Décentralisation : tarte à la crème ou nouvelle chance pour la Bretagne ?
Plomelin/Ploveilh.- suite du journal de campagne de J.C. Perazzi
Et voilà, c'est reparti. La décentralisation est à nouveau au cœur de l'actualité. Mieux, au centre des préoccupations du nouveau gouvernement. Et les esprits commencent à s'échauffer. Chez les politiques, d'un bord et de l'autre, chez les décideurs de tous poils. Mais, aussi, au sein de la « société civile » , comme on qualifie parfois les citoyens de base qui n'ont pas voix au chapitre. Sauf pour glisser de loin en loin un bulletin dans l'urne, avec l'espoir qu'ils ne seront pas déçus de leur choix. Ce qui n'est pas toujours le cas.
Décentralisation. Une petite piqûre de rappel n'est peut-être pas inutile pour rappeler d'où l'on vient, où l'on va.
Une ambition nouvelle
L'un des pavés dans la mare est la publication, au début de l'année 1971, de « Bretagne une ambition nouvelle » . Le petit livre blanc du CELIB, le Comité d'étude et de liaison et de liaisons des intérêts bretons. L'ouvrage rappelle, à partir d'un constat suivi de propositions concrètes, que, depuis le milieu du XXe siècle, la Bretagne réclame, à l'image d'autres Régions de France, une véritable décentralisation, la possibilité de gérer au plus près ses affaires (1). C'est l'époque du fleurissement des slogans : « Paris et le désert français » , « Paris nous pompe » , « Ras le bol du jacobinisme, de la technocratie » , etc.
En clair, les Bretons, mais aussi les Basques, les Occitans, les Corses, les Alsaciens, en ont assez de voir que tous les pouvoirs -politiques, financiers, administratifs- sont concentrés dans la capitale. Laquelle, comme d'autres métropoles tendant à devenir de mégapoles, ne cesse de grandir, avec tous les maux que l'on constate aujourd'hui.
Il y a mieux à faire sur l'ensemble du territoire. En organisant la vie économique, sociale, culturelle au plus près des citoyens. Avec leur collaboration et, dans une certaine mesure, leur contrôle, à côté des pouvoirs politiques régionaux, mais aussi départementaux et locaux. .
De Gaulle avait compris
Deux ans avant cette publication, mais aussi les innombrables revendications qui ne cessaient de remonter de la Bretagne et autres lieux, de Gaulle avait tout compris. Rappelez-vous, dès 1969 et le fameux discours de Quimper sur la réforme du Sénat, l'annonce de la création d'une voie express bretonne et, surtout, des Régions. Les Bretons, cerise sur le gâteau, avaient même eu droit en prime… à quelques vers dans la langue des ancêtres !
On sait que, pour ce qui est de la décentralisation, les espoirs suscités ne furent pas à la hauteur des espérance.
Et pourtant, même chez ses proches (les proches de de Gaulle ou les militants actuels de la même famille politique), elle peut apparaître comme une nécessité absolue. Nous voici en 1977. A l'occasion d'un congrès Québec-France, à Montréal, Alain Peyrefitte, alors ministre de la Justice, dédicace son récent ouvrage « Le mal français » . Lors de sa conférence de presse, il nous dira qu'il se réjouit de constater que le Québec « a échappé au pouvoir étouffant d'Ottawa » (ce qu'il vient de faire à nouveau).
A la question sur le centralisme outrancier, thème de son livre, dont souffre la France, il répond, au bout d'un temps de réflexion et en pesant ses mots, mais après avoir repoussé d'un revers de main la solution de l'indépendance : « La France est trop centralisée et les Bretons et les Corses ont bien raison de s'énerver en constatant que pour régler leurs affaires, il faut s'en remettre à Paris. C'est certain , en France, la décentralisation il faut la faire. »
Marylise, faut retrousser tes manches
C'est bien connu. Chacun d'entre nous fait une lecture, une interprétation subjectiviste de l'Histoire. Soyons honnêtes. Sur les bancs de presse des assemblées départementales et ceux de la Région Bretagne, certains d'entre nous (les journalistes) avons cru à l'arrivée d'un grand bol d'air, après la mise en place de la loi Defferre sur la décentralisation. Les Préfets n'intervenaient plus en début de session, pour dire la bonne parole, donner les consignes de Paris. Mais le pouvoir jacobin, administratif ou politique (conservateur ou progressiste), a la vie dure.
La décentralisation, en France, n'a pas franchi la seconde moitié du gué.
Et voici que ça repart. Sous la responsabilité de Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat et, justement, de la décentralisation. Bretonne, de surcroît.
Certains y croient ; d'autres sont très sceptiques.
La partie ne fait que commencer. Elle sera dure. Pour elle. Pour nous aussi.
Jean-Charles Perazzi
(1) En regardant de près la liste des co-auteurs, on devine qu'ils appartenaient ou étaient proches d'organisations progressistes ou centristes.