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- Dépêche -
Le tahitien interdit à l'assemblée territoriale de Polynésie française
Le 29 mars 2006, le Conseil d'Etat avait annulé une disposition du règlement intérieur de l'Assemblée Territoriale de la Polynésie française qui mettait sur un pied d'égalité les langues française et tahitiennes , chacun pouvant s'exprimer dans la langue de son choix.
Par Jacques-Yves Le Touze pour ABP le 23/11/07 8:33

Le 29 mars 2006, le Conseil d'Etat avait annulé une disposition du règlement intérieur de l'Assemblée Territoriale de la Polynésie française qui mettait sur un pied d'égalité les langues française et tahitiennes , chacun pouvant s'exprimer dans la langue de son choix. Cette décision basée sur l'article 2 de la Constitution française qui fait du français la seule langue officielle sur le territoire de la République n'avait été suivie d'aucun effet à Papeete, les élus polynésiens considérant les 2 langues comme leurs langues de travail habituelles.

L'Assemblée Nationale de Paris a décidé de sévir en votant dans la nuit de jeudi à vendredi un amendement soutenu par le rapporteur Jérôme Bignon (UMP)à la loi portant sur l'organisation électorale de la Polynésie présentée par C. Estrosi ( en charge de l'Outre-Mer), amendement qui interdit l'usage du tahitien ( et de ses différentes formes locales) dans les débats de l'assemblée polynésienne et fait du français la seule langue d'usage officielle.

En photo, l'assemblée de Polynésie.

Extrait du compte-rendu de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, réunion du Mardi 20 novembre 2007:

"Article 12 (art. 128 et 143 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française) : Conditions d’établissement et de transmission du compte rendu des séances de l’assemblée de la Polynésie française :

La Commission a examiné un amendement du rapporteur visant à supprimer les dispositions adoptées par le Sénat remettant en cause l’obligation faite aux orateurs de l’assemblée de la Polynésie française de s’exprimer en langue française, en s’interrogeant sur leur constitutionnalité. Son auteur a fait valoir que son initiative avait essentiellement un caractère conservatoire, dans l’attente d’une rédaction tentant de concilier l’objectif recherché par le Sénat avec les principes constitutionnels.

M. René Dosière a souhaité savoir quelle était la pratique en la matière et, notamment, si les interventions des élus de l’assemblée de la Polynésie française dans leur langue locale étaient nombreuses.

Le rapporteur a indiqué que, de manière récente, la tendance à l’expression en langue polynésienne se développait, ce qui pose des difficultés notamment pour le contrôle de légalité. Plusieurs délibérations prises sur le fondement de telles interventions ont ainsi été annulées par le juge administratif.

M. René Dosière a estimé que cette question portait sur un sujet sensible pour les polynésiens, dont la plupart s’expriment souvent mieux en langue locale qu’en français. Il a observé que ce problème était propre à la Polynésie française.

Partageant ce souci de prise en compte des sensibilités et des spécificités culturelles locales dans les pratiques institutionnelles, le rapporteur a néanmoins souligné qu’il n’existait actuellement aucune réponse juridiquement incontestable compte tenu des impératifs fixés par la Constitution. Il a ajouté qu’il était personnellement sensible au rôle de la langue française dans l’unité nationale. Il s’est néanmoins déclaré ouvert à toute proposition d’évolution qui ne serait pas passible d’annulation par le Conseil constitutionnel.

M. Bruno Le Roux a jugé nécessaire de rechercher la possibilité pour les élus polynésiens de s’exprimer dans leur langue locale sans encourir une invalidation par le Conseil constitutionnel. Remarquant que, en Polynésie, certains documents électoraux sont d’ores et déjà distribués en langue polynésienne, il a appelé à une solution permettant de faire coïncider le droit avec les usages, dans le souci de manifester aux polynésiens le respect qui leur est dû.

Le rapporteur ayant rappelé que la réflexion était précisément engagée sur cette question, la Commission a alors adopté cet amendement.

Puis elle a adopté un amendement du rapporteur améliorant la publicité des séances de l’assemblée de la Polynésie française par une publication et une mise en ligne sous huitaine du compte-rendu intégral de ses débats.

La Commission a ensuite adopté l’article 12 ainsi modifié."

Extrait des débats à l'Assemblée Nationale de Paris, jeudi 22 novembre au soir :

"ART. 12

M. Jérôme Bignon, rapporteur – L’amendement 51 tend à supprimer les dispositions, introduites par le Sénat, qui remettent en cause l’obligation pour les orateurs à l’assemblée de Polynésie française de s’exprimer en langue française. Nous comprenons bien que les Polynésiens aspirent à utiliser les subtilités de leurs langues pour débattre entre eux, mais on ne peut s’affranchir d’une obligation de nature constitutionnelle.

M. Christian Estrosi, secrétaire d’État – Je m’en étais remis à la sagesse des sénateurs, qui avaient adopté ces dispositions à l’unanimité. À ceux qui penseraient que leur adoption créerait un précédent, je voudrais rappeler que la Polynésie française est la seule collectivité de la République à se voir ainsi reconnaître ses langues dans son statut, dont je voudrais citer l’article 57.

« Le français est la langue officielle de la Polynésie française. Son usage s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics.

La langue tahitienne est un élément fondamental de l'identité culturelle : ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la Polynésie française.

Le français, le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien sont les langues de la Polynésie française. Les personnes physiques et morales de droit privé en usent librement dans leurs actes et conventions ; ceux-ci n'encourent aucune nullité au motif qu'ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle. »

On pourrait interpréter l’amendement de la commission comme une régression dans la défense des langues polynésiennes, mais il peut apparaître, au contraire, comme la suppression d’un encadrement qui risquait de provoquer nombre de contentieux. Le mieux me paraît être de laisser l’assemblée de Polynésie débattre comme elle l’entend ; le Conseil d’État appréciera en cas de contentieux. Je suis ouvert à une réflexion, dans les semaines ou les mois qui viennent, sur les moyens d’affirmer l’usage des langues polynésiennes, mais pour l’instant je crois préférable de s’en tenir à la situation présente, et donc d’adopter l’amendement de la commission.

M. Michel Buillard – Cela me paraît en effet la meilleure manière de protéger nos langues polynésiennes. M. Le Roux s’est exprimé ici en tahitien dans son propos liminaire et, en Polynésie, M. Estrosi a pris l’habitude d’adresser ses salutations en langue polynésienne : c’est une forme de reconnaissance, mais il faudrait qu’une bonne fois pour toutes, on reconnaisse la place des langues polynésiennes dans notre système institutionnel ; s’il le faut, modifions la Constitution. J’aimerais, Monsieur le ministre, que nous puissions nous entretenir de cette question avec vous, car il s’agit de l’identité de la Polynésie et de l’avenir de nos jeunes.

M. Bruno Le Roux – Il faut à mon avis saisir la chance offerte par le vote du Sénat, les dispositions qu’il a adoptées ne présentant aucun risque. Les adopter nous-mêmes ferait avancer le débat. Il ne faut pas oublier que les langues polynésiennes, à la différence d’autres langues régionales – auxquelles je suis également attaché –, sont souvent la première langue ; elles sont indispensables au lien social. Ayons donc la sagesse de conserver le texte des sénateurs, en repoussant l’amendement de la commission.

M. Christian Estrosi, secrétaire d’État – Monsieur Buillard, j’irai plus loin que vous encore : les langues polynésiennes, c’est l’identité de la Polynésie française, que vous défendez, mais c’est aussi l’identité de la France. C’est un patrimoine national, dont nous devons assurer la transmission de génération en génération.

J’ai moi-même pu participer – je le revendique avec une certaine fierté –, grâce à l’invitation amicale que m’ont lancée les élus de l’assemblée de Polynésie française, à des débats où j’ai entendu parler polynésien.

Afin de ne pas prendre de risque constitutionnel, nous devrons réfléchir, comme vous nous y invitez, Monsieur Sandras, à la meilleure formule possible, qu’elle soit législative ou constitutionnelle. Ne mettons pas en péril la pérennité des langues polynésiennes. Avis favorable.

M. René Dosière – J’ai du mal à saisir la pensée du ministre. Malgré ses belles paroles, il voudrait apparemment que nous renoncions au pas en avant du Sénat, qui souhaite autoriser l’usage des langues polynésiennes au sein de l’assemblée de Polynésie sous réserve d’une traduction simultanée. Que nous demandez-vous, sinon de revenir aux dispositions actuelles, qui interdisent cette pratique ? Chacun sait que le Conseil d’État a annulé des délibérations adoptées dans ces langues. Le droit en vigueur les respecte peu...

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission – C’est faux !

M. René Dosière – J’ajoute que ce n’est pas à nous de juger de la constitutionnalité de la proposition du Sénat, mais au seul Conseil constitutionnel. À chacun son rôle !

Il faut également avoir à l’esprit que ce pas en avant pourrait un jour bénéficier à d’autres langues régionales, comme le breton. Je pense que notre président pourrait y être sensible…

Enfin, j’aimerais que M. Lagarde nous indique si la convention signée avec Fetia Api prévoit que les membres du Nouveau centre apprendront le tahitien… (Sourires)

M. Jean-Christophe Lagarde – Vous redoutez visiblement que le Nouveau centre gêne vos fiançailles avec François Bayrou. C’est une obsession chez vous, mais je n’insiste pas (Sourires). Sur le fond, mon groupe est favorable à la prise en considération des langues régionales.

Pour avoir assisté à plusieurs séances de l’assemblée de Polynésie française, je peux vous dire qu’on y parle déjà en polynésien, notamment lorsque les échanges se font un peu vifs. J’ajoute que tous les Polynésiens ne maîtrisent pas la langue française à la perfection : certains élus, en particulier ceux des îles éloignées, pourraient se trouver un jour dans l’incapacité de s’exprimer devant leur assemblée.

Peu importe que cette mesure soit adoptée aujourd’hui ou demain, par la voie d’une révision constitutionnelle : l’important, c’est d’avancer.

L'amendement 51, mis aux voix, est adopté"

Voir aussi sur le même sujet : bilinguisme,cultures,Tahiti
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