Extrait audio

Ma dousig — Jean-Charles GUICHEN (Panorama)

Retraçant quarante années de scène, depuis ses débuts avec le groupe « Ar Re Yaouank », jusqu'à aujourd'hui, Jean-Charles Guichen, grand maitre de la guitare celtique revient avec PANORAMA, son septième album solo.

Une fin d’après-midi d’un clément début novembre marqué par la période des grandes marées…
Pour, pleinement, profiter de ce tumultueux et fascinant spectacle marin, un pédestre tour de côte de notre « Finistère croisicais ». Sous de très épars et tièdes embruns, un cheminement d’une dizaine de kilomètres pour admirer les écumeuses charges océanes montant à l’assaut des rocheuses défenses granitiques qui, depuis des siècles, « contre vents et marées », sauvegardent opiniâtrement ce littoral presqu’ilien guérandais et breton (44-Bzh).
Puis de retour à la maison, comme pour prolonger ces instants de bretonnes visions où alternent vigueur et calme, fracas et silences, ombres et lumières, blanc et glaz, un profond et vif désir d’écouter un album que j’avais, il y a quelque jours, reçu et que, repoussant l’attentive audition, je gardais de côté, presque comme un trésor, afin de pouvoir le déguster à un moment opportun et émotionnellement serein et disponible, comme en cette soirée.

Jaquette du CD Jean-Charles GUICHEN  PanoramaJaquette du CD Jean-Charles GUICHEN Panorama © ABP

Il faut admettre que la signature de ce nouvel opus ne pouvait que m’inciter à cette forme de « thésaurisation musicale et culturelle », puisque c’est le nom de l’un des grands maitres de la guitare celtique qui « griffe » en français et breton, la rouge jaquette titrée « Panorama ».

Après mon maritime pèlerinage côtier, faisant face à l’installation stéréophonique du salon, me voici douillettement réfugié dans le creux du canapé… Devant moi, sur la table basse, un large verre à la base ambrée d’un soupçon de whisky breton tourbé, respectant pleinement modération et fine dégustation.

Puis, vêtu d’une longue veste noire, Jean-Charles GUICHEN est entré avec, à la main, son inséparable guitare. Après s’être décoiffé de son iconique Gibus, l’artiste à la barbe d’écume m’a invité par son franc et transperçant regard à écouter son nouveau recueil mélodique et rythmique de guitare solo.

Si le contexte de la balade en bord de mer, puis, au retour, des conditions domestiques optimales d’audition sont factuelles, la venue du brillant instrumentiste breton n’est liée, bien sûr, qu’à l’imaginaire qui se forge, dès l’écoute des premières notes gravées sur le Compact-Disc, tant une intense présence baigne ce remarquable disque.
Vous aussi, vous serez, inévitablement, saisis, par l’authenticité, la sincérité, la proximité, l’intimité qui, au tout premier chef, caractérisent « Panorama ».
Autour d’une guitare autant puissante dans les basses que cristalline dans le haut registre, quelques glissements de doigts sur le manche, césures de jeu, infimes frottements, ajoutent à cette directe sincérité d’expression artistique qui donne à cet enregistrement de qualité studio, le « vécu » du live… mais dans votre salon… et uniquement, pour vous !

Cette finale proximité d’écoute résulte, aussi, de l’intimité conceptuelle originelle de cet album qui a trouvé racine, en Côtes d’Armor, un soir d’hiver, dans un bar de Lannion où Jean-Charles GUICHEN exposait quelques-unes de ses toiles. Entouré de quelques amis, le guitariste a commencé à leur jouer, contrairement à l’intense énergie habituelle qu’il déploie, avec son groupe, sur scène, tout en modérato, en nuances, certains de ses morceaux. Succédant à la surprise, le proche auditoire, comme l’artiste ont apprécié l’intimiste formule.
L’idée de « Panorama » avait trouvé fondement.

« Panorama » est le 7ème album solo de ce guitariste hors pair, compositeur et arrangeur qui, avec cet opus acoustique, désirait retracer quarante années de scène, depuis ses débuts avec le groupe AR RE YAOUANK, jusqu'à aujourd'hui.
L’apprentissage de la guitare depuis l’âge de 6 ans, le menant à un demi-siècle de pratique de l’instrument cordé acoustique, 300 à 400 compositions, une multitude de scènes bretonnes, hexagonales, internationales : Quel riche parcours culturel et musical à ne pouvoir résumer qu’en quelques titres.

De plus, par ce disque, comme une traversée dans le temps, l’artiste souhaitait, également, célébrer sa famille d’aujourd’hui, ses aïeux, ses lieux d’enfance et d’adolescence mémoriels, d’où des titres comme « Ma c’hoarezed » (mes sœurs), « Tri mab » (trois fils), « Ma zud » (mes parents) et des photos personnelles qui i, précisant cette intention d’hommage à ses ancêtres, illustrent le livret joint au Compact-Disc.
On y retrouve, entre autres, immortalisés au nord de Carhaix, de Poullaouenn à Duault, des clichés de ses grands-parents et arrière-grands-parents et de son oncle.

12 ballades composent ce voyage autant introspectif que rétrospectif et.
Dans d’autres colorations, vous retrouverez, sous leur nom originel ou sous une autre appellation, des titres qui, notamment, figuraient sur l’album « Breizh positive » d’AR RE YAOUANK, le premier disque éponyme de Jean-Charles GUICHEN, paru en 1999 ou sur ses opus, « Breizh An Ankou » - 2017 (Voir chronique) , et « Spi » - 2022 (Voir chronique).

En sous-jacence, cette toute nouvelle édition discographique est aussi un hommage au guitariste-compositeur Soïg SIBERIL, disparu le 6 avril 2025. Nos chroniques : « Les sentiers partagés », « Habask », « Dek », « Tamm ha Tamm ».

En effet, Jean-Charles a enregistré « Panorma » quelques temps après le triste et définitif départ de ce pionnier de l'implantation de la guitare en tant qu'instrument complet dans la musique bretonne traditionnelle.
Jouant, tous deux, au fur et à mesure de leurs parcours, sur des guitares MARTIN, puis BOUCHER, c’est en 1985 que Soïg avait initié Jean-Charles à l’accord ouvert DADGAD, très usité dans la musique celtique et dont il était l’éminent spécialiste.
Si l’accordage standard des guitares est Mi-La-Ré-Sol-La-Ré, Jean-Charles utilise, aussi, cet open tuning DADGAD en accordant son instrument, de la corde la plus basse à la plus aigüe, en Ré-La-Ré-Sol-La-Ré.
Ce processus d’’accordage facilite l’usage d’accords basés sur des cordes à vide. Celles-ci, cordes basse ou intermédiaires, participent à l’accord en tant que bourdons, rappelant l’usage qui en est fait pour la musique traditionnelle écossaise et les uilleann pipes ou la musique bretonne avec les cornemuses.
« Panorama » est donc un album DADGAD, ou Jean-Charles, comme le faisait Soïg, pratique le flat picking (avec un médiator plat), et pour certains morceaux, le picking (ou finger-picking), jeu avec les doigts. Il y ajoute des effets de slide, consistant à glisser sur la corde pour aller chercher une note.

Vous pourrez retrouver ces deux artistes amis, sur le 1er CD éponyme de Jean-Charles, sus-cité, où ils interprètent, ensemble, en 11ème piste, le plinn « Les landes de Locarn ».

Une performance est à signaler, mais est-ce une prouesse ?... ou l’inévitable conséquence conjointe et tellement évidente d’une maitrise instrumentale exceptionnelle, d’une sincérité viscérale, d’une générosité à fleur de peau, d’une authenticité absolue dans la vénération que Jean-Charles porte à la Bretagne et aux ancêtres qui l’ont enracinée, toujours est-il que c’est, en une seule journée de mai 2025 et en une seule prise que « Panorama » a été enregistré au Novamax de Quimper, par Yannick BOUCHER.
Le mois suivant, le mastering a été assuré par Sébastien LORHO, au studio Near Deal Experience.
Ces deux sculpteurs de sons, par leur fin travail ont ajouté de la chaleur, de la rondeur, à la proximité.

« Panorama » s’ouvre sur une limpide mélodie titrée « Ma Dousig ». Point n’est besoin d’être un érudit de la langue bretonne, pour en saisir l’affectueux sens.
Jean-Charles GUICHEN a, en effet, choisi de dédier ce premier morceau, à celle qui partage ses notes, nombre de ses scènes et depuis, 2013, sa vie. Le jeu est particulièrement délié, caressant, la guitare est lumineuse… « Claire ».

Après un plus rythmé, dansant, « Keltiek » où l’on croit entendre deux guitares qui se répondent, le titre éponyme « Panorama », sur plus de 6 minutes, nous offre plusieurs mouvements, enchainant exposé, hispanisante invitation à la danse, suspens de fins de phrasés, crissements de slides, rupture de jeu avant l’endiablement rythmique final. Une belle fresque de l’expression artistique multiple de l’artiste.

En piste 4, « Ma c’hoarezhed » (mes sœurs) dédié à Pascale et Dominique, alterne notes syncopées et ballades, avant d’entrer dans la danse bretonne, se finissant en quasi coda de tango.

Elle figurait en 3ème piste de son opus « Breizh An Ankou », menée, alors, par l’enchanteresse flûte et le plaintif et, parfois, quelque peu jazzy uilleann pipe de Sylvain BAROU, le suave violon de Claire MOCQUARD, étayés par la basse et la batterie d’Olivier CAROLE et Mickaël BOURDOIS.
Jean-Charles reprend, ici, cette virevoltante valse. Là encore, par l’amplitude de son jeu, l’étendue de ses registres, le guitariste semble se démultiplier offrant à lui seul, une impression d’orchestration.

Souvenez-vous, une seule journée, un album solo, une seule prise… remarquable, non ?

AR RE YAOUANK… 1995… Enregistré par Patrick MARZIN… « Breizh positive »… 2ème piste… « Stoliadur » ! Basse, bombarde, biniou kozh et à l’accordéon, le frère fondateur du groupe, Frédéric.
En piste 6 de « Panorama », Jean-Charles reprend, plus intimement, cette pièce sous le titre « A galon ». Très tendre ballade, jouée… du fond du cœur.

Les deux titres qui suivent marquent l’évocation familiale.
« Tri mab » (3 fils) où le thème de ballade s’accélère très progressivement, jusqu’au rythme de la danse et « Ma zud » (mes parents), fort belle mélodie dont, curieusement, et ça n’engage que moi, les notes pourront, peut-être, vous apparaître à la confluence des chansons de DALIDA, « Mourir sur scène » et/ou de Bernard LAVILLIERS, « On the road again ».
Le magnifique jeu de Jean-Charles est très limpide, caressant, affectueux.

Après, rappelant son 1er album éponyme de 1999, les deux titres, « Dred » et « Rosewood », vous retrouverez « E Kemper », présent en 12ème piste de l’album « Breizh An Ankou » - 2017 (Voir chronique).
Là, encore, vous apprécierez la plus intense « présence » de cette version. Structuré en quasi trois mouvements : une ligne mélodique particulièrement sinueuse et élégante, suivie de deux crescendos rythmiques, entre le romantisme des berges de l‘Odet, le flux des passants de la rue Kéréon et les crépitements des caisses claires des bagadoù défilant, en fin de matinée dominicale, lors du Festival de Cornouaille, voici un très bel hommage à la ville de naissance du musicien, de surcroit, choisie pour enregistrer « Panorama ».

Il ouvrait le 6ème opus « Spi » (Espoir)… Cette valse éponyme, juste ici, rebaptisée « AR... Spi », clôture (Oh, déjà !) ce très intime, presque confidentiel programme.
Si, autour de Jean-Charles, l’ample interprétation de 2022 était le fruit des interventions de Dan AR BRAZ (guitare électrique), Olivier CARILE (basse), Thomas KERBRAT (batterie), Malo CARVOU (flûte traversière), Claire MOCQUARD (violon), Neven SEBILLE KERMAUDOUR (uilleann-pipe , bombarde et biniou… et… et… le bagad SONERIEN BRO DREGER (formation costarmoricaine de Perros Guirec), cette version 2025, en guitare solo, certes plus « intérieure », par la densité interprétative du véloce guitariste, qui semble, une fois nouvelle, se démultiplier, garde, néanmoins, toute sa magnificence.
Lors de la préparation du morceau, Dan AR BRAZ, l’invité de la première « version bagad », disait alors, à Jean-Charles:
« Pourquoi as-tu besoin de mettre autant de musiciens ?… Tu peux le faire tout seul », tellement le morceau sonnait, déjà, par lui-même. Un gratifiant avis qui, pour « Panorama », a fait son chemin et qui s’avère corroborer notre impression.

Procurez-vous, au plus vite, cet intense et chaleureux Compact-Disc distribué par ARFOLK.
Vous le reconnaitrez très facilement dans les bacs ou sur les pages des sites culturels, par sa rouge jaquette et le très interpellant portrait en noir et blanc de Jean-Charles, au regard teinté d’émeraude, 40 ans obligent, un cliché réalisé en Cornouaille, précisément, à Duault, par Julien CREFF, photographe et guitariste brestois, rencontré, par l’artiste, lors de sa tournée... en Chine !...

Réservez-vous, tout comme nous vous l’avons relaté « en début de papier », des instants suspendus pour mieux découvrir ce profond et mémoriel enregistrement qui mérite une très attentive et disponible audition.
Vous allez découvrir un autre Jean-Charles qui transite des cordes énergiques scéniques débordantes que nous lui connaissons... aux cordes sensibles.

Illustration sonore de la page : Jean-Charles GUICHEN - Album "Panorama" :
"Ma dousig" - Extrait de 01:24.
Le site Internet de Jean-Charles GUICHEN : www.jcguichen.com

D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)

Les titres du CD "Panorama" de Jean-Charles GUICHEN :

01. Ma dousig - 03:02.
02. Keltieg - 03:44.
03. Panorama - 06:23.
04. Ma c’hoarezhed - 02:53.
05. Arvorik Yaouank - 05:32.
06. A galon - 04:39.
07. Tri mab - 03:37.
08. Ma zud - 04:11.
09. Dred - 04!25.
10. Rosewood - 02:33.
11. E Kemper - 05:38.
12. Ar Spi - 05:28.

Durée totale : 52:24

CD "Panorama"- Jean-Charles GUICHEN.
Parution : Octobre.2025.
Distirbué par ARFOLK - www.arfolk.bzh
Ref : AR 1243

© Culture et Celtie.