- Chronique -
Immram, le nouvel album de Gwennyn
Immram, le nouvel album de Gwennyn
Par Gérard Simon pour Culture et Celtie le 7/05/21 9:49
GWENNYN - Album "Immram" - Me Ivez - Extrait de 01:01. CD Immram

Quelques célestes fibres cotonneuses filtrent, subtilement, une lumière caressant l’horizon proche d’un fin trait de clair sable, symétriquement orné de quelques arbres maritimes, paisible îlot posé sur un avant plan pavé de menues roches granitiques où s’accrochent quelques chevelures éparses d’algues marines s’étirant au fil d’une eau parfaitement transparente.

Bien au centre de cette idyllique vision, quasi picturale, à la croisée d’une composition photographique réalisée en noir et blanc, mais de fait, en riches nuances de gris, horizontalement et verticalement cadrée selon de virtuelles médiatrices, une altière et féminine silhouette enrobée de blanc voile à pans, semble campée devant la mer et l’objectif du fort talentueux Eric LEGRET qui, une fois nouvelle, nous ravit de la poésie de ses clichés qui prolonge, depuis si longtemps, les vibrations artistiques des musiciens et chanteurs qu’il photographie sur scène, en studio, ou, comme ici, en milieu naturel.

Jaquette du CD "Immram" de Gwennyn

Le lieu : En pays historique du Trégor, précisément au large du Port-Blanc, station balnéaire costarmoricaine ancrée dans la commune de Penvénan, il s’agit, des contours de l’île aux femmes, située dans un archipel, communément appelé Îles de Buguélès.

La silhouette aux pieds nus : C’est celle, bien familière, de la chanteuse bretonne GWENNYN qui comme le précise, si joliment, le communiqué de presse joint au nouvel enregistrement reçu, « Telle une nymphe sortie des eaux… une FEE 2.0 ouvre la voie à une Féminité-Ecologie-Energie assumée, comme un triskell féminin œuvrant dans une Bretagne rayonnante de beauté, de force et d’authenticité » (Isabelle PIJNAKKER, Attachée de presse).

Le but de ce superbe cliché, évidemment conçu au format quasi carré : Illustrer, plutôt parer, la jaquette du nouvel album de cette belle et rayonnante artiste bretonne.

En première de couverture, voici, en tout cas, un bien gracieux et classieux écrin, au dos duquel un plan rapproché de la chanteuse au visage contourné de lumière, laisse, par ailleurs, très précisément luire, à l’éclairage rasant, le géométrique brodé de sa robe, signé de la marque finistérienne, Breizh mod (Voir site).

Nous sommes, particulièrement, attachés, nous aussi, sans jeu de mots, à mettre en lumière les efforts de présentation que font certains artistes et leurs équipes graphiques, pour vous proposer un objet musical raffiné et documenté, bien plus attrayant que la froide insipidité des fichiers numériques téléchargés.

« Immram » , tel est le nom que GWENNYN a donné à ce 6ème ou 7ème opus, selon que l’on prend en considération, dans sa chronologie discographique, « New Andro - Best of » qui rassemblait, avant tout, un florilège de 16 titres extraits de ses disques antérieurs, avec, certes, en bonus, 2 titres inédits (Notre chronique).

Ce vocable « Imramm » est à envisager au travers de sa pluralité d’acceptions connexes.

Stricto sensu, un Immram est un genre de contes de la mythologie celtique irlandaise qui narre le séjour d'un héros, ou d’un personnage important, dans l'Autre Monde des Celtes, parfois appelés Tír na nÓg, la « Terre des Jeunes » et Mag Mell, la « Plaine du Plaisir » .

Presque par extension, dans une approche plus usuelle, un Immram est un mot gaélique qui signifie « voyage » .

Sur la page d’un site Internet où GWENNYN est « très heureuse de nous annoncer la sortie de son album qui sera dans les bacs à partir du 7 mai 2021 » , la chanteuse nous propose, en quelque sorte, la synthèse de ces deux approches interférentes, en précisant : « Immram veut dire « Odyssée celtique, dans les sens du voyage initiatique, voire d’une quête intérieure. »

En parfaite osmose, 11 plages, ponctuent ce voyage de plus de 45 minutes, toujours bien trop court lorsque l’on écoute GWENNYN.

8 d’entre-elles sont interprétées en breton, mais, pour les non-locuteurs, rassurez-vous, les traductions en français qui figurent dans le livret d’une vingtaine de pages, illustré, toujours en noir et blanc, des clichés d’Eric LEGRET rehaussés de la création graphique de Bastien COURTAY, vous permettent d’en saisir la substantifique moelle.

Les neufs textes originaux sont, tous, signés de la main et de l’âme de GWENNYN.

En ce qui concerne les compositions, GWENNYN co-signe avec son compagnon de vie et de notes, Patrice MARZIN, pas moins de 7 pièces du programme, le guitariste, compositeur, arrangeur et réalisateur artistique, harmonisant la reprise du cantique « Me gav hir an amzer - je trouve le temps long » , ou associant ses talents à ceux du bassiste et conseiller artistique Manu LEROY pour « Mamm-Douar - Terre-Mère » , d’Alan STIVEL, pour la reprise de « Kimiad - Adieu » ou Mike PASS, pour « Il est une île » .

L’instant est venu de vous présenter les musiciens, et quels musiciens !... qui œuvrent, tout en finesse et expressivité, pour servir, au plus près de sa ligne et de ses intentions, le voluptueux, sensuel chant de GWENNYN.

Patrice MARZIN : Guitares, claviers et programmations,

Manu LEROY : Basse,

Yvon MOLARD : Batterie,

Kévin CAMUS : Uilleann-pipe et Low Whistle,

auxquels viennent s’adjoindre, sur quelques plages, Soïg SIBERIL, à la guitare, David PASQUET, à la bombarde, Ronan ROUXEL, aux violon et mandoline, Philippe TURBIN, au piano, Jean-Louis CORTES, aux claviers… et les cornemuses, bombardes et caisses claires du Bagad de LANN BIHOUE !

Le CD s’ouvre sur « Me Ivez - Moi aussi » , un titre très « celtique électro pop » , chanté en breton, qui, par petites touches, évoque les origines quimpéroises, non pas de naissance, mais de vie de très jeune fille de GWENNYN, puis de retour à Rennes, où elle est née, sa période estudiantine, ses espérances de jeunesse, ses désillusions, ses amours, parfois destructeurs, toutes ces étapes qui ont contribué à forger son actuelle vie de femme libre.

Enluminé par un très bel arrangement acidulé de spires mélodiques aux sonorités celtiques, la partition est tonique, percutante, parfois dansante, mais le propos est, intrinsèquement, tellement authentique et déterminé que la voix peut demeurer douce et sereine. Osant paraphraser Molière, nous pourrions écrire, « Qu’en notes galantes, ces choses là sont dites !… »

Pour la deuxième pièce, une rupture ? En fait, pas tant que cela !

Certes, « Me gav hir an amzer - je trouve le temps long » , au contraire du premier morceau, n’est pas une composition originale, mais une pièce traditionnelle, pas une chanson, mais un cantique, toutefois l’habile introduction et l’arrangement musical électro-celtique facilite la transition entre les deux thèmes, en parvenant à les prolonger.

La force de croire, en dépit des écueils rencontrés, en l’ardente féminité et la légitime liberté « Dans le jour qui chante » , ne rejoint-elle pas, passant du païen au sacré, l’espérance des force de l’esprit qui donnent sens à la vie ?

Comme une gloire qui, dans l'art sacré, par une propagation lumineuse linéaire traduit la présence du divin, le rayonnement de la pure et aérienne voix de GWENNYN nous transporte, en ces quasis mystiques instants, au-dessus des falaises et de l’océan vers l’autre monde, vers une île d’éternité…

Mais, War-raok, kit !... Voici « War an Hent - Sur la route » , une chanson qui évoque la « Redadeg » cette course-relais bisannuelle qui traverse les 5 départements bretons historiques, afin de soutenir financièrement des projets en faveur de la langue bretonne, particulièrement chère à GWENNYN, puisque toujours pratiquée depuis sa prime enfance.

Ce morceau a été enregistré avec le Bagad de LANN BIHOUE qui, sur un arrangement de Jérôme ALLANIC et Brieuc COLLETER, membres de cette célèbre la formation de la Marine Nationale, fait exploser ses bombardes, cornemuses et caisses claires sur les lignes électrifiées de guitare.

Superbe crescendo !...

« Hep yezh, Breih ebet - Sans langue bretonne pas de Bretagne ! » Ces mots figurant dans le dernier couplet sont, sans nul doute, chantés en plein écho et adhésion avec le manifeste musical « Brezhonneg raok » interprété, sur le même essentiel et identitaire sujet linguistique, par Alan STIVELL, sur son disque « Chemins de terre » , paru en 1973.

Suit, cette fois, chanté en français, « Fille du vent » , un hymne poétique pour une nouvelle liberté davantage conjuguée au féminin et affranchie des us du monde d’avant.

.../...

« Ne songe pas à ce monde d’avant,

Suis ton instinct

N’te retourne pas

Si le monde est vaste : Il ne tient qu’à toi…

Fille du vent » .

.../...

En dépit d’un mixage que nous aurions, pour notre part, souhaité un tout petit peu plus en faveur du chant, donc du texte de GWENNYN, le rythme enjoué et décidé de ce morceau, illuminé d’une vivace ligne de violons rappelant, quelque peu, celle de « Days of pearly Sepncer, grand succès de David Mac WILLIAMS (1967), intervention instrumentale des cordes arrangée par Robert LE GALL (GWENDAL, STIVELL…), laisse dans la tête, croyez-nous, quelques récurrentes traces mélodiques, après l’écoute du CD !

A nouveau, en breton, GWENNYN, lance alors, au travers de « Deuit ‘ta - Venez » , une généreuse et salvatrice invitation nous incitant à découvrir, savourer, vivre en Bretagne, vivre la Bretagne, là où la culture est profonde et régénératrice.

Au travers de ses mots, nous pouvons, peut-être, entrevoir, qu’elle s’adresse, aussi, aux Bretons qui, contraints par des raisons économiques et laborieuses, l’ont quittée.

.../...

« Deuit ‘ta

Pennoù kaled

Deuit ‘ta

Da vev

Deuit ‘ta

Da adkavout talmoù ho kalon. »

.../...

.../...

« Venez

Les têtus

Revenez donc

A la vie

Venez

Retrouver les battements de votre cœur. »

.../...

Rien que pour la présente caresse vocale de GWENNYN encordée de violons, nous arrivons !... Dès que les chauds arpèges finaux de la guitare de Patrice MARZIN se seront fondus dans la forge du « coucher de soleil, union du cosmos et de la terre » .

De tranquilles et profondes notes de piano, celles Philippe TURBAN, pas trop vite, soulignées du sublime trait aigre-doux de l’Uillean pipes de Kevin CAMUS, puis… la céleste voix de GWENNYN vient nous annoncer, tout en volontaire féminité, après le naufrage, un « Présage » , titre de la chanson.

.../...

« D’une mer calme

Une voix s’est élevée

Elle dévoile comme un présage

La force d’y aller

Dans l’attente d’une mère courage

Un brin d’olivier » .

Une, ô combien, savoureuse intervention à la guitare électrique de Patrice MARZIN qui semble, ici, confisquer à l’écossais guitar-hero, Mark KNOPFLER, ses plus rondes notes, annonce avec une grâce infinie, le mot grâce est féminin, cette issue possible.

La mer, la mère… En plage 7, voici « Mamm-Douar - Terre-Mère » … un appel aux femmes pour sauver la terre… Un moment musical aux résonnances universelles, avec quelques couleurs introductives quasi orientales, des instants où l’on frappe du pied dans la ronde d’une transe qui se « jazzize » , quelque peu, en quelques éclats instrumentaux par la bombarde de David PASQUET.

Accompagnée des limpides cordes de l’excellent guitariste à la sensible créativité aussi ouverte que ses accords, Soïg SIBERIL, la chanteuse semble, à présent, nous entraîner, à ses côtés, dans les pas d’une très jolie balade et ballade. C’est « Miziou Du - mois noirs» , un morceau entre nostalgie, angoisse, mais, espoir et renaissance, au sein d’une nature retrouvée et apaisante, peut-être celle qu’elle décrit dans la chanson suivante « Bleuniou Pop Up - Fleurs pop up » où les splendeurs estivales doivent renaître des rigueurs de l’hiver, pour nous aider, par leur souvenir, à passer les affres des mauvais jours hivernaux.

« Le départ du conscrit. Quand, par mégarde, un breton oublie sa guitare électrique à la maison, il a toujours ressource de jouer du binioù ou de la bombarde. C’est pas plus mal. »

Alors qu’il électrifiait la musique bretonne et celtique, c’est ainsi, qu’en 1973, sur l’opus « Chemins de terre » , Alan STIVELL présentait, non sans humour et respect des racines, la dernière plage de son disque 33 tours, intitulée « Kimiad » , à l’origine « Kimiad ar soudard yaouank - L'adieu du jeune soldat » , chanson bretonne du XIXème siècle, dont le texte est signé du finistérien Prosper PROUX.

GWENNYN nous livre, ici, en version féminine, une superbe interprétation fidèle à celle de celui qui, en 2000, l’a révélée en l’invitant sur 2 titres, « Hunvreoù - Rêves » et « Irwazh, Mor ouezeleg - Iroise » figurants sur son album « Back to breizh, puis, en juillet de la même année, la révélait au public, sur la scène du Festival des Vieilles charrues.

Elle a, pour le légendaire harper-hero breton, une profonde reconnaissance.

En 2020, devant le micro et la caméra de Légende FM, ne déclarait-elle pas à son interlocutrice en réponse à une question sur la rencontre marquante de son parcours : « Eh bien, Alan STIVELL… C’était une grande rencontre pour moi, ça a changé ma vie, donc, oui, une grande rencontre ! » (Voir vidéo).

Entrelacé du son de la guitare électrique, le Bagad de LANN BIHOUE donne, à la fois, dans la nuance et l’ampleur finale que l’on a connue, pour ce même morceau (1), lors du concert donné, en 2001, par Alan à la salle Kergroise du Festival Interceltique de Lorient, événement scénique figurant sur le CD/DVD « Parcours » (Voir présentation).

Alan sera, sans nul doute, conquis par l’interprétation de GWENNYN qui apporte, ici, bien plus qu’une simple très belle reprise !

Après ce superbe programme, vous pensez avoir atteint l’île espérée au terme de cette « Odyssée celtique » , il n’en n’est rien.

Insatiable de quête introspective, GWENNYN tente, à ses côtés, de nous emmener, encore plus loin… En elle-même, en nous-mêmes !

« Il est une Île

Au plus profond de toi

Si loin de tes mots »

.../...

.../...

« Au fil d’années lumière

Il est une île

Au Plus profond de toi

J’irai là-bas »

.../...

Si, sur des nappes de claviers, un cheminement de guitare électrique et les ultimes plaintes de l’Uilleann Pipe, ce titre « Il est une île » , clôt, physiquement et de facto ce lumineux voyage musical. Mais, met-il, vraiment, un point final à ce temps suspendu par la grâce que GWENNYN et ses musiciens nous offrent par l’élaboration aboutie de ce substantiel enregistrement ?

Arrangé, enregistré, mixé et réalisé, par Patrice MARZIN, avec des prises de son additionnelles de Mathieu BRIAND, pour la batterie et, à l’Espace André Angot d’Edern (29), de Pierre GAC, pour le bagad, ce disque restera, sans nul doute, une pièce maîtresse de la création musicale bretonne 2021.

Ne passez pas à côté de sa parution et son acquisition, vous y retrouverez une GWENNYN, ô combien imprégnée et respectueuse des racines culturelles et linguistiques de son pays, qui sait, néanmoins, s’affranchir de certaines esthétiques vocales stéréotypées acquises et entretenues, au fil du temps, dans la chanson bretonne.

Elle apparaît inspirée, sensuelle, créative, lumineuse, convaincue, convaincante, parfois porteuse d’urgentes réflexions, mais, toujours, de sérénité.

C’est un album poétique très positif et très actuel, fondamentalement engagé, mais sans aucune trace de la coutumière et vindicative polémique qui accompagne, bien trop souvent, ce qualificatif.

La tonalité de ses textes et de sa voix ne faisant qu’un, cette osmose artistique est, ainsi, sa force de persuasion majeure et crédibilise le propos, plus que très agréablement recevable.

GWENNYN est, pleinement, femme de Bretagne, d’aujourd'hui et de demain, qui a trouvé son essence artistique.

Une remarquable chanteuse de Bretagne, une « autre » chanteuse de la Bretagne.

Dès 2000, le référant Alan STIVELL avait bien raison de « choisir » GWENNYN pour qu'elle inscrive, en lettres majuscules, son nom dans la contemporaine Odysée celtique qui, en ce troisième millénaire, alternativement, nous mène « Vers les îles et villes de verre » …

Gérard SIMON

(1) Regardez, mais, surtout écoutez, cette version où Alan introduit « Kimiad » au son magique de sa harpe et au chant, peu à peu rejoint par le suave violon chinois de Marcel AUBE, avant de s’emparer de sa cornemuse pour faire corps avec la Kevren Alre et Kerlenn Pondi qui unissent leurs trois pupitres traditionnels respectifs pour sonner plus haut et plus ample !

Illustration sonore de la page : GWENNYN - Album "Immram" - Me Ivez - Extrait de 01:01.

Site Internet de GWENNYN : (Voir site)

D'autres extraits sonores sur Cultue et celtie, l'e-MAGazine (voir site)

Les titres du CD « Immram »

01. Me Ivez - 03:49.

02. Me gav hir an amzer - 04:28.

03. War an hent - 03:40.

04. Fille du vent - 04:24.

05. Deuit'ta - 03:37.

06. Présage - 04:49.

07. Mamm-douar - 03:41.

08. Mizioù du - 04:57.

09. bleunioù pop up - 04:18.

10. Kimiad - 03:40.

11. Il est une île - 04:19.

Durée totale : 45:42.

CD « Immram »

Parution : 7 mai 2021

Réf : 4016373

Distribué par : COOP BREIZH (Voir site)

© Culture et Celtie

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