Monsieur Yves-François Le Coadic a accepté que soit publié sur Agence Bretagne Presse son compte-rendu de visite de l'exposition qui se tient à Nantes au château des ducs de Bretagne jusqu'au 6 novembre.
ABP a déjà exposé des points de vue sur cette exposition et s'était fait ainsi l'écho de quelques mécontentements argumentés : ( voir notre article ) du 26 juillet avec de nombreux commentaires puis ( voir notre article ), de Bretagne Réunie, une lettre ouverte au président de Nantes Culture et Patrimoine.
Monsieur Le Coadic est professeur honoraire du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), il a été responsable du programme REMUS d'aide à la recherche en muséologie des sciences et des techniques et directeur de l'École d'été du même nom au ministère de l'Éducation nationale et de la Culture. Il est actuellement secrétaire de la section Sciences, histoire des sciences et des techniques et archéologie industrielle du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS) : http://cths.fr/
Autant dire, ajoute ABP, une fine analyse de connaisseur de la science muséale doublée de celle d'un historien partisan de la réunification de la Bretagne...
Voici son titre et son texte :
La science historique “ligérienne” au Musée d'Histoire de Nantes. À propos de l'exposition “Nantais venus d'ailleurs”
La question posée en neuf langues (1) dès l'entrée de l'exposition organisée par le Musée d'Histoire de la Ville de Nantes sur le thème « Nantais venus d'ailleurs » est d'un grand intérêt. Car, elle porte sur la condition humaine de millions d'êtres humains, heureux de l'être parfois mais souvent malheureux. Appliquée à Nantes, elle témoigne de l'intérêt que portent la ville et son musée à son histoire et à l'histoire de sa région. L'exposition s'ouvre alors par une grande photographie représentant deux enfants, un petit garçon noir portant semble-t-il un gilet breton brodé et une petite fille blanche portant elle une coiffe bigoudène, le fameux pain de sucre, symbole fort dans l'imagerie d'Épinal, ne l'oublions pas, d'une Bretagne et d'une femme bretonne arriérées.
L'étranger, stricto sensu, c'est celui (celle) qui vient d'un autre pays, qui est d'une autre nation. Être étranger en France signifie ne pas avoir la nationalité française. En ce sens, aujourd'hui, le Parisien, l'Alsacien, le Basque, le Corse, le Catalan, l'Angevin, le Tourangeau, le Poitevin, le Picard, l'Auvergnat, le Bourguignon et a fortiori le Breton, qui s'établissent à Nantes, capitale historique de la Bretagne, ne sont pas des étrangers.
L'étranger, c'est aussi celui (celle) qui parle une autre langue, dite de ce fait étrangère, que le français parlé à Nantes. Exception faite du Canadien québécois, du Belge wallon, du Suisse romand, du Maghrébin et de l'Africain, tous francophones qui, malgré leur usage prédominant de la langue française, sont des étrangers puisque venant de pays souverains.
Que faire alors du Breton qui parle breton, du Corse qui parle corse, de l'Alsacien qui parle alsacien, du Basque qui parle basque, du Catalan qui parle catalan ? Ce seront des étrangers aux yeux des concepteurs de cette exposition ! Bel exemple de xénophobie et première « erreur » magistrale de l'exposition.
Les concepteurs affichent ouvertement dès l'abord que le Breton parlant breton est un étranger, en choisissant, de façon erronée ou provocatrice, de mettre en tête des neuf personnages qui sont la trame de l'exposition, un homme de Quimperlé (2), Louis Kervarec. Suivent un Italien, un Russe blanc, une Polonaise, un Algérien kabyle, une Portugaise, une Turque, un Vietnamien et un Libérien.
– Soit, c'est une erreur scientifique car logiquement ils n'auraient pas dû introduire cette personne puisqu'elle est de nationalité française. Ce qui pose la question de la compétence scientifique, historique et sociologique et de l'expérience muséologique de la commissaire de l'exposition comme celle de la caution universitaire retenue par la responsable du projet, la conservatrice du Musée d'Histoire de Nantes.
– Soit, c'est une provocation délibérée. Les concepteurs ne l'ont-ils pas fait pour servir les intérêts de la caste socialiste « ligérienne » actuellement au pouvoir au niveau municipal (Nantes), départemental (Loire-Atlantique) et régional (Pays de la Loire (PDL) ou « Ligérie ») ? Cette caste s'évertue actuellement, on le sait, à séparer Nantes, le pays nantais, la Loire-Atlantique de la Bretagne pour garder sa région administrative artificielle des PDL. Elle s'acharne à détruire son histoire passée bretonne en la débretonnisant (3) et à lui construire de toutes pièces et à coups de millions d'euros une histoire alors qu'elle n'a aucune réalité historique. Ou alors une réalité glauque puisant dans le pétainisme (4).
La deuxième erreur est d'ordre muséologique. La construction du parcours muséologique, au demeurant fort intéressante, reprend pour les huit (8) vrais étrangers, les différentes étapes et facettes de leur vie à Nantes et dans les villes de Loire-Atlantique où ils se sont installés et se sont intégrés. De leur départ à leur arrivée, on est renseigné sur leur travail, leur logement, leur famille, les problèmes scolaires rencontrés, leurs activités sportives, leur alimentation, leurs pratiques religieuses, les liens qu'ils ont conservés avec leur pays d'origine.
Sur le personnage d'origine bretonne, on ne sait rien : rien sur son départ, sur son arrivée, rien sur son travail, son logement, sa famille, ses problèmes scolaires, rien sur ses activités sportives, son alimentation, ses liens avec sa famille. Pourquoi cet oubli ? Il me semble confirmer l'hypothèse provocatrice que j'évoquais plus haut.
Mais de façon surprenante, concernant ce personnage, on n'est renseigné que sur un sujet, ses pratiques religieuses en langue bretonne ! Alors qu'on aurait pu l'être sur ses pratiques sportives et sa participation aux équipes de football, ses pratiques alimentaires et ses restaurants crêperies. Non, on est renseigné sur le pardon de Sainte-Anne, patronne religieuse des Bretons, organisé à Chantenay. Le poster est illustré par des documents en breton comme un texte de sermon et un jeu liturgique. Histoire de jeter à nouveau l'anathème sur la langue bretonne, langue conservée un temps par les curés et peut-être sauvée de ce fait (5).
Si les concepteurs de cette exposition s'étaient contentés des huit « Nantais venus d'ailleurs », vrais étrangers, car venus d'autres pays, d'autres nations, l'ensemble des objets, des illustrations qu'ils ont récolté auraient fait une exposition intéressante et xénophile. Ainsi, les éclairages portés sur l'accueil et le rejet par les populations locales, sur les engagements des étrangers et sur le dialogue des cultures sont intéressants. Mais l'ajout du Français-Breton Kervarec en fait une exposition xénophobe.
On n'arrive pas à comprendre comment le Musée d'Histoire de Nantes en est arrivé à commettre des telles erreurs.
Par incompétence scientifique des personnes en charge du projet? Combien d'expositions ont-elles déjà montées ? Quelles formations muséologique et historique ont-elles reçues ? Quelles recherches muséologique et historique ont-elles effectuées ?
Par docilité politique ? Ces personnes ont-elles reçu de la part du pouvoir politique « ligérien » des injonctions ? Bel exemple alors de la dépendance des muséologues et des historiens au pouvoir des « princes » les conduisant à produire de la fausse science historique et sociologique. Ce n'est pas sans rappeler le précédent lyssenkiste (6) dans les républiques socialistes soviétiques !
Mais il est clair que dans le contexte politique de la réunification de la Bretagne, la bataille idéologique est lancée sur le terrain culturel. Cette exposition en est une illustration.
Yves-François Le Coadic
Notes
(1) en neuf langues : Mais, pas en breton, alors qu'il y a pourtant un Breton présenté comme étranger dans l'exposition.
(2) Quimperlé : Ville de Cornouaille bretonne ou de Finistère français située entre Quimper et Lorient.
(3) Comme l'ont fait les Israéliens dans les territoires occupés en Palestine, en désarabisant.
(4) Encore une drôle de rencontre du socialisme français avec l'histoire !
(5) Faut-il rappeler qu'au Québec, la langue française était aussi la langue des curés et qu'elle a été ainsi sauvée.
(6) lyssenkiste : de Lyssenko, ingénieur agronome soviétique à l'origine d'une théorie génétique pseudo scientifique qu'il parvint à imposer en Union soviétique pendant la période stalinienne.
Note d'ABP : Les jeunes de l'UDB ont réalisé une vidéo de 6 minutes analysant et commentant cette exposition en images : http://www.youtube.com/watch?v=nFeqifM-TZM&feature=colike qu'ils ont intitulée « À Nantes, les Bretons sont des étrangers ! ». Elle se trouve sur Youtube, signalée ici avec l'autorisation et même le souhait qu'elle le soit, de Y.-F. Le Coadic.
Note ABP : Pour compléter sur le sujet voir deux autres communiqués parus :
– ( voir notre article ) du 26 juillet : Château des ducs de Bretagne : Une exposition “révisionniste” ?
– ( voir notre article ) du 3 octobre : Lettre ouverte [de Bretagne Réunie] au président de Nantes Culture et Patrimoine : Les Bretons seraient des étrangers à Nantes ?