Publier | S'accréditer | | S'abonner à une newsletter | Faire un don
Logo ABP
ABP e brezhoneg | ABP in English |
Politique La réunification Economie Agro Mer Environnement Vidéos
photo
...
- Chronique -
L'église catholique et la langue bretonne
Pourquoi l’Église catholique n’a-t-elle pas sauvé la langue bretonne ? Un parallèle avec le gallois et l’Église anglicane et les églises indépendantes galloises
Par Philippe Argouarch et ChatGPT pour ABP le 5/02/25 12:09

L’Église catholique en Bretagne a joué un rôle majeur dans l’histoire linguistique et culturelle de la région. Si elle a été autrefois un refuge pour la langue bretonne, notamment à travers les cantiques, les prêches et les pardons, elle n’a pourtant pas su empêcher son déclin. Ce constat contraste avec l’Église anglicane et autres églises non romaines qui, au Pays de Galles, ont largement contribué à la préservation du gallois. Pourquoi un tel écart ? Plusieurs raisons expliquent cette différence, allant de la centralisation romaine aux pressions exercées par l’État français.

Un enseignement du breton autrefois présent dans les écoles catholiques

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, de nombreux prêtres en Bretagne prêchaient et enseignaient en breton. Dans les écoles catholiques, on apprenait souvent à lire dans cette langue avant d’aborder le français. Mais pour beaucoup, si les prêtres s’adressaient en breton à leurs paroissiens, ce n’était pas par choix militant, mais par simple nécessité, le breton étant la seule langue comprise par la population.

La situation a progressivement évolué au cours du XXe siècle, notamment avec l’intégration des écoles catholiques aux dispositifs de financement public, ce qui a entraîné l’alignement sur les programmes nationaux. Dès lors que les écoles catholiques ont été partiellement financées par l’État, elles ont dû suivre les directives de l’Éducation nationale, notamment en matière de langue d’enseignement. Le français s’est imposé comme la langue exclusive, reléguant le breton au statut de langue vernaculaire privée de reconnaissance institutionnelle.

Le concile Vatican II (1962-1965) a pourtant ouvert la porte aux langues locales dans la liturgie, rompant avec l’usage exclusif du latin. Mais en Bretagne, cette réforme a bénéficié au français plutôt qu’au breton, qui est resté marginalisé dans les offices religieux.

Un affaiblissement des traditions catholiques bretonnes

Par ailleurs, le catholicisme progressiste, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, a progressivement abandonné certaines pratiques qui faisaient partie intégrante de la tradition religieuse bretonne : les pardons, les cantiques en breton et le culte des saints locaux ont perdu de leur importance. À l’inverse, les catholiques traditionnalistes, comme la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, qui auraient pu défendre la messe en breton, prêchent un retour à la messe en latin, considérée comme plus universelle et fidèle aux rites anciens.

Cette double évolution – d’un côté la modernisation liturgique, de l’autre un traditionalisme tourné vers le latin – a contribué à marginaliser encore davantage la langue bretonne dans l’espace religieux.

Les Église anglicane et non-conformistes galloises et la sauvegarde du gallois : un parallèle frappant

L’exemple gallois offre un contraste frappant. Contrairement à l’Église catholique en Bretagne, les églises non-conformistes galloises (méthodistes, baptistes, congrégationalistes) ont joué un rôle majeur dans la préservation et la transmission du gallois. Elles ont prêché exclusivement en gallois et ont développé un vaste réseau d’écoles du dimanche où l’on enseignait la langue. Par ailleurs, l'Église anglicane galloise, bien qu'établie, a aussi contribué à la survie du gallois en traduisant très tôt la Bible ."

Dès le XVIe siècle, en 1588, la Bible fut traduite en gallois par l’évêque anglican William Morgan, ce qui permit non seulement d’ancrer la langue dans la pratique religieuse, mais aussi d’unifier et de standardiser sa grammaire et son orthographe. Un phénomène similaire s’est produit avec Martin Luther en Allemagne : sa traduction de la Bible en allemand en 1534 a même largement contribué à l’unification de la langue allemande et à son implantation durable dans la vie publique et religieuse. En Bretagne, aucune initiative comparable n’a vu le jour à grande échelle. La première version du Nouveau Testament en breton a été publiée en 1827 à Angoulême par un catholique, Jean-François Le Gonideg, mais sans l'aval de l'église. La première traduction de l'ancien testament publiée date de Jean-François Le Gonidec, en 1866, trois siècles après la traduction de la bible en gallois. 

Aujourd’hui encore, le gallois reste une langue vivante dans les églises et bénéficie d’un soutien institutionnel bien plus fort que le breton.

Les pressions de la République sur l’Église

Si l’Église catholique en Bretagne a progressivement abandonné le breton, c’est aussi sous la pression des autorités républicaines françaises. Dès le XIXe siècle, l’État a cherché à éradiquer les langues régionales au profit d’un français unifié, considéré comme la langue du progrès et de la modernité.

Une citation attribuée à Auguste Romieu (mais parfois dans des consignes du directeur d'académie au Sous-Préfet), sous-préfet à Quimperlé en 1831, illustre bien cette volonté d’assimilation linguistique par le biais de l’Église :

«Créons, pour l'amélioration de la race bretonne, quelques-unes de ces primes que nous réservons aux chevaux et faisons que le clergé nous seconde en n'accordant la première communion qu'aux seuls enfants parlant le français.»

Cette déclaration montre comment les autorités françaises ont cherché à instrumentaliser l’Église pour accélérer la disparition du breton. En incitant le clergé à conditionner l’accès aux sacrements à la maîtrise du français, l’État espérait ainsi briser la transmission intergénérationnelle du breton.

Ce type de mesures s’inscrivait dans une politique plus large visant à éradiquer les langues régionales, perçues comme des obstacles à l’unité nationale. L’abbé Grégoire, dans son célèbre rapport de 1794 sur la nécessité d’ «anéantir les patois» pour universaliser l’usage du français, avait déjà posé les bases de cette idéologie linguistique centralisatrice.

Au fil du temps, l’Église catholique s’est retrouvée à jouer un rôle ambigu, oscillant entre la défense des traditions locales et son alignement sur les injonctions étatiques. Elle n’a donc pas été en mesure de protéger efficacement la langue bretonne face aux politiques jacobines.

Conclusion : Une responsabilité partagée et un héritage en péril

Si l’Église catholique avait, à l’origine, permis à la langue bretonne de se maintenir à travers la liturgie et l’éducation, elle n’a pas su résister aux pressions de l’État et à ses propres évolutions internes. Son intégration aux dispositifs scolaires nationaux, son éloignement des traditions populaires et la montée du progressisme religieux ont progressivement marginalisé l’usage du breton.

À l’inverse, l’Église anglicane, indépendante et libre de ses choix linguistiques, a su préserver le gallois en lui donnant une place centrale dans ses pratiques liturgiques. Ce contraste met en lumière l’influence du centralisme français sur l’évolution des langues régionales et souligne le rôle déterminant des institutions dans la sauvegarde des identités culturelles.

Aujourd’hui, le breton ne bénéficie plus du soutien structurant qu’il avait autrefois dans l’Église. Avec la disparition du Père Job an Irien [Lire], l’un des derniers prêtres bretonnants engagés dans la préservation de la langue dans la sphère religieuse, c’est une figure emblématique qui s’éteint. Son engagement était celui d’un homme plutôt isolé, luttant contre une marée qui semble vouloir engloutir à la fois la langue et les traditions religieuses bretonnes. Et ceci dans un contexte général du recul de la pratique religieuse en France et partout dans le monde.

La question est désormais de savoir s'il existe aujourd’hui une relève prête à poursuivre le combat pour la transmission du breton, notamment dans la sphère religieuse. L’avenir du breton repose désormais sur d’autres initiatives, notamment dans l’éducation et la politique linguistique. Mais sans un ancrage dans la vie quotidienne et les traditions populaires, ce combat ne risque-t-il pas de devenir un simple objet patrimonial, à l’image des statues silencieuses de la Vallée des Saints ou des enclos paroissiaux  ?

Voir aussi sur le même sujet :
2  1  
logo Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
[ Voir tous les articles de de Philippe Argouarch et ChatGPT]
-- Vous serez notifié des nouvelles publications.
Vos 9 commentaires
Alan E. VALLÉE Le Mercredi 5 février 2025 16:39
Oui, bien d'accord.
On retient que l'Église n'eut ni l'esprit de résistance ni de sacrifice. Sans doute se souvenait-elle de l'abominable répression dont elle fut victime lors de la Terreur.
On ajoute qu'après 1905, le manque d'argent public se fit vite sentir et que demander aumône, aide et assistance fut plus productif en français qu'en breton.
Ce à quoi il faut ajouter pour expliquer la disparition du breton, le rôle des mères de famille. Toutes obsédées par le meilleur devenir de leurs enfants, elles comprirent très tôt que l'avenir n'était principalement lié qu'au fait de parler français. Quand elles ne le savaient pas, elles l'apprirent et le parlèrent en famille. La langue maternelle de ceux qui avaient réussi quelque chose dans la société où tant devint vite public, fut peu à peu le français.
Les pères n'étant pas dans cette logique, maintinrent leur usage du breton dans les champs et en mer. Ils se retrouvèrent souvent mis à part, désespérés, et même exclus de la vie familiale.
AV
(3) 
JY Le Touze Le Mercredi 5 février 2025 18:07
Je pense qu’il y a erreur . Le gallois doit beaucoup aux églises indépendantes galloises et non à l’église anglicane “anglaise” .
(2) 
De ChatGPT à JY Le TouzeLe Mercredi 5 février 2025 18:17
Jacques-Yves Letouze a en partie raison : l’Église anglicane n’a pas été la seule institution religieuse à jouer un rôle dans la préservation du gallois. En réalité, ce sont surtout les églises non-conformistes galloises (ou "églises indépendantes") qui ont été déterminantes dans la transmission et la sauvegarde de la langue galloise.
(0)
De ChatGPT à JY Le TouzeLe Mercredi 5 février 2025 18:23
Je propose de modifier le 7e paragraphe: Nouvelle version "L’exemple gallois offre un contraste frappant. Contrairement à l’Église catholique en Bretagne, les églises non-conformistes galloises (méthodistes, baptistes, congrégationalistes) ont joué un rôle majeur dans la préservation et la transmission du gallois. Elles ont prêché exclusivement en gallois et ont développé un vaste réseau d’écoles du dimanche où l’on enseignait la langue. Par ailleurs, l'Église anglicane galloise, bien qu'établie, a aussi contribué à la survie du gallois en traduisant très tôt la Bible en 1588." Avec cette correction, l'article reflétera mieux la réalité historique et évitera l’erreur relevée par Jacques-Yves Letouze.
(0)
De Jack Leguen à JY Le TouzeLe Jeudi 6 février 2025 09:16
Je ne serais pas aussi catégorique. William Morgan était un évêque anglican. Traduire la bible en gallois dès 1588 fut un évènement majeur qui unifia la langue galloise au même titre que la traduction de la bible en allemand par Luther.
(3)
ChatGPT Le Mercredi 5 février 2025 19:00
Quelques précisions historiques : L’Église anglicane et le gallois
Contrairement à l'Église catholique en Bretagne, l'Église anglicane galloise a effectivement joué un rôle important dans la préservation de la langue galloise, notamment en publiant la première Bible en gallois en 1588 (traduite par William Morgan). Cet événement a contribué à stabiliser et standardiser la langue écrite, ce qui a permis sa transmission au fil des siècles.
Cependant, malgré cet apport initial, l’Église anglicane restait une institution liée à la Couronne anglaise et n'était pas toujours perçue favorablement par la population galloise, qui voyait en elle une tentative d'anglicisation.
Le rôle majeur des églises non-conformistes galloises
Dès le XVIIIe siècle, le protestantisme évangélique se développe au Pays de Galles à travers des mouvements dissidents de l’anglicanisme, appelés Nonconformists Churches (Églises non-conformistes). Ces églises indépendantes (méthodistes, baptistes, congrégationalistes, presbytériens gallois) deviennent majoritaires en Galles au XIXe siècle.
Elles prêchent exclusivement en gallois et sont plus proches du peuple, ce qui permet à la langue de rester vivante dans la sphère religieuse et éducative.
Au XIXe siècle, ces églises jouent un rôle central dans l’éducation en gallois, créant des écoles du dimanche où les enfants apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle.
Séparation de l’Église et de l’État au Pays de Galles
En 1920, l'Église anglicane du Pays de Galles se détache officiellement de l'Église d’Angleterre et devient l'Église du Pays de Galles (Church in Wales). Mais entre-temps, les Églises non-conformistes avaient déjà pris une position dominante, renforçant encore l’usage du gallois dans la pratique religieuse.
(2) 
Ar Vran Le Vendredi 7 février 2025 12:48
Pour accueillir cette annonce, la langue bretonne et sa culture seraient mises à l’honneur, en particulier pour des projets tels que l’accompagnement de projets bretons et leur médiatisation.
(1) 
Anne Merrien Le Mardi 11 février 2025 10:05
Lorsque la langue française a été mieux connue par la population, on peut imaginer que des prêtres brittophones aient été affectés en pays gallo, tandis que des prêtres gallésants aient été nommés en Bretagne bretonnante, pour empêcher tout bilinguisme.
(0) 
De Yann L à Anne MerrienLe Mercredi 12 février 2025 16:43
A ma connaissance, les prêtres font partie d'un diocèse et n'en sortent qu'avec l'accord de leur évêque. En outre, un ami habitant de Quintin me dit que les évêques du 22 ont plutôt veillé à envoyer des clercs bretonnants dans les paroisses de Basse Bretagne.
(1)
Commenter :
Votre email est optionnel et restera confidentiel. Il ne sera utilisé que si vous voulez une réponse d'un lecteur via email. Par exemple si vous cherchez un co-voiturage pour cet évènement ou autre chose.
ANTI-SPAM : Combien font ( 1 multiplié par 2) ?

ABP

Agir

Nous suivre

2003-2025 © Agence Bretagne Presse, sauf Creative Commons