loire-Atlantique dans la région administrative Bretagne. Après des décennies d'agitation, de manifestations, de pétitions, de courriers des lecteurs, de débats par médias interposés, d'interpellations de militants, d'élections… il semble aujourd'hui possible de voir réunis les différents territoires historiques de la Bretagne dans un même cadre administratif. Tant mieux, même si rien n'est encore fait. Cette actualité me ramène à un texte étonnant et prémonitoire, écrit par Morvan Lebesque en 1940, quelque temps avant la partition.

Lebesque à L'Heure bretonne

Né en 1911 à Nantes, ancien militant du Parti autonomiste breton (PAB) entre 1929 et 1931, Morvan Lebesque est ensuite parti tenter sa chance à Paris, vivant d'expédients, fréquentant assidûment les théâtres de la capitale française et “pigeant” pour diverses publications. Mobilisé en 1939, il est le témoin de la débâcle de l'armée française, puis, rendu à la vie civile, il revient à Paris où, selon ses dires, il aurait croisé le leader nationaliste breton, Olivier Mordrel, revenu dans les bagages de l'armée allemande. Ce dernier lui propose alors la rédaction-en-chef de L'Heure bretonne, un hebdomadaire que les nationalistes bretons vont lancer avec des financements allemands. "J'imaginais", déclarera Lebesque plus tard, "un grand journal breton, indépendant des Allemands et de Vichy. En septembre 1940, ces illusions étaient encore possibles." Organe du Parti nationaliste breton soumis à la censure allemande, L'Heure bretonne possède la particularité d'être l'un des rares titres de l'époque à pouvoir critiquer le régime du maréchal Pétain. Lebesque n'y restera que quelques semaines, repartant ensuite pour Paris. Il y signe cependant quelques articles sous un pseudonyme : Lescop. Escop signifie « évêque » en breton ; par association d'idées, Lescop peut donc se rapporter à Levêque et, par déformation, à Lebesque. Ses tâches ont consisté à lancer le journal et à en assurer le secrétariat de rédaction. Lebesque a néanmoins écrit quelques articles pour L'Heure bretonne : un papier anti-britannique au moment de Mers-el-Kébir, un autre, imprégné d'antiparlementarisme primaire, est consacré au malouin Guy La Chambre.

Vichy-État

Le premier article de Lescop/Lebesque dans L'Heure bretonne est intitulé "Vichy-État" et il est daté du 8 septembre 1940. L'auteur affirme s'être rendu en reportage dans la nouvelle capitale de l'État français, où il est vrai, Lebesque possède quelques entrées dont Alain Laubreaux, critique de théâtre et journaliste à Je suis partout, qui embauchera d'ailleurs Lebesque quelque temps comme secrétaire. "Vichy- État" est une violente critique du régime de Pétain qui prend ses quartiers dans la station thermale de l'Allier : "La république de Vichy, c'est avant tout la république des camarades qui continue, plus impatients, plus avides que jamais", écrit Lebesque. L'auteur souligne également les liens entre l'administration de la Troisième république et la nouvelle, les hauts fonctionnaires étant les mêmes selon lui. Il en met d'ailleurs un en scène dans son article, sans citer son nom, ce qui lui permet d'évoquer les projets de réorganisation territoriale annoncés par Vichy. "Bretons", écrit Lescop, "vous êtes prévenus. Je vous apporte la vérité, la pensée exacte, secrète du gouvernement français sur ces conseils de Province dont vous avez cru qu'ils présageraient une compréhension nouvelle de vos aspirations."

En effet, le haut fonctionnaire vichyste lui explique : "La grande idée des gouverneurs de province ! Voilà qui va leur couper les reins, net ! Vous comprenez, autonomisme, régionalisme, fédéralisme, on s'en fout… La France doit rester une-et-indivisible et centralisée et rien d'autre. L'affaire des gouverneurs de Province, c'est fabriqué uniquement pour tenir les provinces en main." Lescop/Lebesque n'exagère guère. Si, dans un discours prononcé le 11 juillet 1940, Pétain a bien promis de "revivifier les provinces françaises", dans les faits, Vichy reste un régime très centraliste et jacobin. Le ministre de la Justice, Joseph Barthélémy peut ainsi déclarer, en 1941, que "la France va connaître une centralisation comme jamais il n'en est apparu à aucune époque de notre histoire."

Quant aux gouverneurs de province, il s'agit en fait de régler un problème pratique pour l'administration française. En effet, le département instauré sous la Révolution française se révèle alors trop petit en matière de maintien de l'ordre. Créé en 1789 à partir du trajet parcouru par un cheval en une journée depuis la préfecture, soit une quarantaine de kilomètres, histoire que la troupe n'arrive pas trop tard en cas de troubles, le département se révélait trop étroit à une époque où les véhicules motorisés effectuaient plusieurs centaines de kilomètres quotidiennement… D'où la nécessité pour l'administration française, non pas de créer des régions cohérentes sur le plan humain, culturel ou économique, mais efficaces au niveau policier ! Peu de temps après l'armistice et l'entrevue de Rethondes, après laquelle Pétain a cru bon de déclarer "J'ai sauvegardé l'unité française" – sans néanmoins l'Alsace, une partie de la Lorraine, la Flandres, le pays de Nice, la Savoie, la Corse…–, le régime a annoncé qu'il allait procéder à un redécoupage administratif, avec des régions regroupant plusieurs départements. Or, dans la bouche du haut fonctionnaire vichyste que Lebesque a interrogé, on apprend déjà qu'il est déjà question de diviser la Bretagne : "D'autant plus", poursuit mon interlocuteur, "que la province, c'est large, c'est vague ! Est-ce que vous croyez, par hasard, qu'on va faire de la Bretagne une province ? Mais vous plaisantez ! Sous prétexte de décentralisation, nous la morcellerons ! Nous l'arrangerons comme il faut ! Nous ferons une province avec deux départements et demi, une autre avec trois ou quatre, en y mettant un peu de Maine, de Vendée et de Normandie. Nous noierons le poisson."

Quelques mois après cet article de L'Heure bretonne, par décret du 30 juin 1941, l'État français créait en effet deux préfectures régionales : celle de Rennes qui comprend les départements des Côtes-du-Nord, du Finistère, de l'Ille-et-Vilaine et du Morbihan et celle d'Angers qui, outre le Maine et l'Anjou, englobait le département de la Loire-Inférieure (aujourd'hui la Loire-Atlantique), séparant ainsi le pays nantais du reste de la Bretagne, un découpage administratif repris par les régimes suivants. On y trouvait également le département d'Indre-et-Loire, mais pas la Vendée. On ne saura sans doute jamais quel haut fonctionnaire Lebesque a rencontré là-bas. Peut-être, et c'est l'avis de l'auteur, s'agit-il en fait de plusieurs personnes dont Lebesque a recueilli le témoignage et dont il fait ici la synthèse, révélant ainsi quelle idéologie ultra-centralisatrice – ce qui est l'une des caractéristiques des régimes fascistes –, jacobine et nationaliste a animé la haute fonction publique française dans les années 1930 et 1940. Car nombre de ses membres étaient déjà en place avant la guerre, partageant une même aversion pour les "autonomistes", les "bolcheviques" ou les partisans de la décolonisation et du progrès social. Nombre d'entre eux continueront d'ailleurs leur carrière après la fin des hostilités.

Plusieurs historiens contemporains ont ainsi souligné la permanence idéologique entre certains cercles nationalistes d'avant-guerre, notamment sous le cabinet Daladier, et plusieurs théoriciens de la Cinquième république instaurée en 1958. Certes, la partition de la Loire-Atlantique a aussi été demandée par une partie de l'establishment nantais mais si elle a été acceptée, c'est parce qu'elle servait les intérêts d'une haute administration française, soucieuse de “casser” le problème breton.

Il faut être clair, l'actuelle région Pays-de-la-Loire est en grande partie l'héritière des Pays-de-Loire de Pétain et de l'idéologie ultranationaliste française des débuts du XXe siècle. C'est toujours en partie cette idéologie – qui bien sûr a évolué – qui bloque toute réforme territoriale. À la question « Que reste-t-il de Vichy aujourd'hui ? » le grand historien américain Robert Paxton répondait récemment : “La fête des mères, les préfets de région”. Ajoutons aussi les Pays-de-Loire…

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