En tant que Breton, lecteur abonné à Ouest France, je me permets de réagir à l’article paru dans l’édition du samedi 27 août 2005, en page Bretagne (page 7), sous le titre provocateur « La légende des premiers rois bretons ». Cet article donne la parole à un historien qui déclare péremptoirement que la bataille de Ballon en juin 845, où Nominoë écrasa l’armée d’invasion franque de Charles Le Chauve, « n’a jamais existé » ! … et que « Nominoë n’a jamais été roi » !
Dans l’article, le seul chroniqueur cité est Geoffroy de Monmouth du XIIe siècle, (trois siècles après les événements !), que l’historien interviewé par Ouest France nous présente de plus comme « l’inventeur » de la bataille de Ballon et du sacre de Nominoë à Dol ! Je me permets donc de rappeler à cet historien, qu’il existe de nombreuses traces historiques antérieures, dans des chroniques continentales et contemporaines à ces deux événements. Il trouvera, par exemple, toutes ces sources mentionnées et parfois citées dans une vingtaine de pages, du second tome de l’Histoire de Bretagne d’Arthur Le Moyne de La Borderie.
A la lecture et au recoupement de ces diverses sources, (dont certaines proviennent d’auteurs ecclésiastiques francs, adversaires de Nominoë, et donc peu enclins pour raisons politiques à faire du duc un roi de Bretagne en leurs chroniques), nous apprenons que Nominoë, qui, rappelons-le, était déjà gouverneur de Bretagne sous feu Louis Le Débonnaire, a unifié la Bretagne sous son commandement, défait les Francs de Charles le Chauve à Ballon, gagné l’indépendance politique de la Bretagne reconnue par Charles le Chauve lui-même en 846 et par le Pape Léon IV en 847.
Ensuite, nous apprenons qu’il a poussé à la démission en 848 les évêques de Bretagne d’origine germanique et dévoués aux intérêts carolingiens, soustrait les Bretons à l’autorité de l’archevêque de Tours, créé à la place l’Archevêché de Dol et nommé des évêques bretons. A l’automne de cette même année 848, devant sept évêques de Bretagne il se fait sacrer roi à Dol, véritable consécration par l’Église de l’indépendance et de la monarchie bretonne.
En 850, il déclare la guerre à Charles le Chauve, et dans son avancée victorieuse meurt mystérieusement à Vendôme en 851 (apoplexie, empoisonnement ?). Inhumé au monastère de Redon, on lui a donné le titre de « Père de la Patrie - Tad ar Vro », et une statue lui a été élevée à Bains-sur-Oust.
Aujourd’hui, nier cette réalité historique consiste à nier une évidence, et nous pouvons constater que si le révisionnisme est juridiquement condamnable en d’autres domaines, en France, l’Histoire de Bretagne, non enseignée à nos enfants de Bretagne, continue d’être un « terrain de la manipulation des esprits » pour de « modernes chroniqueurs francs », servant le centralisme jacobin bi-séculaire mais quelque peu essoufflé.
Il semble en effet, toujours et encore, de bon ton de dénigrer, de dévaloriser ou de travestir notre riche histoire bretonne, dans ce qu’il est convenu d'appeler une vaste opération de désinformation : un historien officiel (jacobin) aura les honneurs et les subsides, un historien breton sera suspecté de nationalisme et marginalisé. En d’autres termes, l’Histoire de la Bretagne continue de s’écrire ou de se ré-écrire à travers le filtre subjectif du pouvoir français anti-breton… et tout le monde sait, ou devrait savoir, que l’écriture de l’Histoire est un acte éminemment politique! A qui profite ce révisionnisme ? Pas aux Bretons en tout cas.
Jean-Loup LE CUFF, président de l’association Musée Archipel Breton.