Le dernier film de Ken Loach n'est pas sans éveiller des échos dans l'histoire de Bretagne. « Jimmy's Hall » , c'est-à-dire plutôt « la Salle de Jimmy » que le dancing de Jimmy, car on ne fait pas qu'y danser. Les habitants du village y organisent aussi des cours de musique, de dessin. C'est une sorte de foyer, mais le lieu n'est ni municipal ni paroissial. C'est un simple endroit où la population se retrouve pour prendre du plaisir, pour briser la sinistre monotonie des jours.
Dans le film de Loach, les adversaires de cette initiative sont quelques propriétaires terriens qui ne veulent pas de ces rassemblements communistes et surtout le curé local qui y voit la marque du diable. Le père Sheridan va jusqu'à relever à la porte du « Hall » les noms de ceux qui s'y rendent pour pouvoir ensuite les blâmer en chaire.
L'histoire de la Bretagne et celle de l'Irlande ont des points communs mais aussi des différences importantes. La Bretagne n'a eu à subir des répressions violentes qu'à l'époque de Louis XIV (les Bonnets Rouges) et sous la Révolution (les noyades de Nantes) ; mais pas au siècle passé comme l'Irlande. En revanche, les Irlandais ont toujours pu accéder au Nouveau monde américain, tandis que les Breton(ne)s se retrouvaient en général sur le pavé parisien…
Pourtant, d'un point de vue culturel et religieux, les deux pays se ressemblent. Dans les années 1950 encore, à Plabennec, village d'une de mes grands-mères, les prêtres ne toléraient un bal qu'en cas de noces. Et, un peu plus tôt, mon autre aïeule avait eu à subir à Bourg-Blanc un effroyable épisode. Veuve chargée de trois enfants, elle tenait la boutique centrale du lieu, ouverte tous les jours : café tabac, épicerie, arrêt de car, journaux, recette buraliste. Vers 1935, elle fait édifier contre sa maison une grande salle où la population va pouvoir venir s'égayer. Mais elle perd à la même époque son plus jeune fils de quatorze ans de méningite tuberculeuse. Le curé de la paroisse vient alors la menacer de ne pas accorder de funérailles religieuses au gamin si elle ne renonce pas à son projet de laisser danser chez elle la jeunesse locale. J'ai recueilli l'information de plusieurs témoins, dont Mme Alexine Falc'hun, tante de l'ancien maire et fondateur de l'entreprise Sill. Le lieu est resté qualifié par la population pendant des décennies de « salle de danse » bien qu'on n'y ait jamais dansé. Il a ensuite accueilli un cabinet dentaire avant de devenir le restaurant actuel « Chez Jacky » .
De même, la dénonciation en chaire, par leur nom, des mauvais paroissiens absents de l'église aux dernières vêpres — fussent-ils des permissionnaires désireux de se reposer un peu — a eu cours au moins à Tréglonou dans les années 1930 où le fameux recteur Jakig Calvarin est même allé un jour jusqu'à prétendre qu'un certain noyé avait bien cherché son destin puisque, précisément, il n'était pas venu aux vêpres…
Certes, les temps ont changé, la Bretagne s'est profondément déchristianisé sans pour autant sombrer dans la débauche, et ses prêtres actuels sont en général de vrais humanistes. Encore que… N'a-t-on pas lu récemment dans le journal Imbourc'h une dénonciation à l'encontre d'un membre du conseil de Diwan au prétexte qu'il était franc-maçon ? Oublions !
Allons voir et revoir « Jimmy's Hall » , du merveilleux Ken Loach.