L’Église catholique en Bretagne a joué un rôle majeur dans l’histoire linguistique et culturelle de la région. Si elle a été autrefois un refuge pour la langue bretonne, notamment à travers les cantiques, les prêches et les pardons, elle n’a pourtant pas su empêcher son déclin. Ce constat contraste avec l’Église anglicane et autres églises non romaines qui, au Pays de Galles, ont largement contribué à la préservation du gallois. Pourquoi un tel écart ? Plusieurs raisons expliquent cette différence, allant de la centralisation romaine aux pressions exercées par l’État français.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, de nombreux prêtres en Bretagne prêchaient et enseignaient en breton. Dans les écoles catholiques, on apprenait souvent à lire dans cette langue avant d’aborder le français. Mais pour beaucoup, si les prêtres s’adressaient en breton à leurs paroissiens, ce n’était pas par choix militant, mais par simple nécessité, le breton étant la seule langue comprise par la population.
La situation a progressivement évolué au cours du XXe siècle, notamment avec l’intégration des écoles catholiques aux dispositifs de financement public, ce qui a entraîné l’alignement sur les programmes nationaux. Dès lors que les écoles catholiques ont été partiellement financées par l’État, elles ont dû suivre les directives de l’Éducation nationale, notamment en matière de langue d’enseignement. Le français s’est imposé comme la langue exclusive, reléguant le breton au statut de langue vernaculaire privée de reconnaissance institutionnelle.
Le concile Vatican II (1962-1965) a pourtant ouvert la porte aux langues locales dans la liturgie, rompant avec l’usage exclusif du latin. Mais en Bretagne, cette réforme a bénéficié au français plutôt qu’au breton, qui est resté marginalisé dans les offices religieux.
Par ailleurs, le catholicisme progressiste, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, a progressivement abandonné certaines pratiques qui faisaient partie intégrante de la tradition religieuse bretonne : les pardons, les cantiques en breton et le culte des saints locaux ont perdu de leur importance. À l’inverse, les catholiques traditionnalistes, comme la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, qui auraient pu défendre la messe en breton, prêchent un retour à la messe en latin, considérée comme plus universelle et fidèle aux rites anciens.
Cette double évolution – d’un côté la modernisation liturgique, de l’autre un traditionalisme tourné vers le latin – a contribué à marginaliser encore davantage la langue bretonne dans l’espace religieux.
L’exemple gallois offre un contraste frappant. Contrairement à l’Église catholique en Bretagne, les églises non-conformistes galloises (méthodistes, baptistes, congrégationalistes) ont joué un rôle majeur dans la préservation et la transmission du gallois. Elles ont prêché exclusivement en gallois et ont développé un vaste réseau d’écoles du dimanche où l’on enseignait la langue. Par ailleurs, l'Église anglicane galloise, bien qu'établie, a aussi contribué à la survie du gallois en traduisant très tôt la Bible ."
Dès le XVIe siècle, en 1588, la Bible fut traduite en gallois par l’évêque anglican William Morgan, ce qui permit non seulement d’ancrer la langue dans la pratique religieuse, mais aussi d’unifier et de standardiser sa grammaire et son orthographe. Un phénomène similaire s’est produit avec Martin Luther en Allemagne : sa traduction de la Bible en allemand en 1534 a même largement contribué à l’unification de la langue allemande et à son implantation durable dans la vie publique et religieuse. En Bretagne, aucune initiative comparable n’a vu le jour à grande échelle. La première version du Nouveau Testament en breton a été publiée en 1827 à Angoulême par un catholique, Jean-François Le Gonideg, mais sans l'aval de l'église. La première traduction de l'ancien testament publiée date de Jean-François Le Gonidec, en 1866, trois siècles après la traduction de la bible en gallois.
Aujourd’hui encore, le gallois reste une langue vivante dans les églises et bénéficie d’un soutien institutionnel bien plus fort que le breton.
Si l’Église catholique en Bretagne a progressivement abandonné le breton, c’est aussi sous la pression des autorités républicaines françaises. Dès le XIXe siècle, l’État a cherché à éradiquer les langues régionales au profit d’un français unifié, considéré comme la langue du progrès et de la modernité.
Une citation attribuée à Auguste Romieu (mais parfois dans des consignes du directeur d'académie au Sous-Préfet), sous-préfet à Quimperlé en 1831, illustre bien cette volonté d’assimilation linguistique par le biais de l’Église :
« Créons, pour l'amélioration de la race bretonne, quelques-unes de ces primes que nous réservons aux chevaux et faisons que le clergé nous seconde en n'accordant la première communion qu'aux seuls enfants parlant le français. »
Cette déclaration montre comment les autorités françaises ont cherché à instrumentaliser l’Église pour accélérer la disparition du breton. En incitant le clergé à conditionner l’accès aux sacrements à la maîtrise du français, l’État espérait ainsi briser la transmission intergénérationnelle du breton.
Ce type de mesures s’inscrivait dans une politique plus large visant à éradiquer les langues régionales, perçues comme des obstacles à l’unité nationale. L’abbé Grégoire, dans son célèbre rapport de 1794 sur la nécessité d’ « anéantir les patois » pour universaliser l’usage du français, avait déjà posé les bases de cette idéologie linguistique centralisatrice.
Au fil du temps, l’Église catholique s’est retrouvée à jouer un rôle ambigu, oscillant entre la défense des traditions locales et son alignement sur les injonctions étatiques. Elle n’a donc pas été en mesure de protéger efficacement la langue bretonne face aux politiques jacobines.
Si l’Église catholique avait, à l’origine, permis à la langue bretonne de se maintenir à travers la liturgie et l’éducation, elle n’a pas su résister aux pressions de l’État et à ses propres évolutions internes. Son intégration aux dispositifs scolaires nationaux, son éloignement des traditions populaires et la montée du progressisme religieux ont progressivement marginalisé l’usage du breton.
À l’inverse, l’Église anglicane, indépendante et libre de ses choix linguistiques, a su préserver le gallois en lui donnant une place centrale dans ses pratiques liturgiques. Ce contraste met en lumière l’influence du centralisme français sur l’évolution des langues régionales et souligne le rôle déterminant des institutions dans la sauvegarde des identités culturelles.
Aujourd’hui, le breton ne bénéficie plus du soutien structurant qu’il avait autrefois dans l’Église. Avec la disparition du Père Job an Irien [Lire], l’un des derniers prêtres bretonnants engagés dans la préservation de la langue dans la sphère religieuse, c’est une figure emblématique qui s’éteint. Son engagement était celui d’un homme plutôt isolé, luttant contre une marée qui semble vouloir engloutir à la fois la langue et les traditions religieuses bretonnes. Et ceci dans un contexte général du recul de la pratique religieuse en France et partout dans le monde.
La question est désormais de savoir s'il existe aujourd’hui une relève prête à poursuivre le combat pour la transmission du breton, notamment dans la sphère religieuse. L’avenir du breton repose désormais sur d’autres initiatives, notamment dans l’éducation et la politique linguistique. Mais sans un ancrage dans la vie quotidienne et les traditions populaires, ce combat ne risque-t-il pas de devenir un simple objet patrimonial, à l’image des statues silencieuses de la Vallée des Saints ou des enclos paroissiaux ?
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