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- Communiqué de presse -
La nation de tous les dangers
La nation ne se laisse pas définir facilement. Le Conseil de l'Europe, après avoir réuni des experts de 35 pays membres, a concluit à l'impossibilité de donner une définition commune
Jean Yves Quiguer pour Mouvement fédéraliste de Bretagne le 19/10/08 11:59

La nation ne se laisse pas définir facilement. Le Conseil de l'Europe, après avoir réuni des experts de 35 pays membres, a conclu à l'impossibilité de donner une définition commune du concept de nation. (Audition organisée à Berlin le 7 juin 2004). Toute définition de la nation devient donc arbitraire et forme un écueil : pour communiquer il faut s'entendre sur le sens des mots.

Si l'homme naît avec une bouche et deux oreilles, il ne naît pas avec une nation.

Il convient donc de s'interroger sur cette prothèse qu'on veut lui greffer, bien souvent contre sa volonté, et dont les premiers implants commencent dès son plus jeune âge.

Le jeune élève assiste à la béatification de sa nation au passé si glorieux et à l'avenir prometteur et radieux. Il apprend du monde qu'il n'est qu'une périphérie dont sa nation est le centre.

Après tout, ne suffit-il pas d'habiller le malheur réel en idéal de bonheur ?

D'où vient cet appel à l'oubli de soi-même pour se laisser asservir par un tout totalisant - la Nation - auquel il conviendrait de vouer sa vie et de se laisser disparaître au profit d'un je ne sais quoi indéfini et troublant ?

Quel est l'objectif poursuivi par ce concept, comme réalité supérieure aux personnes, et à partir duquel se construirait une identité qu'il faudrait défendre face à l'ennemi intérieur et extérieur ?

L'art politique organise des absences pour mieux les remplir au moment opportun. C'est la technique de l'organisation par le vide, véritable support de l'argument d'autorité. La « nation » aurait vocation a remplir un manque. Le manipulateur politique parle rarement en son nom. Il doit parler au nom d'un autre pour laisser son propre nom en patrimoine. De Gaulle parlait de cette « certaine idée de la France» qu'il s'était faite. Il parlait au nom de la France. Le Christ parlait au nom du père, le pape parle au nom du fils….Le nationaliste parle au nom de la nation. Etrange humilité du message qui en constitue la puissance négative. La nation sublimée oblige le nationaliste. Et c'est parce qu'il obéit qu'il va commander (ou qu'il pense qu'il va commander).

On revendique le droit à la différence, en refusant à raison d'être amalgamé à la nation française - qui n'existe pas - mais, en même temps, en Bretagne, on nie l'hétérogénéité des individus et leurs libertés en voulant les fondre dans un moule homogène en lui attribuant autoritairement un caractère unitaire consistant, voire fusionnel.

Est-il besoin d'un artifice pour affronter, sans s'aveugler, l'éclat du jour ?

Hélas, chaque fois que la Nation bretonne est évoquée, ce n'est que par une référence têtue au mythe national jacobin élaboré par Sieyès.

Il n'est pas exclu qu'elle représente la même volonté clandestine de domination d'un tout sur les parties, mais d'un tout aux mains de quelques uns.

Quand Suzanne Citron revisite l'histoire de France, elle peut poursuivre son travail et revisiter l'histoire de la Bretagne. Il existe une surprenante analogie dans la mystification.

À vouloir détruire le modèle on le recopie et on en reproduit tous ses travers.

La nation française est une création sui generis qui prétend aligner tous les individus sur l'ordre de celui qui la parle.

Le nationalisme exacerbé de quelques uns ne suffit pas pour fonder la nation de tous.

Le concept de nation n'a jamais été autre chose qu'un instrument produit par une imagination fertile au service de la construction de communautés imaginées pour satisfaire des intérêts particuliers. Si la nation faisait uniquement référence au lien social qui se situe dans l'ordre du symbolique et de l'affectif, elle n'offrirait pas de difficultés. Ce qui pose problème est que la nation se définit par rapport à la normativité de l'État-nation et qu'il existe une propension à employer ce mot comme substitut de l'État.

Si l'existence d'une nation ne pouvait souffrir de discussions, si son essentialisme était avéré, on comprend mal pourquoi elle ferait l'objet de débats et ne serait pas considérée comme une vérité révélée.

Le principe d'autodétermination serait battu en brèche puisqu'il s'agirait de soumettre à la discussion ce qui ontologiquement ne peut être débattu.

Quelle réalité pourrait avoir une nation bretonne, en dehors de la magie du verbe, quand une grande majorité des Bretons s'y refuse, quand les citoyens de France qui vivent en Bretagne y répugnent, quand les émigrés ne saisissent pas ce vocabulaire ?

Ce sont les représentations symboliques qui déterminent largement l'acceptation de la nation par les sujets politiques ou, au contraire, le rejet.

Le sentiment d'appartenance à une communauté et les formes de vie commune qui se tissent et se développent n'ont nullement besoin de faire référence au paradigme nationaliste et, quand ils sont une affirmation de la différence dans un monde ouvert, ils ne prennent pas la forme d'un repli réducteur.

On peut dresser un inventaire à la Prévert des critères de la nation : il est inutile.

L'homme n'a jamais vécu seul et il s'est saisi comme être social avant de se saisir comme être individuel. La cité n'est, à l'origine, qu'une réunion de familles rapprochées par des intérêts communs et organisant une défense commune. Le cercle s'est élargi.

L'idée de nation aurait existé depuis longtemps en se confondant avec celle de pays, de patrie et de peuple.

On notera que la polysémie du terme « peuple » ne facilite rien. Le mot peut être voisin de celui de nation ou d'État. Signifie-t-il le peuple ethnique (ethnos), le bas-peuple, la foule (vulgus, plebs, turba) ou le peuple en tant que sujet collectif (demos) ?

« Peuple : nom collectif difficile à définir, parce que l'on s'en forme des idées différentes dans les divers lieux, dans les divers temps et selon la nature des gouvernements » Article de l'Encyclopédie (1765) rédigé par de Jaucourt. Que la souveraineté appartienne à la nation ou qu'elle appartienne au peuple ne change pas grand-chose dans la République française puisqu'elle a décrété l'indivisibilité de la nation sur le fondement de l'unicité du peuple, sans jamais avoir au préalable donné une définition cohérente de la notion de peuple. Dans sa décision 91-290 du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de la Corse, le Conseil Constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de la notion de peuple français et en a affirmé le caractère unitaire.

Dans cette décision, le Conseil reconnaît aussi que « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'Outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ». On en déduit que la libre détermination, si elle peut s'appliquer Outre-mer, ne peut exister en métropole. On en conclut surtout, enfin, qu'il est fait entorse au principe d'unicité du peuple français.

Cependant, la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a introduit un article 72-3 qui dispose : « la République reconnaît au sein du peuple français les populations d'Outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ».

L'entorse était soudainement soignée, le soin apporté démontrant la légèreté du Conseil dans ses décisions. Les peuples d'Outre-mer se sont métamorphosés en populations….

Quand une population fait peuple, quel maître, quel tyran peut la maintenir dans ses rets ?

Il conviendra de s'interroger sur les mécanismes en action qui font d'une population un peuple dont un est très certainement l'affirmation d'une volonté commune.

Il est souvent fait référence à la nation quand il s'agit, en réalité, de la patrie. Ainsi, à titre d'exemple, rappelons le « Quadrilogue invectif » d'Alain Chartier (1422). Dans son ouvrage, l'auteur personnifie la France sous les traits d'une femme dont la tête est chargée d'une couronne qui penche et va tomber. Elle porte un manteau froissé dont les fleurs de lis sont effacées. Elle aperçoit ses trois enfants :
- Le premier, debout et armé : le chevalier
- Le deuxième , prêtant l'oreille : le clergé
- Le troisième, vêtu de haillons : le peuple.
Elle leur rappelle l'amour de la terre qui « les repaît et les nourrit vivants, et les reçoit en sépulture entre les morts ».

Notons que le premier à répondre sera le plus démuni, le plus souffrant : le peuple.

Il est bien question de la défense de la patrie, au sens de la terre commune, face à l'ennemi anglais et cet appel pourra aboutir à l'apparition miraculeuse de Jeanne d'Arc.

La patrie, c'est non seulement la communauté de la terre, qui peut faire ou ne pas faire territoire, mais c'est aussi ce que cette terre porte en elle : terre nourricière, sépulture des morts. C'est la richesse des vivants et c'est la voix des morts. La patria c'est le pays de ses pères, le pays de naissance et du lien. Pensons au Bro gozh ma zadoù…

Encore qu'il faille faire attention. Notre terre est la dernière habitation de bien des individus qui n'appartiennent pas à la Bretagne car ils y ont vécu avant que la Bretagne n'existe. L'autochtonie est aussi un mythe. On gratte un peu dans la terre et on trouve des ossements de personnes qui ont vécu en Bretagne 5 000 ans avant que la Bretagne ne se construise.

La confusion entre la patrie et la nation n'est pas innocente.

M. Brunetière pensait que « l'idée de patrie a un fondement mystique. Le principe de sa force est dans ce qu'on trouve en elle qui résiste à l'analyse ».

Il doit être dans le vrai. Si nous savons que nous ne sommes pas des autochtones, l'inscription de notre passé dans cette terre nous lie à elle. Mais c'est aussi à partir de l'idée que nous nous faisons d'elle que nous pouvons acquérir une certaine conscience. La Bretagne est aussi a-territoriale.

Puisqu'on a la patrie, pourquoi alors aller chercher la nation ?

La conjonction entre l'État et la Nation a quelque chose d'inquiétant. C'est la conception de l'Etat-puissance qui a investi celui de l'État-nation.

Il faut bien garder en mémoire que, dans les démocraties contemporaines, une nation n'existe que « représentée ».

Une nation n'est jamais autre chose qu'une représentation de la population, et non la population elle-même. La représentation ne peut être de même nature que ce qu'elle représente.

Il s'agirait de réduire le corps social breton, ou son corps politique, dans la Nation bretonne.

B. Chantebout a écrit que " C'est toujours l'état qui crée la Nation." ( B. Chantebout : De l'État, une tentative de démythification, éditions Consortium de la Librairie et de l'Édition, 1975).

C'est aussi vrai pour l'Allemagne, contrairement à ce qui est généralement dit.

Comment dès lors comprendre que des Bretons, sans État, s'investissent dans l'idée de nation ?

Souscrire à la naissance d'un État breton, état fédéré dans une France fédérale et dans une Europe fédérale, apparaît plus raisonnable que d'évoquer l'imaginaire de l'Histoire, de sacraliser un passé débordant de mythes fabriqués. L'instrumentalisation de l'histoire n'est jamais heureuse.

Le souverainisme et le nationalisme sont solubles dans le fédéralisme.

1. L'avantage inavouable du concept de nation

La plasticité du terme nation crée des malentendus. Certains historiens pensent qu'un embryon de nation existe dès le Moyen-Âge, quand le plus grand nombre s'accorde sur sa date de naissance : à la Révolution française.

Avant la révolution l'unité de la France était relative. Chaque province avait son propre statut ; certaines avaient des états particuliers. Le particularisme et le loyalisme n'étaient pas fatalement en contradiction.

Il faut distinguer deux questions nationales : celle de l'État (national) et celle de la nation comme groupe social spécifique.

Si la nation, en tant que groupe social spécifique ne nous gêne pas, en revanche la nation sous sa forme moderne d'État-nation nous pose problème.

Sous la monarchie d'Ancien Régime, le Roi était souverain dans l'État.

Dès lors que la personne physique du Roi disparaît, à qui attribuer la souveraineté ? Il suffit, pense-t-on de la transférer à la collectivité nationale.

Si la collectivité nationale est dans le sens rousseauiste, l'ensemble du corps politique, il s'agit du peuple. Pour Rousseau, la souveraineté, indivisible et inaliénable, signifie qu'elle ne peut être déléguée : « À l'instant qu'un peuple se donne des représentants, il n'est plus libre, il n'est plus.»

Dans le « Républicanisme adapté à la France » (décembre 1790), François Robert, qui confond république et démocratie, précise : "Il faut que tous les citoyens concourent personnellement et individuellement à la confection de la loi." C'est alors que surgit Sieyes.

Il est péremptoire. "La Nation de qui seule émanent tous les pouvoirs ne peut les exercer que par délégation. La Constitution française est représentative".

L'idée était simple. Puisque la personne tangible du Roi disparaît, il faut surmonter l'écueil de l'intangibilité de la nation, qui n'est pas dotée de volonté.

On pourrait alors penser que les représentants vont porter la volonté du peuple.

Il n'en est rien. Le député ne représente personne : il veut pour la nation.

Il faut noter que c'est toujours le cas, le mandat impératif étant interdit par la Constitution.

Le député ne représente pas les volontés de sa circonscription, car, comme le précise Sieyes, si c'était le cas, « ce ne serait plus un état représentatif, ce serait un état démocratique ».

L'état représentatif est une mise à distance de la démocratie.

La nation est bien une entité abstraite qui transcende les individus dont l'objectif cardinal est de déposséder le peuple de sa souveraineté naturelle.

Ce n'est jamais autre chose qu'un artifice.

Jacques Guilhaumou (historien et directeur de recherche au CNRS) précise : "Au cours du débat à l'Assemblée Nationale sur le veto royal, les premiers jours de septembre 1789, Rabaud Saint-Étienne s'inquiète de “la pauvreté de notre langue pour exprimer les idées politiques absolument neuves pour la masse de la nation”. Sieyès, présent à ce débat, approuve l'intervention de son collègue, tout en considérant qu'il a été, dès 1788 et tout particulièrement avec « Qu'est-ce que le Tiers-État ? » le principal inventeur de « la nouvelle langue politique », selon sa propre expression (Guilhaumou, 2002a).

Au terme de son parcours intellectuel, il revient sur cette question au cours des années 1810 dans les termes suivants :

« Ceux qui forment une science dans laquelle doivent se ranger et se fondre des foules d'idées qui existent déjà bien ou mal dans la langue usuelle sont bien embarrassés. Ces idées ou plutôt les mots qui les expriment sont sujets à de nombreuses acceptions, pour ainsi dire mobiles. Les nuances nécessaires manquent de signes précis et propres. Les notions elles?mêmes ont été mal faites dans l'origine, ou ont été altérées par le temps. Et cependant il faut parler, observer les faits exacts, les lier entre eux, les analyser, en tirer des notions générales, retrouver ces notions dans des conséquences rigoureuses, enfin raisonner. Tout cela suppose qu'on crée une langue nouvelle avec des matériaux confusément épars, et qui résistent à recevoir un emploi déterminé »

Il fallait créer une langue nouvelle de la science politique pour réaliser les objectifs fixés. Le mot Nation appartient à cette création.

À l'entrée Nation, le Dictionnaire National, de 1790 énonce :

« Dans l'ancien régime c'était un terme de géographie ou de phrasier lorsqu'il travaillait en grand ; car il n'était jamais entré dans la tête d'un écrivain qui était au courant d'aller parler du bien de la nation, de l'intérêt de la nation, du service de la nation, du trésor de la nation, etc, etc. Et certes, avant le 17 juillet 1789, il n'y avait jamais eu de Parisien qui se fût avisé de crier vive la nation en voyant passer les grands carrosses à huit chevaux, qui venaient de temps en temps de Versailles pour aller à Notre-Dame ou au palais. Mais, comme je ne cesserai de le répéter avec M. Le Court de Gebelin, les langues se modifient et prennent le caractère des peuples ; ainsi nation a signifié tout parmi nous, dès l'instant que nous avons été réellement une nation. Ces expressions vagues de bien de l'état, intérêt de l'état, servir l'état, ont été abandonnées à certains gazetiers qui ont encore toutes les peines du monde à se faire à l'idiome national ». Évoquer la nation bretonne revient souvent à faire allégeance, de façon plus ou moins consciente, à cette nouvelle langue jacobine, ce qui n'a rien de surprenant car le formatage scolaire que l'on subi, fortement renforcé à l'université, nous impose des paradigmes singuliers que l'on ne retrouve pas à l'étranger.

" J'ai été frappé de me heurter au fait que les mêmes interlocuteurs qui, en situation de bavardage, faisaient des analyses politiques très compliquées des rapports entre la direction, les ouvriers, les syndicats et leurs sections locales, étaient complètement désarmés, n'avaient pratiquement plus rien à dire que des banalités dès que je leur posais des questions du type de celles que l'on pose dans les enquêtes d'opinion — et aussi dans les dissertations. C'est-à-dire des questions qui demandent qu'on adopte un style qui consiste à parler sur un mode tel que la question du vrai ou du faux ne se pose pas. Le système scolaire enseigne non seulement un langage, mais un rapport au langage qui est solidaire d'un rapport aux choses, un rapport aux êtres, un rapport au monde complètement déréalisé. " Pierre Bourdieu, Intervention au Congrès de l'AFEF, Limoges, 30 octobre 1977.

On peut citer en exemple ce livre que vient d'écrire un Breton, étrangement en mal de France, qui déplore le vide intellectuel dans ce pays depuis la fin des années 60 après la disparition de Jean-Paul Sartre, François Mauriac, Albert Camus, André Malraux, Raymond Aron…

Rien n'est plus erroné, rien n'est plus franco-jacobin comme affirmation. Depuis les années 70 de nombreux éminents intellectuels et penseurs ont émergé, (Foucault, Derrida, Deleuze, Guattari, Kristeva, Lyotard, Cixous…) que les lecteurs du monde entier ont classé sous l'appellation de « French Theory » connue dans tous campus des États-Unis, du Royaume-Uni, du Japon… Ces penseurs sont plus connus dans le monde que leurs prédécesseurs. Il n'y a qu'en France qu'ils aient été volontairement ignorés.

La réalité est qu'en France, ils étaient mis à l'index par l'université et les médias. Ils empêchaient de tourner en rond... Ils pouvaient aussi troubler les plans de carrière.

L'université française, outre qu'elle n'appartient pas au cercle des meilleurs établissements dans le monde, est un moule de fabrication de « La Kultur » officielle, culture d'état fermée au monde qui n'hésite pas à étouffer les intellectuels qui dérangent par leur créativité.

L'État n'impose pas directement cette vue étroite de la culture hexagonale. Les enseignants, du primaire au supérieur, sont des agents de l'État. On peut regretter qu'ils ne soient que ça.

Depuis 1990, les historiens américains prolongent un débat fertile sur l'histoire, récits subjectifs ou science objective, dont on n'a aucun écho en France. Ils s'accordent sur une chose : il n'y a plus désormais de discours de vérité, mais seulement des dispositifs de vérité, transitoires, tactiques et politiques. Ce qui ailleurs est admis et partagé, est, en France rejeté au nom d'une vérité unique et totalitaire.

Ce fut le cas de Tocqueville qui, sans Raymond Aron, serait toujours ignoré par les étudiants de Sciences Po.

Cette nouvelle langue, inaugurée par Sieyes, nous poursuit.

J'insiste sur la personne de l'abbé Sieyes parce que cet homme, qui a été chanoine de Tréguier, est le théoricien séminal de l'État centraliste totalitaire.

Contrairement à ce qu'avance la tradition sociologique qui désigne Auguste Comte comme l'inventeur du néologisme de « sociologie », on en trouve la trace manuscrite chez Sieyes dans un document de 1780. (Archives nationales (A.N.) côte 284 AP 3 d 3).

Il s'attachera à élucider une sociologie propre au développement de la science politique. Nous continuons, aujourd'hui, à en payer le prix.

Sieyes est très cohérent, davantage que ceux qui se prétendent être ses héritiers. À titre d'exemple, il avait précisé que les représentants de la nation devaient avoir une charge temporaire pour éviter que ne se constitue une classe particulière qui n'aurait pas été différente de celles que la révolution venait de mettre à bas… Nous considérons que le nationalisme, quand il s'agit d'imaginer un tout qui s'impose aux parties, quand il flirte avec l'appareil d'état, représente un danger pour les libertés individuelles.

Notre fédéralisme s'ordonne autour de la loi intangible de l'absolu respect dû à la personne humaine. Ce respect commence par la certitude que l'homme est par nature un être indéfiniment perfectible. Tout homme, pour peu qu'il veuille bien s'en donner la peine, possède la capacité de comprendre suffisamment le monde pour se guider lui-même, que ce soit dans sa vie privée ou dans la vie publique. En ce sens, nous nous opposons aux clercs (Klêrikos : ceux qui prétendent être initiés), aux élus de toute nature qui déclarent guider les gens du peuple, les non-initiés…

Nous sommes des laïques refusant d'obéir et de nous soumettre aux clercs sans discuter. Il s'agit bien d'un choix de société : entre les nationalistes qui « savent » qu'il existe une nation, et veulent l'imposer, et ceux qui leur laissent bien volontiers ce prétendu savoir en conservant leur liberté.

Le choix ne se situe pas entre ceux qui nient la diversité et les particularités et ceux qui les sacralisent. On peut comprendre que les craintes que suscite la globalisation fassent naître un mouvement de repli, sans pour autant l'accepter.

2. La variation du concept de nation

En confondant volontairement la nation avec le peuple, certains pensent que le stratagème pourra mieux fonctionner.

On évoque alors un territoire, une histoire, une langue commune, une culture partagée, une religion, un drapeau, un hymne… On force dans le détail pour combler le vide théorique.

Le Dictionnaire de philosophie politique de Raynaud et Rials (PUF – 1996) propose de considérer que le terme de nation « désigne à l'origine un groupe de personnes, unies par le lien du sang, de la langue et de la culture, (du latin natio, natus) qui le plus souvent, mais pas nécessairement, partagent le même sol, et qu'il a subi une radicale transformation au XVIIe siècle, plus précisément lors de la Révolution française ».

Les stratifications sociales et les différences de classes suffisent à démontrer que l'homogénéité est illusoire ou fabriquée. G. Burdeau disait que « la nation relevait plus de l'esprit que de la chair », ce qui l'apparente à une forme d'hallucination. (Georges Burdeau, Manuel de Droit constitutionnel, 1947 LGDJ. G Burdeau fut dès l'origine directeur scientifique de l'Encyclopædia Universalis pour le droit public et la science politique).

Le territoire

Il est fréquent d'entendre que le premier élément de la formation nationale serait le territoire. La notion spatiale renvoie à l'État et non à la nation.

La nation ne peut donc pas se confondre avec cette idée que tous les membres d'une collectivité sociale, fixée sur un territoire déterminé, ont la conscience qu'ils poursuivent un certain idéal.

Les Amérindiens, qui se reconnaissaient comme nations dans un sens élargi, n'avaient pas de territoire. Ils considéraient l'espace comme une nature à respecter dont ils se nourrissaient mais dont ils n'étaient pas propriétaires.

En Europe, le cas des Roms est très intéressant. Les Roms ne demandent pas seulement la garantie de leurs droits dans les pays où ils vivent. Ils demandent leur reconnaissance comme nation non territoriale. Ils insistent sur la différence entre citoyenneté et nationalité.

La citoyenneté n'est pas seulement un lien d'ordre politico- juridique mais elle est aussi le mode du vivre-ensemble des sociétés modernes. Le citoyen n'est pas seulement celui qui a le doit de voter de temps en temps, pour satisfaire un semblant de démocratie. La citoyenneté articule l'appartenance, la participation et la solidarité sociale sur une échelle qui tend à l'universel. Montesquieu en donne une excellente définition : « Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. »

La langue

La langue n'est pas une donnée objective de la définition d'une nation. Il existe des nations plurilingues, la Suisse par exemple, mais aussi les États-Unis où se parlent l'américain et l'espagnol.

L'ethnie

La nation ethnique est introuvable. Même dans les lieux les plus éloignés des grandes concentrations de population, on trouve des descendants de voyageurs qui ont posé leur sac.

(voir le site) Ceux qui seraient tentés de mieux connaître leurs origines pourront aller sur ce site web. Grâce à un test ADN vous saurez si vous êtes d'origine celte, slave, basque ou méditerranéenne.

Un outil pour faire tomber des certitudes…

Les États-Unis, l'Australie, sont des nations multi-ethniques. Le nationalisme ethnique s'est toujours converti en nationalisme civique par la prise de conscience du caractère hybride et métissé des populations. (Le Québec aujourd'hui)

3. La question du consentement

On ne peut évoquer le concept de nation sans considérer ceux de souveraineté et de légitimité. Il ne peut y avoir de politique quand le citoyen est privé de l'usage de sa liberté. C'est au sein de la société, c'est par les citoyens et leurs représentations, contingentes et historiquement déterminées, de la société juste, que se situe la source de la légitimité de la puissance souveraine et que la souveraineté, à son tour, se définit, en démocratie, dans son rapport au sujet politique.

l'État ne s'affirme que par une amputation de la liberté. Être citoyen, c'est dépendre d'un pouvoir, c'est déjà ne plus être totalement libre. Mais si cette contrainte est consentie par la raison, car elle permet de vivre en société, elle ne dit pas que le pouvoir doive en abuser. Nos élus se sont constitués en classe sociale ou caste organisée par des partis qui les maintiennent à leurs postes en agissant comme de simples DRH.

Ici on fait élire sénateur un ancien maire. Là on lui accorde l'investiture pour devenir député. Le cumul des mandats est une pratique courante.

l'État-nation est devenu la propriété de quelques-uns aux dépens du plus grand nombre. Pourquoi en serait-il autrement d'un État-nation breton et la propriété de qui deviendrait-il ? Quelle légitimité recevrait une nation qui n'emporterait pas l'adhésion de tous ? À quelle légalité pourrait-elle prétendre ?

« La question de la légitimité n'existe pas chez les Grecs, elle ne commence à se poser que lorsque le gouvernement cesse d'être direct. » Raymond Polin (Analyse de l'idée de légitimité, Institut international de philosophie politique – 1967).

Qu'est-ce qui est en action pour que les citoyens acceptent un pouvoir ? Max Weber distingue trois types de légitimité :
1) La légitimité du type « Fürher prinzip ». C'est une légitimité charismatique que l'on trouve dans les dictatures mais aussi dans les démocraties quand le peuple devient fasciné par un personnage politique.
2) La légitimité de tradition qui réside dans l'affirmation du principe héréditaire.
3) La légitimité rationnelle fondée sur le droit. Cette légitimité est liée à la souveraineté populaire définie par Rousseau qui garantit la légalité contre les excès du pouvoir (exécutif et législatif). Le positivisme juridique rencontre des limites ; l'existence d'une loi est une chose ; ses mérites et ses torts en sont une autre…

Pour ne pas tomber dans ce rapport au monde totalement déréalisé, caractéristique bien française, il nous faut prendre en compte les faits.

Le principe de nation bretonne ne remporte pas l'adhésion de la majorité des Bretons.

En revanche, le principe d'une autonomie trouve de plus en plus d'échos favorables, à l'instar de ce qui se passe en Corse.

Conclusion

Un État n'est bienfaisant que dans les limites de ses attributions légitimes. Il ne peut remplacer l'activité des individus par le mécanisme d'une administration.

Aucun État unitaire et centralisateur ne peut prétendre à la qualité d'état bienveillant.

Dans un État fédéral, les unités territoriales qui le composent, sont dotées en matière constitutionnelle, législative et juridictionnelle, d'une autonomie telle qu'elle mérite le nom d'État, bien qu'elles n'avaient pas en principe de compétences internationales. Aujourd'hui, certaines assument ces compétences. l'État fédéral est donc un État composé de plusieurs autres États avec lesquels il partage les compétences qu'exerce ailleurs, dans des contrées arriérées, l'Etat unitaire. L'indépendance optimale de la Bretagne ne peut se réaliser que dans le cadre d'une autonomie réelle, liée à une interdépendance librement consentie, dans le cadre d'un fédéralisme qui en devient le garant.

L'heure n'est plus à exhiber la forme des mots ; elle est à se pencher sur le sens.

Que signifie aujourd'hui la dévolution en Écosse, et les velléités d'indépendance quand la Royal Bank of Scotland vient d'être nationalisée, à sa propre demande, par Londres ?

L'ethnocentrisme ne peut échapper à la relativité générale des valeurs.

L'opposition en chacun entre le cosmopolite (l'homme ) et le patriote (le citoyen) est à la fois inévitable et irréductible.

Quand il faut trancher, c'est, in fine, en faveur de l'universel.

Tout simplement parce que nous sommes tous unis par un même destin, de par notre condition d'être humain, et que c'est un destin qui peut être transcendant.

Le 19 octobre 2008
Jean-Yves QUIGUER
, président du Mouvement Fédéraliste de Bretagne

Cet article a fait l'objet de 1620 lectures.
Le Mouvement Fédéraliste de Bretagne plaide et milite pour l'adoption d'une architecture fédérale en Bretagne, en France et en Europe. Membre de l'Union des Mouvements Fédéralistes (UMF), il défend le concept de fédéralisme contractuel dans le cadre des institutions et celui du fédéralisme intégral dans le cadre de la société. LE MFB n'adhère pas à l'idée d'une fédération d'états-nations qui n'est qu'une forme de confédération conduisant aux mêmes échecs que l'actuel état-nation dont nous allons prochainement porter le deuil. C'est ce qui justifie un fédéralisme inspiré de la doctrine contractualiste en opposition avec la doctrine étatiste. Ce qui est bon pour le tout, l'est aussi pour les parties. Il ne saurait exister de fédéralisme européen sans un fédéralisme local, d
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Vos 1 commentaires :
francois Pé Le Mardi 31 août 2010 23:27
Sans adhérer à l'ensemble de vos conclusions, votre article est très intéressant. Maintenant en quoi, un état fédéral serait-il bienveillant? Les USA sont un exemple d'état fédéral et malheureusement, de la même manière il y a captation du pouvoir par une "nomenklatura". Je crois que l'Etat qu'il soit breton, français, centralisé, décentralisé, fédéral, etc. portera toujours en lui une dose de confiscation du pouvoir par certains. C'est même parfois trop vrai au niveau local et heureusement qu'au niveau national on peut assurer la même loi pour tous (sans exclure des aménagements locaux). Pour la corse c'est le manque d'Etat qui entraîne les dérives sous couvert de demande d'autonomie ou d'indépendance (ex: affaire Pieri).
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