Samedi à Nantes, 6.000 manifestants et plus de 200 tracteurs ont défilé contre le projet aéroportuaire de Notre-Dame des Landes, en présence de 1.500 policiers et gendarmes qui ont fait du centre-ville une forteresse.
Vers 17 heures, la majeure partie des manifestants se disperse, mais, alors que le soleil se fait moins dur, un millier de protestataires, essentiellement des jeunes, reste sur le cours des 50 Otages. A 19 h 15, les gendarmes du centre ville commencent à charger et à dégager le cours à coups de canon à eau, ils y parviennent un quart d'heure plus tard. Le dernier quarteron de manifestants installe une barricade dans le bas de la rue Paul Bellamy et sont délogés quinze minutes plus tard avec les mêmes méthodes. Pendant les charges, une cinquantaine de casseurs, restés en marge de la manifestation de l'après-midi, lancent des bombes de peinture sur les façades environnantes et repeignent les vitrines. La façade de l'hôtel La Pérouse et la vitrine de l'agence d'intérim Synergie sont notamment dégradées, parmi d'autres.
Avertis au préalable par la Police municipale nantaise, de nombreux commerçants du cours avaient ramassé « tout ce qui peut servir de projectile » et baissé rideau. Quelques pavés ont été descellés dans le cours et lancés sur les gendarmes. Deux personnes ont été interpellées. Inconnues des services de police, elles seront jugées aujourd'hui. Deux blessés sont à déplorer : un chez les policiers, un parmi les manifestants.
Alors, apocalypse dans Nantes ? Non, assurément. Mais des images qui font la Une des médias français, la station de tram Place du Cirque qui perd une partie de ses vitres et un impressionnant feu de joie sur cette même place, sur fond de la Tour de Bretagne. De quoi peut-être atteindre la crédibilité du mouvement anti-aéroport. Les débordements ont été condamnés par Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, et François de Rugy, député Vert de la première circonscription, qui publie actuellement le bilan de ses cinq années de mandat (voir le site) mais aussi le candidat de la droite qui se présente contre lui aux législatives.
François Pinte, président de l’UMP 44, a publié un communiqué (voir le site) où il jette les débordements avec l’eau de la manifestation, où il signifie que « le processus démocratique est achevé » et que « dans une démocratie une minorité ne peut indéfiniment continuer à imposer sa loi à la majorité » . Un communiqué dont les événements de la fin de la manifestation ne sont que le prétexte pour faire passer le message : circulez, il n’y a rien à voir ! Le projet aéroportuaire a été voté, sans consultation des populations environnantes, propulsé par les seules élites politiques, donc il n’y a plus rien à dire. Il est étonnant de voir cette opposition si constructive, si d’accord avec la majorité quand il s’agit de questions qui intéressent toute la Bretagne, comme le projet aéroportuaire ou la réunification, unie par-delà les limites politiques pour que le sort des Bretons ne s’améliore pas. Une opposition qui n’offre pas d’alternative, pas de choix politique aux électeurs du pays nantais.
Il y a-t-il eu ce samedi des black blocs à Nantes ? Si quelques drapeaux pirates, et même un drapeau breton pirate ont été déployés, ni les dégâts tant humains que matériels constatés, ni les vues de la manifestation ne permettent de conclure à la présence de black blocs (voir le site) tels qu’il y a pu en avoir à Strasbourg, Poitiers ou dernièrement à Montréal. D’abord, il n’y a quasiment pas eu de blessés malgré des débordements constatés et plusieurs charges de gardes mobiles pour dégager le centre-ville. Ensuite, il n’y a pas eu de regroupement de militants libertaires habillés en noir et les dégradations matérielles ont été relativement restreintes, limitées aux tags et à des lancers de fumigènes sur les façades. Presque toutes les traces de la manifestation avaient d’ailleurs disparu au petit matin, après une nuit passée par les services de la Ville de Nantes à nettoyer le Cours, le bas de la rue Bellamy et les murs dégradés.
En revanche, les vues de la manifestation laissent clairement apparaître la présence festive organisée de militants altermondialistes et libertaires qui ont organisé ce que l’on appelle un Pink bloc. Ces formations plus ou moins spontanées découlent des manifestations festives en Allemagne dans les années 1980 et ont été popularisées en Grande-Bretagne par les réseaux d’écologistes radicaux dans les années 1990. Le but est de créer une ambiance festive et de se réapproprier l’espace urbain tout en détendant l’atmosphère, tant pour les militants que pour les manifestants « extérieurs » aux mouvements altermondialistes. Il arrive que Black et Pink Blocks travaillent ensemble, les seconds ayant pour but de dérouter les policiers et de concentrer leur attention sur l’activité qu’ils suscitent tandis que les premiers ouvrent le passage aux manifestants ou s’attaquent aux symboles du capitalisme.
Loin de la vision apocalyptique fournie à foison par certains médias et blogs qui se complaisent dans le fait divers et l’émotion, la manifestation nantaise a surtout été une street party où plusieurs dizaines de clowns venus de Bretagne, de France et d’ailleurs ont réinventé la festimanif chère aux Bretons, et ont fait cohabiter en toute beauté des revendications et des mouvements aussi différents que sont l’alter-mondialisme libertaire ou le collectif des riverains et l’Association citoyenne intercommunale (des populations concernées par) le Projet d’Aéroport (voir le site) Et, même si les photos d’une colonne de fumée en plein centre-ville de Nantes devant la tour de Bretagne sont très impressionnantes et pleines d’émotion, ce ne sont pas cinquante jeunes sans tête, extérieurs à la manifestation pour la plupart, qui vont remettre en cause la force et la fiabilité de la mobilisation bretonne contre le projet aéroportuaire.