Dans son célèbre manuel d'archéologie (1) daté de 1910, Joseph Déchelette (1862-1914), faisait une synthèse magistrale des connaissances de l'époque en archéologie. Pour toutes les périodes préhistoriques, la Bretagne est amplement citée dans cette somme érudite qui constitua l'un des socles de l'archéologie française du siècle dernier. Un archéologue et collectionneur breton y est largement cité, Paul Du Chatellier (2), un contemporain de Déchelette, peintre de formation qui, à la suite de son père, entreprit des fouilles nombreuses dans tout le Finistère avec une rigueur notable pour l'époque. Malheureusement la collection qu'il constitua dans son manoir et musée de Kernuz fut vendue à l’État et quitta en partie la Bretagne.
Durant la préhistoire, l’Armorique se distingua plusieurs fois dans ce qui devint la Gaule et l'Europe. Le mégalithisme qui, en Europe intéresse surtout les côtes et les îles (Irlande, Sicile, Sardaigne…), comme propagé par des peuples maritimes, y trouva une terre d’élection avec notamment le cairn de Barnenez, l'un des plus ancien d’Europe, érigé vers 5000 ans avant J.-C., bien avant les premières pyramides, les alignements de Carnac et le cairn de Gavrinis, un « joyau de l'art mégalithique » (3). Ensuite, 4000 ans avant J.-C., l'atelier de haches polies en dolérite de Plussulien connut une vaste renommée dans tout l’Ancien Monde. Il en sortit des millions d'outils qui servirent à défricher les forêts au moment où les peuples se tournaient vers le pastoralisme et l'agriculture.
À l'âge du bronze, la taille des pointes de flèches armoricaines en silex atteint un sommet indépassable de perfection et de beauté et pour cette raison, elles côtoieront longtemps les premiers métaux avant que leur technique de fabrication ne se perde. Enfin, nulle part on ne trouva plus de haches de bronze que dans notre péninsule, alliage de cuivre et d'étain puis de plomb, haches peu fonctionnelles qui devaient servir surtout de monnaie et se trouvaient par centaines ou par milliers, dans de nombreux dépôts (Le Tréhou, Maure de Bretagne). Dans le domaine des rites religieux et de l'incinération, «L'Armorique notamment paraît avoir été un de ses plus anciens centres de diffusion dans l'Europe occidentale » (1).
À la fin du néolithique, les hommes commencèrent d’utiliser du métal natif, or ou cuivre, qu'il leur suffisait de ramasser puis de travailler afin d'en obtenir outils et bijoux. En Bretagne, l'or se trouvait en pépites parfois énormes ; celle de Kervignac, trouvée dans le bois de Coetmadou, le bois des richesses, pesait 1,4 kg (1) ! Les douze bracelets découverts au Vieux-Bourg-Quintin pesaient plus de huit kilogrammes, des trésors plus massifs que dans les tombes mycéniennes. Alors « peut-être ne devons-nous donc pas tenir pour de pures fictions poétiques, les traditions antiques sur l'âge d'or de l'humanité primitive, célébré par Hésiode et Ovide » (1).
Nous avons tendance à penser que la mondialisation est un phénomène récent, alors qu'il est de tous les temps. Si les techniques et les modes sont parfois nées conjointement en différents lieux du monde antique, on assiste surtout, au cours des millénaires à une diffusion lente des objets, des arts et des méthodes par le biais du commerce, de l'émigration, de la conquête, de l'imitation ou de la convergence. L’Armorique importait du silex (6) et du cuivre dont elle était dépourvue, elle possédait de l'or, du plomb et de l'étain (Penestin) ce qui lui permit de figurer à un rang estimable durant l'âge de bronze. Plus tard, quand le fer plus que le bronze devait profondément changer la société et assurer la gloire des Celtes, c'est de l'Est que vint le changement et c'est là que se trouvent les magnifiques tombes à char des princes et les foyers de cette nouvelle civilisation du Hallstatt et de la Tène, autour du Rhin et du Danube. Si les Celtes n'envahirent peut-être pas l’Armorique, bien peuplée déjà, la remarquable aptitude de cette culture à pratiquer la métallurgie, le charronnage, les arts décoratifs et symboliques, la fit sortir de ses foyers initiaux et conquérir l’Europe.
Témoins de cette mondialisation avant l'heure, les torques (colliers) d'or de Cesson (35) ressemblent étrangement à ceux d'Hissarlik (la célèbre ville de Troie), et l'on trouve des poignards triangulaires en cuivre dans toute l’Europe, avec en Armorique comme à Mycène, des manches ornés de minuscules clous d'or. Les vases biconiques à quatre anses, spécialité du Finistère, se voient en Sicile, en Bohème et à Mayence ; les épées à languettes de Rosnoen (29), en Italie, Suisse ou Hongrie.
Quant à l'art, il n'a pas toujours progressé. Il a fallu un Dürer (1471-1528) ou un Robert Hainard (1906-1999) pour égaler les peintures paléolithiques des lionnes en chasse de la grotte Chauvet. Ce sens remarquable de l'observation s'est conservé chez les Inuit. Plus tard l'art celte a produit avec les Oenochoé (bouteilles) de Durnberg et de Basse-Yutz (photos), ou le casque d'Amfreville, des objets d'une beauté inégalée. Mais cet art celte n'est pas consubstantiel aux peuples qui l'on pratiqué, comme naïvement on aimerait le croire, car il a été inventé. Les décorations de l'âge de bronze furent géométriques, triangles, zig zags, dents de loups, damiers, qui se remarquent sur les poteries et les bracelets armoricains, et ce n'est que progressivement que les rayons de soleil des rouelles se mirent à fléchir pour former des esses et que l'art devint symbolique, végétal, fantastique et montra l'esprit conceptuel et les capacités d'abstraction de leurs auteurs, qui devaient s'épanouir ensuite dans la technologie.
Mais les symboles voyagent aussi. Tous les peuples admirent le soleil et la lune parmi les astres et leur vouent un culte qui ne s’apaise pas. Dans le Véda indien, le cygne est l'emblème du soleil. Les Hyperboréens puis les Vénètes italiques prisèrent ce symbole associé à Belen/Apollon qui suivit peut-être la voie de l'ambre et atteint la Gaule et l’Armorique, cygne de Gréoux, tasse de Paimpont, amulettes en bateaux-cygne. Comme le dieu égyptien Apis (5), dont les cornes enserrent l'astre solaire, ces oiseaux encadrent le disque solaire porté sur un barque ou un char votif.
Sur le bouclier d’Héracles/Achille, en vérité, ce ne sont pas des serpents mais des têtes de cygnes que l'on voit, car sur l'égide (bouclier des dieux), comme l'écrit Hésiode «l'Océan semblait rouler ses flots autour du bouclier aux ornements variés. Des cygnes volant dans l'air poussaient de hautes clameurs, et beaucoup d'autres nageaient sur la surface de l'eau » (1).
Notes
1. Manuel d'archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine. Age du bronze, Joseph Déchelette. Site internet : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6125171z/f174.item.r=armorique.zoom
2. Paul Du Chatellier : http://www.bretagne.com/fr/culture_bretonne/histoire_de_bretagne/troisieme_republique/paul_du_chatellier
3. Le beau livre de la préhistoire, Azema/Brasier, Dunod
4. Protohistoire de la Bretagne, Giot, Briard, Pape, Ouest France
5. Apis dont le hiéroglyphe représente un oiseau d'eau ! Apis/aves ?
6. Le silex voisine plutôt les craies, calcaires et argiles, néanmoins un lecteur me signale ceci : Il y a un gisement de silex dans la baie d'Audierne. Des galets de silex se retrouvent en profusion parmi la muraille de galets qui cerne la baie. Ce silex a assuré la prospérité de la baie au néolithique.