Rozenn Milin (photo Youtube)
Rozenn Milin (photo Youtube)
Quelle place pour les langues régionales à l’école ?

Réalisation : France Inter – 4192 vues

Ce débat s'inscrit dans le cadre d'une actualité surprenante. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Amin Maalouf, a récemment écrit au gouvernement pour soutenir l’enseignement des littératures en langues régionales.

Paris, 26 juin 2025 — Le débat était attendu et n’a pas déçu. Invitée de France Inter pour discuter du statut des langues régionales en France, la sociologue et historienne Rozenn Milin s'est retrouvée face au constitutionnaliste Benjamin Morel dans l'émission 7/10 du mercredi 25 juin.

Ce débat s'inscrit dans le cadre d'une actualité surprenante. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française, Amin Maalouf, a récemment écrit au gouvernement pour soutenir l’enseignement des littératures en langues régionales. Cette initiative répond à une pétition lancée en décembre 2022 par un collectif de chercheurs, enseignants et personnalités engagées, qui demande l’intégration d’un véritable corpus d’œuvres en langues régionales dans les programmes scolaires.
🔗 Lire la pétition : Une vraie place pour les littératures en langues régionales dans les programmes scolaires

Rozenn Milin, coautrice du récent ouvrage Langues régionales : Idées fausses et vraies questions, a rapidement contesté la vision très atténuée, voire mensongère, de l’histoire linguistique française présentée par Morel, qui a osé affirmer qu’aucune politique d’éradication n’avait été menée par l’État français à l’encontre des langues régionales, allant jusqu'à déclarer que la Dr. Milin faisait du révisionnisme.

« Le révisionniste, c’est vous », a lancé Rozenn Milin, rappelant avoir travaillé dix ans sur le sujet pour une thèse de 1 400 pages et avoir recueilli des centaines de témoignages sur les humiliations subies à l’école pour avoir parlé breton, provençal ou autre. Elle cite l’usage du terme "anéantir" dans des documents officiels du XIXe siècle concernant les langues dites "patois".

Face à cela, Benjamin Morel, auteur de La France en miettes. Régionalismes, l’autre séparatisme, Paris, Le Cerf, 2023, a parlé d’un « discours idéologique », niant l’existence d’une volonté centrale explicite et pointant plutôt la volonté des parents de favoriser le français pour la réussite de leurs enfants et l’arrivée de la télévision comme principaux responsables de l’effacement des langues régionales. Il a aussi mis en cause une forme de militantisme linguistique ayant mené, selon lui, à des reconstructions artificielles de certaines langues, comme le breton unifié, incompréhensible selon lui pour les anciens locuteurs. Pour lui il est tout à fait normal que le français aille chercher des racines grecques ou latines pour créer des mots nouveaux mais innacceptable que le breton aille chercher des mots gallois.

Rozenn Milin a défendu au contraire la nécessité d’une standardisation linguistique pour permettre un enseignement et une transmission modernes des langues, comme cela a été fait pour le français lui-même. Elle a réfuté toute démarche idéologique :

« Je suis une scientifique, pas une idéologue. »

Quant au militantisme, Rozenn lui répond carrément :"« S’il n’y avait pas eu de militants, ces langues auraient disparu. »

En dernier retranchement, Benjamin Morel a soulevé la concurrence des langues minorées elles-mêmes, notamment entre le breton et le gallo en Bretagne, ou entre les variantes de l’occitan, ce qui selon Morel mènerait à des politiques linguistiques déséquilibrées, voire injustes. Milin, en réponse, a appelé à une approche inclusive et plurilingue, insistant sur le droit à l'existence et à l'enseignement de toutes les langues locales. Pour elle, le conflit entre partisans du gallo et du breton est entretenu par les adversaires des langues régionales.