Il y a des livres qui racontent une histoire en alignant des dates, et d’autres qui préfèrent faire parler les choses. Ici, Joël Cornette choisit la seconde voie. La Bretagne n’y défile pas comme une procession de règnes et de batailles, mais comme une succession de présences concrètes, de matières et de signes, dont chacun porte une part de mémoire.

Il y a des livres qui racontent une histoire en alignant des dates, et d’autres qui préfèrent faire parler les choses. Ici, Joël Cornette choisit la seconde voie. La Bretagne n’y défile pas comme une procession de règnes et de batailles, mais comme une succession de présences concrètes, de matières et de signes, dont chacun porte une part de mémoire. Un collier de coquillages, un menhir, un sceau, un métier à tisser, une boîte de sardines ou une ancre rouillée : ce sont des fragments, mais des fragments qui aimantent du récit. On passe du monumental au modeste, du sacré à l’outil, du symbole politique au souvenir intime, et c’est précisément dans ce balancement que le livre trouve sa justesse. Ce dispositif n’est pas un artifice : c’est une manière de rappeler qu’une identité ne se prouve pas seulement par des textes et des institutions, mais qu’elle s’éprouve aussi dans des objets transmis, exposés, cachés, travaillés, perdus et retrouvés. Cornette déroule ainsi une Bretagne plurielle, tantôt indépendante, tantôt contrainte, parfois révoltée, souvent inventive, et presque toujours en dialogue avec le monde. Le lecteur progresse comme dans une galerie où chaque vitrine ouvre un couloir vers un autre siècle : l’objet est une poignée, l’histoire s’ouvre. Et l’on comprend, à la dernière page, que ces cinquante jalons ne ferment rien : ils invitent au contraire à continuer, à discuter, à ajouter mentalement son « cinquante-et-unième objet », celui que chacun porte en soi.

Les objets : Le collier de coquillages de Téviec, le tombeau-temple de Barnenez, le menhir de Saint-Uzec, des haches à douille, un statère d’or vénète, un trésor enfoui, l’oratoire de Maudez, la statue de saint Judicaël, le poème d’Ermold le Noir, une statue de Nominoë, le cartulaire de Redon, une épée viking, la broderie de Bayeux, le sceau des ducs de Bretagne, une enluminure du duc François Ier, une caravelle en bas-relief, un métier à tisser de Locronan, la cadière d’or d’Anne de Bretagne, le livre d’heures d’Anne de Bretagne, l’écrin d’or du cœur d’Anne de Bretagne, l’édit du Plessis-Macé, un enclos paroissial, une statue de l’Ankou, un taolenn, un tableau : « La Révolte du papier timbré », des entraves de chevilles d’esclave, un bonnet phrygien, un tableau de chouan, le havresac de Jean Conan, le costume breton, un exemplaire du « Barzaz-Breiz », un bol fêlé, une affiche de chemin de fer, le « symbole », des tresses d’oignons, une boîte de sardines, les forges de Trignac, une planche de Bécassine, un journal : « L’Ouest-Éclair », un monument aux morts, une photo de noces, le drapeau Gwenn ha Du, les créations des Seiz Breur, l’affiche d’une condamnation à mort, le cadran de Saint-Pol-de-Léon, l’ancre de l’Amoco Cadiz, le Minitel, la harpe celtique d’Alan Stivell, un livre : « Le Cheval d’orgueil », le bonnet rouge.
Une histoire de la Bretagne : 50 objets racontent - Édition EYROLLES 224 pagesUne histoire de la Bretagne : 50 objets racontent - Édition EYROLLES 224 pages

Joël Cornette est docteur en histoire, agrégé, historien de l’Ancien Régime. Il a enseigné à l’université Paris I–Sorbonne (puis notamment à Paris 8, dont il est devenu professeur émérite). Il a reçu en 2023 le Collier de l’Hermine, distinction honorifique bretonne attribuée annuellement à quatre personnalités qui ont contribué au prestige de la Bretagne ou milité pour la préservation de sa culture et de sa langue.

Retour à sa Bretagne natale

Après une longue carrière consacrée à la monarchie absolue et en particulier au règne de Louis XIV, le Brestois a publié depuis une dizaine d’années une demi-douzaine de livres qui forment une véritable séquence bretonne, à la fois savante et grand public, où l’on retrouve son goût pour la longue durée et pour les tensions entre société, pouvoir et révoltes. : « Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons » (Seuil, 2015, Prix Triskell Ar Vro 2015) ; « La Bretagne révoltée de 1675 et de 2013. Colère rouge et concordance de temps » (Centre d’histoire de Bretagne/Kreizenn Istor Breizh, 2016) ; « La Bretagne, une aventure mondiale » (Tallandier, 2018) ; « Anne de Bretagne » (Gallimard, Biographies NRF, 2021, Trophée de la Biographie Gonzague Saint-Bris 2021, prix « Provins-Moyen-Âge » 2022) ; « L’Histoire de la Bretagne pour les Nuls » (First, 2022) ; « Une brève histoire de l’identité bretonne. De Himilcon à nos jours » (Tallandier, 2023 ; édition revue et augmentée 2024) ; et enfin, sorti en octobre dernier : « Une histoire de la Bretagne : Cinquante objets racontent ».

Dans son « Histoire de la Bretagne pour les Nuls », et de nouveau dans ce dernier ouvrage, Joël Cornette tient à une précision de vocabulaire qui n’est pas anodine : on parle volontiers d’un « traité », alors que, sur la forme, il s’agit d’actes pris au nom du roi — un « édit d’Union ». Il qualifie le processus d’« union forcée » et montre comment le pouvoir royal a cherché à obtenir l’accord des États de Bretagne, y compris par un patient travail d’influence et de faveurs.