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Jérôme Kerviel plus fort que Napoléon --- La Terre est plate
Parmi les livres dont on ne saurait trop recommander la lecture aux responsables bretons, il en est un dont la presse en Bretagne n'a guère parlé, mais dont il s'est vendu déjà plus de trois millions d'exemplaires aux États-Unis et qui a déjà été traduit dans un bon nombre
Par Bernard Le Nail pour ABP le 31/01/08 11:14

Parmi les livres dont on ne saurait trop recommander la lecture aux responsables bretons, il en est un dont la presse en Bretagne n'a guère parlé, mais dont il s'est vendu déjà plus de trois millions d'exemplaires aux États-Unis et qui a déjà été traduit dans un bon nombre de langues : "The World is flat", en français "La Terre est plate" sous-titré "Une brève histoire du XXIe siècle".

Dans cet essai de 284 pages, qui contient des passages un peu ardus, mais dont la plus grande partie se lit comme un roman et dont on ne sort pas indemne, tant il bouscule nos habitudes, nos certitudes et nos façons de penser l'économie et la société, l'auteur, Thomas L. Friedman, 55 ans, grand éditorialiste au NewYork Times et lauréat du prix Pulitzer à trois reprises, montre à quel point le monde a changé en quelques années et va continuer à changer dans les années qui viennent, à une vitesse qui a de quoi nous donner le vertige.

Sous le double effet de la globalisation et de la révolution numérique, les frontières commerciales et politiques sont en train de disparaître. Beaucoup de gens autour de nous semblent complètement perdus et vivent cette évolution comme un cataclysme qui risque de tout emporter. La montée en puissance de la Chine et de l'Inde, deux États où vit plus du tiers des habitants de notre planète, fait peur et il est clair que l'ère de plusieurs siècles durant laquelle l'Occident - l'Europe seule, puis l'Europe avec les États-Unis - a dominé le monde entier, est en train de s'achever sous nos yeux. Mais, il serait aussi illusoire de vouloir nous protèger en nous barricadant derrière des barrières douanières et des politiques protectionnistes, que d'enfouir notre tête dans le sable comme sont supposées le faire les autruches en présence d'un danger. La peur est mauvaise conseillère. Les souverainistes de droite et de gauche font fausse route, les adversaires de la construction européenne se trompent complètement de combat...

Dans le monde de demain, la compétition sera sans doute beaucoup plus forte qu'aujourd'hui et qu'hier entre les individus, les entreprises et les territoires, mais dans la grande redistribution des cartes qui a commencé, la Bretagne et les Bretons disposent de sérieux atouts à condition d'être lucides, bien informés et confiants en eux-mêmes. Rien n'est joué d'avance et nous n'avons pas le droit de baisser les bras et de perdre espoir et courage.

Le livre de Thomas L. Friedman n'est pas un livre "alarmiste" et encore moins "décliniste", mais c'est un livre tonique qui doit nous amener individuellement et collectivement à comprendre l'ampleur du changement en cours. Il renferme de très nombreuses anecdotes dont beaucoup peuvent nous inciter à garder confiance et à redoubler d'enthousiasme et d'énergie. Même s'il n'en parle pas explicitement, ce livre montre de manière éclatante, en creux, si l'on peut dire, combien le système jacobin français, centralisé, dirigiste, hiérarchique et autoritaire, est archaïque et périmé. La crispation de la nomenklatura française pour conserver ses privilèges exorbitants, camoufler des inégalités sociales croissantes, préserver et acroître même la mainmise de Paris sur les régions, en refusant de leur donner plus de pouvoirs, de moyens et de liberté d'action, cette crispation conduit à une impasse absolue. La suffisance, l'intolérance et le mépris qui caractérisent largement le comportement de nombreux dirigeants de l'appareil d'État français (par exemple à l'égard de la langue bretonne) ne facilitent pas une prise de conscience de la réalité de la situation. L'ultralibéralisme que l'on cherche à faire passer pour le summum de la modernité, sans remettre en cause l'organisation même du pays (dont le découpage en départements), ne peut qu'aggraver la crise sociale sans préparer vraiment les citoyens au monde nouveau.

Le "modèle breton", si tant est que l'on puisse parler d'un modèle existant, alors qu'il s'agit plutôt d'un projet commun à bâtir, offre infiniment plus de souplesse et de solidarité. Il privilégie le fonctionnement en réseaux, la responsabilité des acteurs, l'attachement à un territoire et à une identité, en même temps que l'ouverture aux autres peuples de la terre.

Pour illustrer le bouleversement en cours par une anecdote qui aurait pu trouver sa place dans le livre de Thomas L. Friedman, on peut prendre l'exemple de Jérôme Kerviel, dont toute la presse nous parle depuis jeudi dernier. Ce Bigouden discret, né à Pont-l'Abbé le 11 janiver 1977, est devenu en quelques jours le Breton le plus célèbre de la planète. Son nom est paru à la "une" des quotidiens du monde entier et a été prononcé dans toutes les langues de notre planète sur des milliers de radios et de chaînes de télévision...

Il y a une petite expérience que chacun peut d'ailleurs faire avec son ordinateur, c'est de regarder le nombre de pages sur lui auxquelles peut donner accès le moteur de recherche de Google. Lundi, on était à 135 000 pages en français et 460 000 pages toutes langues confondues. Ce jeudi matin, une semaine exactement après que l'affaire de la Société Générale ait éclaté publiquement, on était à 183 000 pages en français et environ 5 000 000 (cinq millions !) au total sur la "toile"...

Il est amusant de faire la comparaison avec des personnages célèbres. Jules Verne, l'auteur breton le plus lu dans le monde - on estime que plus de 500 millions d'habitants de la Terre ont lu des livres de lui - totalise 4 700 000 pages sur la toile, dont 1 640 000 en français, Napoléon, le personnage de l'histoire qui a, paraît-il, suscité le plus de livres dans le monde après Jésus Christ, arrive à 3 580 000 pages sur la toile, dont 560 000 en français, Charles de Gaulle, "géant" de l'histoire de France au XXe siècle, est à 5 900 000 pages, dont 3 040 000 en français, Anne de Bretagne est à 418 000 pages, dont 318 000 en français, ce qui est remarquable pour une femme ayant vécu il y a cinq siècles, mais François-René de Chateaubriand, Breton largement considéré comme un des plus grands écrivains de langue française, n'a droit qu'à 85 800 pages, dont 67 200 en français. Quant aux président du Conseil régional de Bretagne, ils sont loin derrière : Jean-Yves Le Drian, actuel président, a droit à 30 800 pages, dont 27 100 en français, alors que son prédécesseur et premier président (de 1974 à 1976), René Pleven est à 38 200 pages, dont seulement 15 000 en français...

Bien sûr, ces chiffres ne reflètent nullement la valeur des personnes, ni leur célébrité réelle. Il y a fort à parier que le nom de Jérôme Kerviel sera vite oublié, quand beaucoup des autres noms cités seront toujours présents dans la masse toujours croissante d'informations accessibles aux internautes sur des sites du monde entier. On est là dans un domaine d'une extrême volatilité. Il n'empêche que ce simple exemple qui concerne un jeune Breton, illustre bien et, dans ce cas précis, pas nécessairement de manière très glorieuse, l'extraordinaire mutation que nous sommes en train de vivre...

Voir aussi sur le même sujet : Jérôme Kerviel,médias
Cet article a fait l'objet de 2009 lectures.
Bernard Le Nail est un écrivain fondateur de la maison d'édition LES PORTES DU LARGE. Contributeur ABP
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