L'ensemble du mouvement culturel breton vient d'apprendre avec une grande tristesse, le décès à Brest, le 4 novembre 2010, de Charles Le Gall / Charlez Ar Gall. Il fut l'un des pionniers de la reconnaissance de la langue bretonne.
Nous tenons à lui rendre un hommage respectueux et fraternel pour sa famille et ses amis, mais aussi, afin d'éclairer les jeunes, intéressés par la Bretagne, des difficultés sans nombre rencontrées par notre avant-garde culturelle au XXe siècle. Les militants de l'enseignement du breton de cette période ont écrit, chacun à leur façon, une page décisive de l'Histoire de notre résistance à l'assimilation. Trop souvent ils travaillèrent dans une indifférence pénible, incompris à l'époque de ceux-là même pour qui ils luttaient.
Charlez est né en 1921 dans une famille d'agriculteurs finistériens. Bretonnant de naissance, il appris la langue française à l'école où il fut soumis, comme tant d'autres, aux méthodes pédagogiques de type totalitaire alors en vigueur. Il surmonta ce handicap et devint instituteur public en 1940, puis épousa Chanig qui sera sa collaboratrice efficace dans tous les défis qu'ils relevèrent pour que vive le brezhoneg.
En 1945, lorsque Armand Keravel et René-Yves Creston relancèrent l'association Ar Falz qui avait cessé toute activité pendant l'Occupation par antinazisme, Charlez y adhère avec enthousiasme – Ar Falz fut créé en 1931 par Yann Sohier dans le but de regrouper les enseignant publics, laïques et de gauche partisans de l'enseignement de la langue et de l'histoire de Bretagne à l'école. La nouvelle équipe, dont Charlez devient rapidement l'un des principaux animateurs, a su développer "Emgleo Breiz" ainsi que la revue "Brud" puis "Brud Nevez". Tandis que Loeiz Ropars y créait "Al Leur Nevez" qui assura la promotion des festoù noz dont chacun connaît le succès. De même Pêr Honoré puis Jean-Jacques Monnier lançaient "Skol Vreizh", éditeur de nombreux manuels d'histoire de Bretagne vendus en 20 ans à plus de 200.000 exemplaires.
Autour d'Armand Keravel, Charlez Ar Gall et Andreo Ar Merser un courant progressiste en faveur de la langue bretonne réussit à émerger dans un milieu qui ne lui était guère favorable. Car durant cette période d'après guerre toute activité culturelle bretonne était taxée de séparatisme. Par un travail acharné et passionné, avec une grande ouverture d'esprit, l'équipe Ar Falz acquiert la confiance des syndicats et des partis de gauche, puis la sympathie de nombreux élus. Petit à petit, les bretonnants commencent à considérer leur langue comme une richesse incomparable et leur traditionnel complexe d'infériorité se dilue dans la découverte émerveillée de la musique, de la poésie, de la littérature et de l'histoire que l'école avait "négligé" de leur enseigner. C'est le début d'une véritable révolution culturelle. Certes d'autres groupes culturels participent à ce "réveil" et y travaillent également avec acharnement. L'originalité de Charlez est d'orienter Ar Falz vers le peuple des travailleurs bretons et non de créer une élite linguistique. Ces deux orientations se recoupent d'ailleurs sur le long terme pour aller vers l'autonomie culturelle de tous.
Passionné également d'histoire de Bretagne, Charlez participe dans les années 50 à la rédaction de la brochure "Breiz hor Bro" avec Job Jaffré afin de diffuser auprès des membres des cercles celtiques et des bagadoù les connaissances de base en matière d'histoire et de culture du Pays.
Enfin il adhère à l'Institut Culturel de Bretagne aux sections langue bretonne et histoire. Il y reçoit l'Hermine en 1990 pour ses actions et ses travaux linguistiques, notamment sa participation au dictionnaire français-breton de l'éditeur Garnier de 1986 (auquel participent également A. Keravel Andreo Ar Merser et Visant Seité sous la direction de P.-J. Helias).
Dans l'optique qui est la sienne, Charlez remplace en 1959 P.-J. Helias, dont il était le collaborateur depuis 1947, à la direction de l'émission hebdomadaire en breton de "Radio-Quimerc'h", tout en conservant son poste d'enseignant. Il y restera 17 ans, produisant plus de 800 émissions en s'occupant en plus des stages Ar Falz d'été pour les adultes. Son enthousiasme communicatif, sa chaleur humaine et la certitude d'avoir choisi la bonne voie pour le sauvetage du breton rassemblent autour de lui de nombreux bénévoles dont beaucoup illustreront par la suite les Lettres bretonnes.
Mais la carrière de Charlez et de Chanig ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Dans les années 60 la Bretagne connaît une véritable révolution paysanne menée par Gourvennec, celle-ci entraînera un renouveau radical de notre économie. Toujours proche du peuple, Charlez diffuse en 1962, dans une de ses émissions radio, une chanson très populaire en breton "Emgann Montroulez" (la bataille de Morlaix) où l'on relatait sur le mode humoristique la prise de la préfecture de cette ville par les paysans et la fuite du préfet... Cela déplut à Paris. Alors que toute la Bretagne soutenait ses paysans, comme plus tard elle soutint les antinucléaires de Plogoff, Charlez fut suspendu de ses fonctions par le ministre de l'Information. Il fut réintégré ensuite tant sa notoriété était déjà grande alors que l'opinion publique régionale commençait à s'ouvrir aux questions bretonnes.
En 1964 Charlez réussit à obtenir à la télévision une chronique hebdomadaire en breton... d'une minute et demie ! Il tiendra cette émission pendant une dizaine d'années. Par un sorte de guérilla incessante et pacifique – l'ensemble du mouvement breton le soutenant – il obtient l'allongement du temps d'antenne pour un faire une véritable émission. Il lance alors avec P.-J. Helias, Fañch Broudic et son épouse Chanig "Breiz o Veva" (Bretagne vivante). Cette chronique hebdomadaire en langue bretonne, au nom remarquable, donne enfin une parole pleine et entière dans leur langue à ceux qui la parlent au quotidien. Le travail exceptionnel de cette équipe crêe un inestimable trésor du Breton parlé pour les générations nouvelles de neo brittophones qui n'ont pas eu la chance de vivre immergés dans une société baignant dans le brezhoneg du fait de la francisation brutale des campagnes. L'impact psychologique de "Breiz o Veva" est difficile à évaluer alors que son influence linguistique est certaine. C'est la première fois que notre langue dispose d'un moyen moderne de diffusion de masse. Le temps du mépris est terminé, "la langue des plouks et des poules" est devenue une "star" de la Télé régionale.
Les chiffres montrent cette évolution favorable du public des 5 départements. En 1945 Ar Falz lance une pétition en faveur de l'enseignement du breton : 3500 réponses. En 1967 Emgleo Breiz fait de même et recueille 125.000 signatures. Aujourd'hui les sondages indiquent que 80 % des Bretons sont favorables à cet enseignement et à celui du gallo. La percée culturelle en direction du grand public breton est réalisée. On sait désormais partout, si on veut le savoir, que la langue bretonne ne régresse pas selon on ne sait quelle mystérieuse fatalité mais qu'elle fut l'objet d'un étouffement systématique.
Au cours de années 70 l'ébullition culturelle bretonne atteint sa vitesse de croisière et entraîne dans tous les secteurs de la vie sociale des initiatives et une créativité surprenantes. Comme si une sorte de refoulé collectif trouvait enfin les moyens de s'exprimer, principalement par les voix des chanteurs, des bardes et des groupes musicaux. Dans cette ambiance très particulière, la censure dont est à nouveau victime Charlez Ar Gall en 1974, apparaît encore plus consternante. En effet une de ses émissions voit quelques paroles jugées "trop bretonnes" supprimées. Devant ce "diktat" du pouvoir centralisateur, Charlez démissionne en guise de protestation. Ce Breton a du granit dans l'échine. Quelques jours plus tard des patriotes bretons faisaient sauter les mille tonnes d'acier du relais de télévision de Roc-Tredudon...
Charlez Ar Gall ne participera plus ensuite aux émissions télévision en breton. S'il en conçut quelque amertume, il continua de pratiquer son métier initial et à gérer la revue "Brud Nevez" avec une grande sérénité, dans un esprit progressiste et non violent qui fut toujours le sien.
En ce moment, les après les autres, toute l'avant-garde culturelle bretonne du XXe siècle disparaît peu à peu. La Bretagne leur doit bien une forme de reconnaissance en un lieu ouvert à tous, de manière permanente. Ils méritent comme Charlez Ar Gall, pour leur travail et leur courage, que leurs noms soient inscrits à jamais sur un Mémorial Breton quelque part en Bretagne. Car les émotions et les textes s'estompent peu à peu quand une génération s'éteint alors que leur exemple se doit de survivre pour instruire les femmes et les hommes de ce Pays qui voudront en prendre le relais et porter plus haut encore notre Renaissance.
L'association "Identité Bretonne" lance cet appel à toutes les personnes et les organismes qui voudraient prendre part à l'édification du Mémorial.
Identité Bretonne : tel 0686967677
Kenavo Charlez ha Trugarez
Loeiz Le Bec pour Identité Bretonne