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- Chronique -
Souvenirs de prison
Une voix, une chanson entendue à la radio… Et me voilà revenu trente cinq ans en arrière. En 1977, j'ai été condamné à quinze mois de prison militaire. Motif : insoumission
Jean-Pierre Le Mat pour ABP le 22/11/12 19:53

Une voix, une chanson entendue à la radio… Et me voilà revenu trente cinq ans en arrière.

En 1977, j'ai été condamné à quinze mois de prison militaire. Motif : insoumission à l'armée et refus de porter l'uniforme français. J'ai d'abord subi un mois d'arrêt de rigueur, dans une pièce de 2 m sur 3, sans lumière naturelle. Isolement total. Murs de béton. Lumière artificielle blafarde 24 heures sur 24. Visites de galonnés à toutes heures du jour et de la nuit. Après un mois et devant l'échec du traitement, j'ai été transféré au quartier militaire de la prison Jacques Cartier à Rennes. L'intérieur du bâtiment était impressionnant. Il ressemblait à un pigeonnier rectangulaire. Les cellules s'ouvraient sur plusieurs niveaux, accessibles par des coursives qui couraient le long des hauts murs intérieurs. Entre les deux coursives opposées du premier étage, un grillage de fer était tendu pour dissuader les suicides. Toute la journée, on entendait le bruit des clés et des voix indistinctes.

Nous étions deux par cellule. Mon compagnon était un rouquin aux yeux étonnants, originaire de l'île de la Réunion. Il avait été condamné à deux ans de prison par le tribunal militaire, pour les mêmes motifs que moi. Il m'accueillit dans l'uniforme pénitentiaire : veste et pantalon gris, chemise bleue. Personne ne venait le voir au parloir. J'avais le droit à une seule visite par semaine. Ceux qui venaient devaient patienter plusieurs heures avant de voir le prisonnier pendant quelques minutes. Nous pouvions parler à travers une vitre sale en plexiglas, percée de quelques trous pour laisser passer les sons. Ces choses-là n'existent plus. Désormais, un condamné peut porter ses propres vêtements et embrasser sa famille.

Il s'appelait Daniel Hoarau. Je lui parlais du FLB et des vieux Breiz Atao que j'avais rencontrés lors de mon exil en Irlande. Je lui parlais aussi des volontaires de l'IRA que j'avais fréquentés à Belfast. Il me parlait de ses parents et de ses amis, membres du parti Communiste Réunionnais. Il me faisait découvrir leurs combats pour l'autonomie et la fierté de leur peuple. Parfois, il décrivait en frissonnant le parfum de l'ylang-ylang sur les pentes ensoleillées. J'évoquais, les yeux embués, les embruns sur les falaises de Beg-ar-Forn.

Nous comparions les couleurs de nos révoltes, les Bonnets Rouges et les esclaves marrons. Nos yeux brillaient. Je lui parlais de l'enfer humide et froid d'Armorique, peuplé d'ombres et de ploucs au langage mal assuré. Il me répondait par la farandole des cultures et des races. Il riait de cette profusion ingouvernable par une République unitaire.

Nous recevions des lettres émouvantes. Je me souviens de celles de la petite Cornelia, une Hollandaise de 14 ans, qui n'aimait pas la guerre. Il y avait aussi celles de Madeleine, une vieille Parisienne, qui rêvait de la Bretagne et de l'île de la Réunion. Nous en recevions bien d'autres. Des correspondants, que nous ne connaissions pas, s'échangeaient clandestinement notre adresse au-dessus des frontières.

Que reste-t'il de notre rencontre et de nos discussions, dans le quartier militaire de la vieille prison de Rennes ? Des nations à construire, des « vivre ensemble » à inventer. Les prophéties bretonnes à réaliser, la luxuriance réunionnaise à apprivoiser. Dans mon cerveau chauffé au rouge, une aspiration millénaire à la liberté, portée par les vents de la Celtie. Dans le sien l'ivresse des rencontres de plusieurs continents, brûlantes de la flamme des volcans et de la ronde des requins.

Daniel a pris son nom créole. Il est devenu Danyel Waro, le grand chanteur de Maloya. Je l'entends à la radio. J'écoute ses chansons. Il en a même composé une sur Madeleine, notre vieille amie parisienne ! Je suis devenu historien, chef d'entreprise, chroniqueur sur ABP. Je contribue aux stratégies économiques pour la Bretagne.

Une voix, une chanson entendue à la radio… Le souvenir d'un défi commun, d'une épreuve assumée ensemble. Ensuite, des trajectoires différentes. Mais elles portent la même empreinte.

Sans doute, quand nous mourrons, les défis et les épreuves qui ont forgé nos identités nous guideront-ils vers nos étoiles.

Jean Pierre LE MAT

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Vos 4 commentaires :
Alan CORAUD Le Lundi 26 novembre 2012 09:41
Beau témoignage Jean-Pierre. Nos souvenirs d'insoumis bretons sont nombreux aussi, avec des moments forts. Mes enfants me demandent souvent de les écrire ! Il faudra.
Alan
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Marcel Texier Le Mercredi 28 novembre 2012 10:02
Je ne savais pas tout ça, Jean-Pierre. L'estime que j'avais pour toi était déjà grande. Elle a grandi encore après que j'aie lu ce beau texte.
Nous ne nous sommes rencontrés qu'une fois, lorsque Yorann Delacour nous a présentés en 2004 au Salon du Livre de Carhaix où j'étais venu à l'occasion de la parution de mon livre "La Bretagne n'a pas dit son dernier mot". J'espère qu'il y aura d'autres occasions.
Je salue Alan Coraud au passage.
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Yann LeBleiz Le Jeudi 6 décembre 2012 20:03
Beau témoignage,
Si j'ai compris, vous avez passé 1 mois soumis à une lumière artificielle 24/24h et en étant réveillé toutes les heures. Donc, une privation de sommeil!
Un tel traîtement ne peut-il pas être qualifié de torture?
Quand pensent les associations sur les droits de l'homme?
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Jean Pierre LE MAT Le Vendredi 7 décembre 2012 15:34
Il est toujours gênant, pour un militant, de passer au statut de victime. C'est sans doute la raison pour laquelle les anciens activistes parlent peu, quand ils n'ont pas réussi à vaincre. Le témoignage des anciens Breiz Atao a été perdu pour cette raison, et ne s'exprime à leur sujet que des universitaires qui piochent dans les archives des vainqueurs. Il serait dommage de perdre de la même façon le témoignage des activistes d'après-guerre. Mais ne cherchez pas à en faire des victimes ! Ils ne le veulent pas.
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