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Nicola Sturgeon
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- Chronique -
Comprendre le Brexit

La question de l’Irlande du Nord, les incertitudes britanniques et les espérances écossaises

François Alfonsi pour François Alfonsi le 6/11/19 2:50

La question de l’Irlande du Nord, les incertitudes britanniques et les espérances écossaises

De Theresa May à Boris Johnson : la question de l’Irlande du Nord

Theresa May et Boris Johnson sont du parti conservateur et ils ont porté l’un et l’autre la volonté exprimée par le referendum du 23 juin 2016 pour arriver à un Brexit, soit une séparation de la Grande Bretagne du reste de l’Union Européenne.

L’Union européenne est fondée sur la liberté totale de circulation des personnes, des capitaux, des services et des marchandises dès lors qu’ils sont « estampillés » par l’UE, c’est à dire originaires d’un des pays membres, ou bien entré légalement sur le sol européen à travers l’agrément du pays membre où cette entrée, que ce soit pour un bien ou une personne, est enregistrée.

Pour les capitaux et les services, il n’y pas de matérialité physique, tout passe par les ordinateurs et les réseaux internet où s’exercent les contrôles du respect des accords qui régulent ces activités.

Pour les personnes, au moment du referendum, le Brexit a enflammé les esprits britanniques sur la question de l’immigration. Elle est largement retombée d’elle-même, puisque la Grande Bretagne s’est toujours tenue en dehors de l’espace de Schengen et avait donc maintenu les contrôles d’identité aux frontières. D’ailleurs, la situation à Calais et dans le nord de la France est très claire : ce n’est que par fraude que les migrants rentrent sur le sol britannique comme le récent drame de 39 personnes retrouvées mortes dans une remorque de camion l’a dramatiquement illustré.

Reste donc la circulation des marchandises, régie par l’Union douanière. C’est le point délicat car sans contrôle physique, rien n’est possible. En effet, les douanes ne font pas que recouvrer des droits, elles s’assurent aussi que les biens importés remplissent les obligations de sûreté alimentaire (question des OGM par exemple, interdictions de certains adjuvants déclarés dangereux pour la santé publique, etc…), de conformité à des normes de sécurité (par exemple jouets exempts de risques pour les enfants), de lutte contre la contrefaçon, etc… Le contrôle physique des importations nécessitera donc une « frontière dure », ce qui est sans conséquence en général pour les populations du fait de la situation insulaire du Royaume Uni : il n’existe pas de va-et-vient quotidien des populations locales via une frontière maritime.

La seule frontière terrestre qui existera entre le Royaume Uni et l’Union Européenne est celle qui divise l’Irlande en deux entre nord et sud. Cette frontière contrôlera les véhicules, et donc les personnes qui les conduisent, chauffeurs de poids lourds comme simples automobilistes. Et les populations locales irlandaises qui font le va-et-vient quotidien seront inlassablement contrôlées, ce qui est non seulement contraire à leurs intérêts, mais aussi à la lettre du traité de paix nord-irlandais qui a été signé par l’Irlande du Nord, la République d’Irlande, la Grande Bretagne et l’Union Européenne. L’Europe en a fait une « ligne rouge » de la négociation, et le gouvernement anglais a dû l’admettre pour respecter les engagements qui avaient été pris lors des accords du vendredi saint.

Theresa May a proposé que la question se règle en réalisant un Brexit qui, provisoirement, maintienne l’Union douanière entre toute la Grande Bretagne et l’Union Européenne « jusqu’à ce qu’une solution satisfaisante soit trouvée ». Boris Johnson a combattu ce deal qui pouvait repousser le Brexit économique à la Saint Glinglin… et il a obtenu la démission de Theresa May.

Sa contre-proposition a consisté à proposer que l’Union douanière ne soit maintenue que dans la seule Irlande du Nord, et que la frontière où s’exercera le contrôle des marchandises soit renvoyée en mer, entre Irlande du Nord et continent britannique.

Cette proposition pose deux questions. La première est soulevée par la population pro-Royaume Uni d’Ulster, représentée par le Democratic Union Party, qui estime que son lien statutaire serait brisé avec Londres et qu’elle serait promise à une intégration à plus ou moins long terme dans l’Irlande. Dans le contexte d’une Irlande du Nord toujours à vif, la question est sensible et le DUP a rompu son accord avec les conservateurs, affaiblissant encore de dix sièges la « majorité » déjà très relative de Boris Johnson qui perd régulièrement lors des votes à la Chambre des Communes.

La seconde est soulevée au sein même de l’Union Européenne qui s’inquiète de l’application future de ce « double statut » de l’Irlande du Nord, à la fois dans l’Union douanière européenne et sous souveraineté d’un Royaume Uni situé en dehors. Une partie des Brexiters les plus ardents ont formulé leur ambition, soutenue en sous-main par Donald Trump : que la Grande Bretagne surmonte les difficultés économiques de la perte du marché unique avec l’Europe en devenant une « zone franche économique » aux portes de l’Europe. Ceux-là pourraient utiliser le flou de la frontière avec l’Irlande du Nord, dont le deal prévoit que les autorités britanniques la contrôleront en étant supervisés par l’Europe, pour « tricher » sur les marchandises qui une fois arrivées à Belfast, pourront passer sans contrôle en Irlande, et donc en Union européenne. En acceptant le « deal de Boris Johnson », l’Europe a pris un risque, estimant que les garanties sur ce point pourraient être négociées plus tard, lors des accords futurs entre Grande Bretagne et Europe.

Mais ce sera un nouveau bras de fer. Et encore faut-il que Boris Johnson arrive au bout de son parcours en Grande-Bretagne.

Les incertitudes britanniques

Hard Brexit, Brexit avec un « deal » ou annulation du Brexit : l’opinion britannique se déchire depuis maintenant trois ans sur les lendemains du referendum.

Quand le referendum a été déclenché par James Cameron, le « yes » était promis à la victoire. Mais, patatras, le « no » l’a emporté, malgré les Ecossais et les Irlandais du Nord, qui ont voté contre le reste de l’Angleterre qui, excepté Londres, a trouvé dans le Brexit l’exutoire de ses frustrations.

Depuis, la surprise passée, les anti-Brexit se sont remobilisés, et manifestation après manifestation, ils remontent la pente dans l’opinion. Mais les nerfs sont à vif, et l’assassinat par un fanatique de la député travailliste Jo Cox, activiste anti-Brexit, durant la campagne du referendum, en avait été le symptôme tragique et traumatisant.

Les conservateurs ont décidé d’assumer le Brexit, mais la majorité d’entre eux refusaient le « hard Brexit », annonciateur de chaos économique, et voulaient un « deal » avec l’Union Européenne. Theresa May était leur porte-parole.

Mais ce deal ne peut se concevoir sans des concessions sur lesquelles les plus ultras protestèrent de manière incessante. Theresa May a tenté par une nouvelle élection anticipée d’élargir son socle majoritaire pour ne plus être dépendante des plus ultras. L’opération s’est retournée contre elle, et l’a rendue otage des dix députés nord-irlandais pour lesquels il ne pouvait y avoir la moindre concession sur le statut « 100% britannique » de l’Irlande du Nord.

Comme la question de l’absence de frontière physique en Irlande est un préalable posé par les Européens pour accepter un deal, Theresa May a été amenée à proposer le maintien, annoncé comme temporaire, mais sans échéance réelle, d’une union douanière étendue à tout le Royaume Uni. C’est le rejet de cette position par les plus Brexiters du Parti Conservateur qui a amené Boris Johnson au pouvoir. Mais lui aussi a besoin d’un « deal » avec l’Union Européenne. D’où sa proposition de ramener la prolongation d’une union douanière à la seule Irlande du Nord, le reste du Royaume Uni quittant ainsi véritablement l’Europe.

Entretemps les élections européennes se sont tenues qui ont confirmé la division de l’opinion en deux blocs équivalents, les Brexiters de plus en plus impatients et qui ont gonflé le score du Brexit Party, au détriment des Torys ramenés à leur plus bas historique, et les anti-Brexit dont la mobilisation croissante s’est manifestée par un score très élevé des Libéraux et des Greens, tandis que le SNP en Ecosse rafle 50% des sièges écossais à la proportionnelle, et alors que le Labour Party, toujours ambigu sur le Brexit, a connu un net recul.

Boris Johnson a obtenu in extremis que son « nouveau deal » soit mis à l’étude avec un vote de principe favorable. Ce qui amènera cependant à déborder du 31 octobre dont il avait fait un impératif absolu (« plutôt mourir que de demander un nouveau report »). L’issue de ces nouvelles « prolongations », jusqu’au 31 janvier, reste incertaine.

Car tout peut encore arriver.

Les défections de la majorité conservatrice ont été nombreuses, et ce n’est en fait qu’une minorité qui reste engagée derrière Boris Johnson. Les travaillistes sont divisés sur le Brexit et en perte de vitesse dans l’opinion. Une élection anticipée au Royaume Uni a été fixée le 12 décembre prochain. Son résultat pourrait rebattre toutes les cartes.

Scénario 1 : large victoire des anti-Brexit avec basculement du Labour dans leur camp. Un nouveau referendum pourrait alors être convoqué et annuler le Brexit. Mais les sondages ne donnent que peu de chances à ce scénario.

Scénario 2 : Boris Johnson qui a réussi à regrouper autour de lui les plus Brexiters de son parti emporte les élections et reste premier ministre avec une majorité renouvelée. Le « deal » récemment trouvé avec Bruxelles sera alors mis en œuvre, mais les discussions seront difficiles pour les accords futurs de coopération entre l’UE et Londres, une fois le Brexit passé. L’UE voudra des garanties, Londres rechignera à les donner, et le « fair play » n’est pas une valeur intangible, y compris en Angleterre, dès l’instant que des intérêts économiques colossaux sont en jeu.

Scénario 3 : les conservateurs se déchirent entre eux, le Brexit Party remporte l’élection comme il l’a fait aux Européennes toutes récentes, l’accord UE-Boris Johnson sera caduc et le « hard Brexit » s’imposera.

Pronostic : scénario 1 : 15% des chances ; scénario 2 : 60% ; scénario 3 : 25%. Le feuilleton continue.

Les espérances écossaises

Nicola Sturgeon, la brillante première ministre écossaise, a deux objectifs : rester dans l’Union Européenne, et obtenir un nouveau referendum d’autodétermination sur l’indépendance de l’Ecosse. Et bien sûr, le gagner cette fois.

Dans un premier temps, le « statut particulier » de l’Irlande du Nord qui resterait dans le marché unique européen si le deal « Boris Johnson » est accepté lui permet de revendiquer le même traitement pour l’Ecosse. Ses arguments sont forts, puisque 62% des Ecossais ont voté contre le Brexit, les récentes élections européennes ont donné presque 45% des voix au seul SNP, et les futures élections législatives partielles en Ecosse annoncent un raz de marée indépendantiste, au détriment notamment des conservateurs qui devraient perdre leurs quelques députés écossais au profit du SNP.

Le gouvernement écossais veut, dans un premier temps, rester dans l’Union douanière européenne , ce qui créerait une frontière avec le reste de l’Angleterre, et promouvoir ensuite l’indépendance de l’Ecosse dans le cadre d’un referendum négocié avec Londres.

Nicola Sturgeon est prête pour tous les scénarios.

En cas de Brexit hard sous pression du Brexit Party, elle convaincra sans difficulté les Ecossais pour un referendum donnant une majorité au « oui » à l’indépendance. Et l’Europe ne pourra que considérer favorablement le retour en son sein de plus de cinq millions d’Ecossais, quoiqu’en dise le gouvernement espagnol obsédé par la question catalane.

En cas de Brexit selon le deal d’un Boris Johnson victorieux au soir des législatives anticipées, elle fera valoir le « statut particulier » irlandais et demandera son application à l’Ecosse. Si c’est « oui », l’Ecosse restera dans le marché unique européen et franchira alors une nouvelle étape dans la dévolution, ouvrant la porte à une séparation ultérieure « en douceur » du reste du Royaume Uni. Si c’est non, elle reprendra avec force sa demande d’un referendum avec une très bonne chance de victoire cette fois.

Enfin, en cas de victoire d’une nouvelle majorité coalisée contre les conservateurs britanniques, alliant Labour, Verts, Libéraux, le SNP, pesant une cinquantaine de députés, pourra dicter ses conditions. Nicola Sturgeon l’a dit lors du Congrès annuel du SNP en octobre dernier à Aberdeen, en s’adressant au leader travailliste Jeremy Corbyn : pas question de soutenir un gouvernement travailliste qui ne s’engagerait pas pour un nouveau referendum d’autodétermination en Ecosse. Or Corbyn aura très probablement besoin des députés SNP pour pouvoir gouverner.

Nicola Sturgeon, devant une foule immense rassemblée à Glasgow le 2 novembre lors d’une manifestation indépendantiste a ainsi déclaré : « Je vous demande, alors que je m'apprête à vous mener vers ce référendum d'indépendance l'année prochaine, de faire en sorte, au cours des prochaines semaines, de persuader tous ceux que nous connaissons, notre famille, nos amis, nos voisins, de se mobiliser le 12 décembre prochain pour envoyer le message le plus clair à Westminster. De leur dire qu'il est temps pour l'Écosse d’être maître de son propre avenir. Il est temps pour l'Écosse d'être un pays indépendant. Car mes amis, c'est cette Écosse-là que nous voulons. »

Pour l’Ecosse, la partie n’est pas terminée !

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Membre de Femu a Corsica et préside depuis 2014 l'Alliance libre européenne (ALE). Élu une première fois député européen le 7 juin 2009, Il est de nouveau élu député européen le 26 mai 2019, sur la liste Europe Écologie Les Verts.
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