A quatre vingt neuf ans, son âme s'est envolée vers la lumière céleste, le 6 décembre 2012, aussi discrète qu'un oiseau fendant l'azur pour atteindre l'immensité. Il nous laisse orphelins, avec un relent de tristesse profonde dans le cœur de ceux qui l'ont côtoyé. Nous partageons tous le même deuil, sa famille, ses amis et son pays, la Bretagne.
Youenn Craff fut en effet un éclaireur vigilant et actif sur la route de l'avenir de la Bretagne, fidèle parmi les fidèles. Passionné, motivé par la défense des droits imprescriptibles de la Bretagne, par son essor culturel et linguistique, ce petit homme à la voix de stentor dégageait une énergie hors du commun, animée de ses plus vives aspirations, résumées par ce leitmotiv : Feiz ha Breizh, Foi et Bretagne. Telle fut sa raison de vivre, jusqu'à son dernier souffle. Dévoué corps et âme à la mission qu'il s'était fixée, il n'a ménagé ni son temps, ni ses forces.
Ses pensées s'accordaient intimement à celles de l'Abbé Yann Vari Perrot, prêtre breton, assassiné dans de tragiques circonstances, à Scrignac, dans les Monts d'Arrée, le 12 décembre 1943. Ces deux hommes ont donné, chacun à leur manière, leur vie à la Bretagne et à leur Dieu, armés de leurs convictions solidement arrimées au cœur et à l'âme. Ces deux Bretons ont prôné l'organisation de troupes théâtrales en langue Bretonne, l'enseignement approfondi de celle-ci, unis dans une fraternité spirituelle, tissée d'exigences essentielles, au-delà du temps et de l'espace.
Au travers d'abord de l'association « Unvaniezh Koad Keo » , puis plus tard de « Mignoned Feiz Ha Breizh » , Youennn Craff se consacrait à la réhabilitation de l'abbé Perrot et cultivait sa mémoire, avec ferveur, aidé en cela par une poignée de fidèles amis dont Rolland Péron, Youenn Yaouannck, l'abbé Talbot, Andreo Jezequel, l'abbé Blanchard,etc. Il posait patiemment des jalons afin de voir éclore un jour la vérité aux yeux de tous. La lumière jaillit toujours de la connaissance et non point de supputations oiseuses. A ce sujet, je conseille à tous la lecture de l'excellent livre du Chanoine Henri Poisson : « L'abbé Jean Marie Perrot et le Bleun Brug » .
Le jour où la chasse aux sorcières et l'inquisition seront révolues à jamais, bannies des mentalités obscurcies, l'abbé Perrot et tous ceux qui ont sacrifié leur vie à la Bretagne, au sens propre ou au figuré, seront réhabilités aux yeux du monde entier.
Youenn Craff était très disert sur son passé de militant breton. Ainsi, dans sa jeunesse, avait il longtemps travaillé dans les entreprises de Jean Jacques le Goarnig, à Paris, axées sur le bâtiment et la logistique, en prise directe avec des sociétés telles qu'Air France ou Marc & Spencer. Il y exerçait ses compétences de comptable. En dehors de ces travaux prosaïques, Youenn participait à un formidable bouillon de culture bretonne, à des réflexions profondes sur l'avenir de notre pays, à l'élaboration de plans destinés à lui redonner son lustre d'antan et ses droits immuables. Alain Guel, Glenmor, Gérard Toublanc, Alan al Louarn, Yann Kerlann et combien d'autres émules d'une Bretagne souveraine et victorieuse, gravitaient alors dans le cercle rapproché de Jean Jacques le Goarnig !
D'emblée, la vie de Youenn Craff s'est convertie en une trajectoire que mes aînés vous conteront mieux que moi, jalonnée d'épreuves et de tourments, tels des emprisonnements infligés par d'aveugles oppresseurs.
Fidèle à ses amitiés, cet homme probe ne les reniait jamais. A Pont Aven, la « Cité des Peintres » , où Jean Jacques Le Goarnig développe un « Pôle culturel et artistique » , il nous gratifiait souvent de sa visite, une sacoche à la main, emplie de notes manuscrites en langue bretonne, destinées à la revue « l'Avenir de la Bretagne » . fondée en 1957 par Yann Fouéré. Je me hâtais alors de les transcrire sur mon ordinateur afin de les adresser directement à la rédaction de cette revue. D'autres personnes l'ont d'ailleurs aidé dans cette tâche, telles Alain Peron, Servane Huonic, Rozenn Fouéré, et les membres de la « Fondation Yann Fouéré » dans leur ensemble.
Lors de ses visites, Youenn Craff s'adonnait à de longues et édifiantes conversations avec Jean Jacques Le Goarnig, toutes centrées sur la Bretagne, dans un faisceau ininterrompu de souvenirs, de questions et de réponses, de projets culturels, linguistiques, etc. Unis dans le même élan passionné, ils étaient intarissables. Les noms d'Alan Raude, de Per Le Moine, de Jean Kergrenne, de Jean Cevaër, de Louis Melennec, revenaient régulièrement, parmi d'autres, dans la conversation.
Youenn Craff, Breton attachant, à la forte personnalité, ne mérite pas de sombrer dans l'oubli. Il fut l'un des plus fervents défenseurs de la Bretagne, de son intégrité territoriale et surtout, à la fin de sa vie, de ses richesses linguistiques, en orfèvre des mots.
Auteure : Nolwenn Le Gac
Collaboratrice de Jean Jacques Le Goarnig