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- Communiqué de presse -
Chateaubriand !
Rappelons utilement ici qu’en 1811, Chateaubriand est élu « membre de l’Académie Française » à la place de l’écrivain Chénier (1746-1811), à qui l’on doit l’excellent rapport sur la «
Par Simon Alain pour Université Populaire de Philosophie Bretonne (UPPB) le 24/04/13 0:56

Rappelons utilement ici qu'en 1811, Chateaubriand est élu « membre de l'Académie Française » à la place de l'écrivain Chénier (1746-1811), à qui l'on doit l'excellent rapport sur la « panthéonisation » de Descartes (2 octobre 1793) [1].

Rappelons également que si Chateaubriand est bien élu en 1811 au siège de Chénier, il ne l'obtient cependant pas. En effet, prévoyant de blâmer dans son discours de réception « certains aspects de la Révolution », Napoléon ne laisse pas Chateaubriand le prononcer.

« L'empereur » nomme alors « l'écrivain » ambassadeur à Stockholm. Les deux hommes ne sont pas sans ignorer que Descartes y est décédé (11 février 1650). Et cela, dans les circonstances que l'on sait[2].

Notons que Napoléon et Chateaubriand ont déjà eu l'occasion à l'époque de s'opposer au sujet du philosophe : en 1802 notamment, lors de « l'année Descartes » (au cours de laquelle Napoléon renomme le village de sa naissance et au cours de laquelle Chateaubriand publie son "Génie du christianisme").

Rappelons, en outre, qu'à la mort de Napoléon, en 1821, Chateaubriand est nommé ambassadeur à Berlin. Et cela, au moment où le philosophe parisien Victor Cousin (1792-1867) assiste aux cours de l'Allemand Hegel (1770-1831) [3].

A son retour de Berlin, Cousin « nationalise » Descartes et en fait « le philosophe cartésien » que l'on sait (pour qu'il ne soit pas considéré comme « allemand » suite au vibrant hommage qu'Hegel lui rend) .

Chateaubriand ne « satisfaisant » pas aux « exigences » de sa « fonction » à Berlin, il est nommé ambassadeur à Londres, puis il devient ministre des affaires étrangères.

C'est suite à ce mandat qu'il publie (en 1831) ses célèbres "Etudes historiques" : un « résumé de l'histoire universelle » dans lequel le penseur breton souhaite montrer que seul « le christianisme », et non « la politique », peut « réformer la société ».

Ce qui inspirera « son successeur » (né comme lui à Saint-Malo) : Lamennais (1782-1854), mais aussi Lequier (1814-1862), né à Quintin, et Renan (1823-1892), né à Tréguier, avec « l'existentialisme » pour le premier et "La vie de Jésus" (1863) pour le second (qui, quoique l'on en dise, est d'abord une sévère critique du gallicanisme et du catholicisme « à la française »).

Concernant la question du « christianisme », rapportée à Chateaubriand, ne nous trompons pas de débat et ne mêlons pas les termes de « cléricalisme », de « catholicisme » ou de « chrétienté ». En l'occurrence, nous ne parlons pas là de « religion », mais de « vision » (ou « conception ») du monde (« weltanschauung » en allemand).

Aussi, si « le geste » de Chateaubriand est salué en 1802, c'est moins pour « le contenu du livre » que pour le geste lui-même. En effet, le Breton souhaite mettre en évidence que « la liberté de 1789 » n'est pas « fille de la République », et qu'elle trouve davantage son origine dans le premier christianisme.

Rappelons encore une fois ici que le climat intellectuel a changé depuis une douzaine d'année (dans le monde anglophone, mais aussi francophone) : le christianisme est désormais davantage étudié comme « un courant de pensée » que comme « une religion ».

Comme l'a par exemple rappelé en 2007 Frédéric Lenoir dans son "Christ philosophe" [4], les notions de « liberté », d'« égalité » et de « fraternité », avant d'être « républicaines » ou « laïques », sont des notions spirituelles. Nous ne pouvons « en faire l'économie » au sens où elles « encadrent », voire « définissent », les relations au sein de nos sociétés.

En l'occurrence, la société, ou la communauté, bretonne n'a cessé de réactualiser ces valeurs au cours de son histoire, et c'est là le sens profond du « geste » de Chateaubriand en 1802, comme celui de Descartes avec son "Discours de la Méthode" en 1637 ou celui de son défenseur au 17e siècle qu'est Keranflec'h (1711-1787).

Cet illustre personnage (né à Callac) défend au 17e siècle Descartes contre Voltaire en publiant à Rennes en 1765 (année de « l'Affaire de Bretagne ») un "Essai sur la raison" [5] qui interroge l'usage qu'en font les « libres-penseurs » (Voltaire, mais aussi Diderot ou d'Alembert).

Citons aussi cet ami de Descartes que Chateaubriand connaissait parfaitement : Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654). Celui-ci publie, deux ans après le décès du philosophe à Stockholm, un ouvrage intitulé "Socrate Chrétien", dans lequel l'oeuvre de Descartes apparaît comme une synthèse de l'Antiquité et du Christianisme (ce qui constitue à proprement dit, selon l'auteur, la « modernité » de Descartes).

Il reste donc à écrire « une histoire de l'esprit breton » [6] qui puisse rencontrer celle du christianisme, et qui ne résume pas celui-ci à la seule « religion » ou à la seule « philosophie ». Car « le génie du christianisme » est encore « à comprendre » !

Ainsi que le formule Jean-Louis Harouel, reprenant dans son ouvrage de 2012 [7] la formule de Chateaubriand [8], le « génie » du christianisme est d'avoir distingué le « politique » du « religieux ». Une distinction déjà repérée par l'historien breton Fustel de Coulanges (1830-1889) [9] dans son fameux ouvrage "La Cité antique" (1864) [10].

Ce livre (considérablement en avance sur son temps) met en évidence le fait que « l'apport original du christianisme » a été d'opérer la « disjonction du politique et du religieux » (ou « du temporel et du spirituel »), véritable « creuset », selon l'auteur, de « la liberté individuelle » (que réaffirme Descartes à son époque, et qui fait de lui « le premier philosophe moderne »).

Cette « disjonction », pour ne pas dire cette « désunion », fonde, selon Fustel de Coulanges, « la laïcité » au sens large du terme, soit celle qui consiste à « dissocier en l'homme le citoyen et l'être spirituel » (et « le citoyen », pour permettre le spirituel).

D'où un « dualisme » à bien comprendre, et qui est pour l'historien breton « le socle intellectuel des libertés publiques ». Dualisme réaffirmé en 2009 par le spécialiste américain de Descartes John Carriero avec son excellent "Between Two Worlds" [11].

Cette notion de « liberté individuelle », caractérisant « l'être spirituel », ne nous ramènerait-elle pas au christianisme celtique ou « bretonnique » ? Soit celui de Pélage (350-420) qui défendait déjà en son temps « la liberté de tout individu » contre « l'esprit de concile » de son contemporain Saint-Augustin (354-430).

Dès lors, en rappelant au 19e siècle l'« esprit du christianisme » en contexte breton, Chateaubriand, Lammenais, Lequier, Renan, mais aussi Fustel de Coulanges, ont rappelé une certaine « mémoire bretonne ».

Ainsi que le précise le récent ouvrage "Littérature et spiritualité en Bretagne" (mars 2013): « le Breton se définit par sa foi particulière (...) indissociable de son identité » [12].

Ajoutons alors à notre liste Edouard Schuré (1841-1929) qui écrivait au début du 20e siècle la chose suivante : « C'est de Bretagne que la France a reçu plus d'une fois les mots d'ordre de son orientation philosophique (...) Abélard, Descartes, Chateaubriand, Lammenais furent des Bretons » [13]. Si cela est si criant, pourquoi n'en parlons-nous pas davantage ?

Simon Alain.

[1] Cf. "Descartes, Breton ?", Yoran Embanner, 2009, pp. 155-156.

[2] Cf. "Descartes et la Bretagne", Yoran Embanner, 2011, chapitre 2.

[3] Cf. "Descartes, Breton ?", op. cit., pp. 186-189.

[4] Cf. Frédéric Lenoir, "Le Christ philosophe", Plon, 2007. Cf. également Marc Agi (Université de Nantes), "Christianisme et Droits de l'Homme", Des Idées & des Hommes, 2007, Jean-Pierre Denis, "Pourquoi le christianisme fait scandale : éloge d'une contre-culture", Le Seuil, 2010 et Thibaut Gress, "Descartes et la précarité du monde", CNRS Editions, 2012.

[5] Keranflec'h a aussi publié, toujours à Rennes, en 1774 des "Observations sur le cartésianisme moderne". Un ouvrage rédigé contre le climat « franco-rationaliste » de l'époque (se disant être des « Lumières » et se réclamant, à tort, de Descartes). Keranflec'h sert de modèle à Voltaire pour son personnage du Huron dans "L'Ingénu" (1767). Tous les ouvrages de Keranflec'h ont été publiés à la fin du 18e siècle aux Editions Vatar à Rennes

[6] Descartes souhaitait initialement intituler son "Discours de la Méthode" : « Histoire de mon esprit ».

[7] Cf. Jean-Louis Harouel, "Le vrai génie du Christianisme, Laïcité, Liberté, Développement", Jean-Cyrille Godefroy Editions, septembre 2012. Jean-Louis Harouel est professeur à Paris II. C'est un spécialiste de l'économiste Jean Fourastié.

[8] Chateaubriand est le premier à avoir envisagé la religion chrétienne sous un aspect purement humain, abstraction faite de la théologie.

[9] Fustel de Coulanges, bien que né à Paris, était issu d'une ancienne famille bretonne. Son père, Hyppolite J. B. Fustel de Coulanges (1795-1831) était originaire de Brest (il décède un an après la naissance de son fils). Fustel de Coulanges affirmait utiliser dans ses travaux « une approche cartésienne ». Dans la préface de sa "Cité antique", il écrit que c'est « l'imitation maladroite de l'Antiquité » par les révolutionnaires de 1789 qui a conduit à « la Terreur ».

[10] Cf. pour une édition récente : Fustel de Coulanges, "La Cité antique", Flammarion, Champs Classiques, 2009.

[11] Cf. John Carriero, "Between Two Worlds, A Reading of Descartes' Meditations", Princeton University Press, 2009.

[12] Cf. "Littérature et spiritualité en Bretagne" (dir. Jakeza Le Lay), L'Harmattan, mars 2013, p. 9. L'éditeur présente l'ouvrage ainsi : « L'identité bretonne témoigne d'une expression identitaire corollaire de la revendication spirituelle, et pose ainsi la question de l'avenir de l'identité d'un peuple, s'il venait à être dépourvu de spiritualité ».

[13] Cf. "Les Légendes de la Bretagne et le Génie celtique", La Part commune, 2011, p. 22.

Simon Alain est l'auteur de huit ouvrages publiés aux Editions Yoran Embanner. Il a créé dans le cadre de "Breizh-ImPacte" en 2012 une « Université Populaire de Philosophie Bretonne ».
[ Voir tous les articles de Université Populaire de Philosophie Bretonne (UPPB)]
Vos 2 commentaires
marc patay Le Mercredi 24 avril 2013 08:49
J'ai dit ce que je pensais de Chateaubriand dans l'article ABP, "le massif armoricain", à mon avis ses ½uvres, Atali, René, le Génie du christianise sont sans intérêt, quand au "Mémoires" elles sont insincères comme le personnage, une sorte de Ppda ... de génie. c'est un homme en retard sur son temps. Mais je me réjouis que nous n'ayons pas tous le même avis, cependant. marc Patay
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Michel Treguer Le Jeudi 25 avril 2013 17:35
Pour Marc Patay. Je partage votre avis négatif sur Le Génie du christianisme. En revanche, dans les fictions américaines de Chateaubriand, ses évocations romantiques et affectueuses des Indiens me touchent. Et j\'aime beaucoup Les Mémoires d\'outre-tombe, même si c\'est l\'épopée d\'un jeune émigré royaliste : quelle chronique de l\'époque ! \"C\'est un poète et un styliste, ce qui n\'est déjà pas si mal\", avez-vous écrit ailleurs : d\'accord ! (Et, en effet, réjouissons-nous de ne pas être tous du même avis sur tout. )
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